Ami Yerewolo : la femme forte du rap malien
Ami Yerewolo redessine les contours du rap africain avec « AY », un nouvel album intelligemment produit par Blick Bassy.
Si l’histoire d’Ami Yerewolo ressemble à un conte de fées, la chanteuse de 30 ans ne doit son ascension à aucun bon génie. L’amazone a bataillé dur pour en arriver à ce disque, avec un titre en forme d’egotrip, AY, qui reprend ses initiales, comme pour mieux affirmer la stature qu’elle a aujourd’hui acquise.
Des femmes fortes qui font danser l’Afrique en s’appuyant sur un mélange malin de sonorités électroniques et traditionnelles
Dès la première chanson, Je gère, sur une rythmique chaloupée, évoquant plus le kuduro angolais qu’un beat de rap classique, on comprend qu’elle a changé de dimension. Elle joue désormais dans la cour des grandes, de cette nouvelle génération de femmes fortes (Muthoni Drummer Queen, Pongo, Yemi Alade, Tiwa Savage…) qui font danser l’Afrique en s’appuyant sur un mélange malin de sonorités électroniques et traditionnelles.
Sous le label de Blick Bassy
On est loin, très loin, de son précédent album, Naissance, sorti en 2014, où la rage de la chanteuse pointait déjà, mais sur des productions beaucoup plus attendues mêlant la kora, le synthétiseur et un beat rudimentaire. Entre-temps, il s’est passé beaucoup de choses. Les balanis shows – les bals de quartier où elle était invitée à se produire – ont fait place aux grandes scènes, dont celles qu’elle organisait avec sa structure Denfari Event dans le cadre de son festival, Le Mali a des rappeuses. Ami Yerewolo a raflé nombre de distinctions : le Mali Hip Hop Awards ou encore le Kalata Music Awards.
Son apparition au festival suisse Show-me en 2020 (retardée d’un an en raison de problèmes de visa) a été décisive. C’est là, à Zurich, après un live incandescent de la rappeuse, que le bassiste et producteur camerounais Blick Bassy a décidé de la prendre sous son aile et d’en faire la première artiste de son nouveau label, Othantiq AA. Un soulagement pour la performeuse qui a confié avoir un temps été prête à arrêter la musique face à l’indifférence ou aux moqueries que sa voix féminine génère dans un univers très masculin.
Sortir des codes rap et afrobeat
Blick Bassy voulait la faire « sortir des codes rap et afrobeat », tout en l’aidant à célébrer « l’Afrique, ses traditions et sa modernité ». Depuis Paris, il a composé des titres mêlant la musique électronique et les instruments traditionnels en compagnie du Français Romain Jovion. Le résultat est détonnant. Trompettes triomphantes, flûtes cristallines, ritournelles enfantines, orgues futuristes, une flopée d’« invités » viennent se poser sur une rythmique puissante assénée pour les dancefloors. Ce « gros » son est un cocktail unique, qui puisant volontiers aux sources afro-caribéennes, à l’azonto ghanéen et aux pulsations congolaises.
Riche palette d’émotions
Les textes de la rappeuse, eux, préservent leur singularité. Alors que dans le hip-hop américain les stars (Nicki Minaj, Megan Thee Stallion, Cardi B…) s’affirment en chantant crûment le désir féminin, que les chanteuses « urbaines » hexagonales (Aya Nakamura) brodent sur des histoires d’amour, Ami Yerewolo parle essentiellement de respect. Respect pour les mères (dans le titre Mama), pour les parents ou Dieu (dans Kana Son). Sur la pochette de son album, elle remercie d’ailleurs, en premier, « le tout puissant Allah ».
Moins criarde, moins monocorde, la Malienne développe une très riche palette d’émotions dans son interprétation. On ne peut qu’espérer la réouverture prochaine des festivals un peu partout sur le globe pour que la performeuse puisse défendre ce très bon disque en live.
AY, d’Ami Yerewolo (éd. Othantiq AA).
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