Out of Africa

Alors qu’on vient peut-être d’identifier le plus ancien de nos ancêtres directs, plusieurs autres découvertes récentes confirment les origines africaines de l’homme.

Publié le 6 août 2003 Lecture : 5 minutes.

Le village éthiopien de Herto est situé dans la moyenne vallée de l’Awash, à quelque 200 kilomètres au nord-est d’Addis-Abeba, en direction de Djibouti. Dans cette zone de savane sèche où la végétation est rare, la principale ressource de la population, des nomades afars, est l’élevage itinérant. Il y a 160 000 ans, les conditions de vie étaient tout autres. Un lac occupait le fond de la vallée. S’y ébattaient des hippopotames et des crocodiles, tandis qu’alentour les luxuriantes prairies étaient le territoire des antilopes, des zèbres et des lions. Ainsi que d’autres mammifères se déplaçant sur deux pattes plutôt que sur quatre. Trois crânes exhumés en 1997 par une équipe de chercheurs de l’université de Californie conduite par Tim White, et dont la revue britannique Nature fait une description détaillée dans son édition du 12 juin, laissent à penser que ces bipèdes pourraient être les premiers Homo sapiens.
La découverte de Herto est donc tout sauf anecdotique puisqu’elle pourrait avoir permis d’identifier le plus ancien de nos ancêtres. Les fossiles dont on disposait jusqu’à présent, qu’ils aient été recueillis au Proche-Orient, en Éthiopie ou en Afrique du Sud, étaient datés de 100 000 ans au maximum. Ceux trouvés dans la vallée de l’Awash remontent à 160 000 ans avant Jésus-Christ.
Les trois crânes, dont ceux d’un enfant, ont les caractéristiques de l’homme moderne : face plate, nez long et étroit, arcades sourcilières moins proéminentes que celles d’ancêtres plus lointains. Ils ont aussi certains traits qui les distinguent de l’homme actuel, comme des orbites très écartées et un court occiput. C’est pourquoi l’équipe de Tim White a créé une sous-espèce, qu’elle a baptisée Homo sapiens idaltu, ce dernier terme signifiant « aîné » en afar.
Les comparaisons anatomiques des hommes d’Herto avec les néandertaliens montrent que les premiers ont précédé les seconds. Ce qui confirme ce que l’on sait de notre « cousin » de Neandertal. Il vécut entre 125 000 et 40 000 ans avant notre ère et se serait alors définitivement éteint, probablement supplanté par l’Homo sapiens mieux adapté aux conditions environnementales de l’époque.
Les restes des Homo sapiens idaltu ont été recueillis au milieu d’ossements d’antilopes et d’hippopotames ainsi que de nombreux outils caractéristiques des technologies avancées de l’âge de la pierre. Les crânes portent des marques de dépeçage et de polissage. Plus que de signes d’anthropophagie, il pourrait s’agir de traces de rituels mortuaires, confortant la modernité de ces ancêtres éthiopiens. Des crânes ainsi marqués ont été collectés au siècle dernier en Nouvelle-Guinée, où les restes des ancêtres sont conservés et font l’objet d’un culte.
Probablement parce que cette discipline scientifique n’a aucune utilité immédiate et ne sert aucun intérêt commercial particulier, la paléontologie semble avoir été longtemps négligée. Depuis une trentaine d’années et la mise au jour, en 1974, de la désormais célèbre Lucy, australopithèque de 3 millions d’années, par le Français Yves Coppens, les découvertes se multiplient, et l’on commence à y voir plus clair dans l’arbre généalogique de l’homme (voir l’encadré ci-dessous).
En juillet 2001, un crâne était arraché aux sables du désert de Djourab, au Tchad, par l’équipe franco-tchadienne de Michel Brunet, professeur à l’université de Poitiers. Un an après, la publication des résultats des analyses faisait l’effet d’une bombe. Vieux de 6 à 7 millions d’années, cet ossement, baptisé entre-temps Toumaï, Sahelanthropus tchadensis de son nom scientifique, pourrait être le plus ancien fossile préhumain. Détrônant ainsi Orrorin tugenensis, mis au jour à la fin de 2000 au nord-ouest du Kenya, près du lac Turkana, et âgé, lui, de « seulement » 6 millions d’années. Pour Michel Brunet, les caractéristiques de Toumaï pourraient en faire le dernier ancêtre commun aux hommes et aux chimpanzés.
Mais, si Toumaï jetait le trouble dans la communauté scientifique, c’est qu’il venait remettre en question une théorie, qui semblait établie, situant le berceau de l’humanité en Afrique orientale. C’est Yves Coppens qui a élaboré le scénario de l’« East Side Story », selon lequel les préhumains seraient apparus il y a 7 millions d’années à l’est du Rift, cette immense fracture tectonique qui déchira l’Afrique sur plus de 3 000 km, de la mer Rouge au Zambèze, atteignant jusqu’à 4 000 m de profondeur dans le lac Tanganyika. Le climat s’en trouva bouleversé. Tandis que les pluies continuaient d’arroser l’Ouest, l’Est, soumis à une terrible sécheresse, vit la forêt disparaître au profit de la savane puis de la steppe. D’un côté, les ancêtres des grands singes actuels auraient continué à vivre dans les arbres. Dans l’autre partie, à travers un processus d’adaptation à un milieu sec (la station debout, l’alimentation omnivore, le développement du cerveau, l’invention des outils…), naissait ce qui allait devenir, plusieurs millions d’années plus tard, l’homme.
La découverte de Toumaï, à 2 500 kilomètres à l’ouest de la Rift Valley, avait-t-elle remis en question ce beau schéma ? Pas nécessairement. Comme l’explique Yves Coppens, partis de l’Afrique de l’Est, les préhumains ont très bien pu migrer vers l’Ouest, le bassin du Tchad en l’occurrence, en contournant la Rift Valley par le Sud. Une hypothèse que pourrait d’ailleurs étayer la présence d’australopithèques anciens en Afrique australe. Toumaï ou pas Toumaï, s’il est un point commun entre les découvertes de ces dernières années, c’est qu’elles situent toutes en Afrique les étapes décisives de la constitution de l’humanité.
La thèse sur les origines africaines de l’homme est confortée par les travaux des généticiens. Une étude publiée en mars 2002 dans Nature conclut que nos aïeux africains auraient déclenché deux phases migratoires majeures vers l’Europe et l’Asie, l’une il y a 600 000 ans, l’autre il y a 100 000 ans. Les nouveaux arrivants n’ont pas remplacé brutalement les populations préexistantes, mais se sont mélangées avec elles, engendrant de nouvelles populations métissées dont nous sommes tous issus.
Reste à savoir pourquoi nos ancêtres sont sortis ainsi, en pleine période glaciaire, d’une Afrique au climat chaud et à la nature généreuse afin de gagner des territoires pour le moins inhospitaliers. Dans L’Émergence de l’homme (Flammarion, 1990), un chercheur allemand a apporté une explication intéressante. C’est la mouche tsé-tsé, vecteur de la maladie du sommeil, qui aurait poussé les hommes à fuir leur paradis africain. Josef Reichlof relève qu’aujourd’hui les plus belles réserves naturelles du monde sont situées dans les zones où sévit la tsé-tsé. Parce que le terrible prédateur qu’est l’homme y survit difficilement et laisse la faune en paix.
Mais c’est là une autre histoire.

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