Quand les Français se mettent au zen

Philosophie de la vie plus que religion, le bouddhisme trouve un écho grandissant dans l’Hexagone. Pourquoi un tel engouement ?

Publié le 6 août 2003 Lecture : 4 minutes.

Caché au détour d’un chemin du bois de Vincennes, le Centre Kagyu-Dzong est l’un des foyers bouddhistes les plus importants de la région parisienne. Le temple, orné de couleurs chatoyantes tant à l’extérieur qu’à l’intérieur, a été inauguré en janvier 1985. Il est construit dans l’enceinte de l’Institut bouddhique international, un terrain de 8 000 m2 sur lequel subsistent deux vestiges de l’Exposition coloniale de 1931 : le pavillon du Cameroun, restauré en 1977 et transformé en pagode, et le pavillon du Togo, dont la réhabilitation, prévue par la ville de Paris, permettra l’aménagement d’une bibliothèque destinée à recevoir les textes les plus importants des diverses traditions bouddhiques. Des bénévoles s’occupent de l’administration du centre et répondent, avec une patience à toute épreuve, aux questions des visiteurs.
Combinaison d’écoute, de réflexion et de méditation non pas théorique mais expérimentale (voir l’encadré), le bouddhisme a trouvé en Occident un terrain d’expansion favorable. Le ministère français de l’Intérieur a recensé, en 1990, 600 000 bouddhistes dans l’ensemble du pays. 450 000 sont originaires du Sud-Est asiatique. Les autres, c’est-à-dire 150 000 personnes, sont des Français de souche. Ceux-ci considèrent le bouddhisme comme une véritable religion, avec un rite et des croyances similaires à ceux du christianisme ou de l’islam. Ils font des stages de méditation et vont écouter l’enseignement de maîtres de passage, comme le dalaï-lama.
Selon un sondage de 1999 publié dans le magazine français Psychologies, 6,6 millions de personnes, soit plus d’un Français sur dix, toutes origines confondues, se sentiraient « religieusement proches » du bouddhisme. Alors, phénomène de société ? Selon Matthieu Ricard, lui-même converti (voir l’encadré), viennent au bouddhisme « des gens entre 30 et 50 ans, plutôt des femmes », parce qu’ils éprouvent de la distance vis-à-vis des religions du Livre. « Par sa douceur, son esprit de tolérance, le bouddhisme leur donne davantage d’espoir. »
Science contemplative plus que religion dogmatique, il semble particulièrement bien adapté au monde moderne. « Le bouddhisme analyse comment les émotions destructrices, la haine, la jalousie, l’orgueil, détruisent la paix intérieure et celle des autres, explique Matthieu Ricard. Sans pour autant nous sentir déconnectés de la vie quotidienne, nous apprenons à comprendre ces émotions et non plus à les réprimer et, en tout cas, à ne pas en devenir esclaves. »
Si 11 % des Français se sentent attirés par cette philosophie de la vie, tous ne le sont pas avec une égale intensité. Frédéric Lenoir, chercheur à l’École des hautes études en sciences sociales, a établi une classification. Pour lui, il y a les « sympathisants », touchés par les valeurs de tolérance et de liberté ; puis les « intellectuels », qui ont une bonne culture philosophique, mais s’intéressent peu à la pratique ; les « bricoleurs », eux, l’abordent comme une spiritualité parmi d’autres telles que l’hindouisme ou même la franc-maçonnerie, tandis que les « chrétiens » utilisent les postures de méditation pour leurs prières. Seuls les « pratiquants » sont considérés comme de vrais bouddhistes.
Encore faut-il faire la distinction entre plusieurs sortes de bouddhisme, auxquelles correspondent des pratiques différentes. En France, 70 % des centres sont d’obédience tibétaine. Appelée aussi Vajrayana, « véhicule de diamant », cette école a pour figure de proue Tenzin Gyatso, le dalaï-lama, Prix Nobel de la paix 1989. Si le bouddhisme tibétain est particulièrement attractif, c’est probablement parce qu’il fait appel à un panthéon de divinités accessibles et à un symbolisme universel.
L’école Theravada, ou « petit véhicule », est surtout implantée dans le Sud-Est asiatique. Quant à l’école Mahayana (« grand véhicule ») et sa célèbre philosophie zen, elle est très présente en Chine, au Japon et en Corée.
À Vincennes se retrouvent « de véritables bouddhistes désireux de se livrer à la méditation ou de recevoir les enseignements de lama Gyourmé, le directeur spirituel du Centre Kagyu-Dzong, mais aussi des curieux et quelques farfelus », explique Héloïse. Convertie au bouddhisme à l’âge adulte, cette jeune femme y a trouvé la sérénité, la joie et une voie vers la sagesse dont elle ne pourrait plus, aujourd’hui, se passer. « Le bouddhisme favorise l’épanouissement des qualités de chacun, il permet d’être mieux dans sa peau, il libère des peurs. »
Il suffit de rencontrer lama Gyourmé et de lui serrer la main pour comprendre pourquoi tant de Français viennent « prendre refuge », la cérémonie équivalente au baptême chrétien, auprès des Tibétains. Son charisme et sa profondeur d’esprit se perçoivent immédiatement, même à travers les mots simples d’une conversation banale. Né en 1948 au Bhoutan, il a effectué à 18 ans la retraite de trois ans, trois mois et trois jours qui l’a fait maître des cérémonies, des rituels, des chants et des danses sacrées. Il a 25 ans, en 1974, lorsque son maître l’envoie en France. Il y connaît depuis un destin remarquable puisque, outre les enseignements qu’il dispense quotidiennement au temple de Vincennes, il a réalisé deux albums de chants dont le premier, Souhaits pour l’éveil, s’est vendu à plus de 100 000 exemplaires. L’argent des droits d’auteur est allé aux oeuvres dont lama Gyourmé est le fondateur. Notamment à la congrégation monastique Dachang-Vajradhara-Ling, installée en Normandie depuis 1982. Il a par ailleurs en projet, au même endroit, la construction d’un grand temple où seraient reçus les chefs religieux de toutes les confessions ainsi que des responsables politiques pour des séminaires sur la paix dans le monde. En attendant, il réunit autour de lui de nombreux fidèles et prépare, en douceur, la visite en France du dalaï-lama, en octobre prochain.

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