Attentat de Rambouillet : « Les profils choisis sont précisément ceux qui passent sous les radars »

Stéphanie Monfermé, l’agente administrative française tuée le 23 avril à Rambouillet, a été victime d’un Tunisien de 36 ans. Mustapha El Haddad, auteur de « L’Embrigadement des jeunes pour le jihad, le paradoxe tunisien », décrypte l’évolution du phénomène jihadiste à la lumière de cet attentat.

Une banderole porte le nom de la fonctionnaire de police française Stéphanie Monfermé, poignardée vendredi 23 avril à Rambouillet, au sud-ouest de Paris. © Thibault Camus/AP/SIPA

Une banderole porte le nom de la fonctionnaire de police française Stéphanie Monfermé, poignardée vendredi 23 avril à Rambouillet, au sud-ouest de Paris. © Thibault Camus/AP/SIPA

Publié le 27 avril 2021 Lecture : 3 minutes.

Mustapha El Haddad s’est distingué par un ouvrage rigoureux et très fouillé sur le phénomène du jihadisme en Tunisie. Cette approche inédite éclaire le parcours de jeunes enrôlés dans les zones de conflit, notamment en Syrie et en Libye. Pour Jeune Afrique, l’auteur de L’Embrigadement des jeunes pour le jihad, le paradoxe tunisien, paru en début d’année aux Éditions Arabesques, revient, à la lumière de l’attentat de Rambouillet commis le 23 avril, sur le contexte des actions terroristes, décrypte la situation et pose les questions incontournables qui s’imposent.

Jeune Afrique : Peut-on envisager que l’auteur de l’attaque de Rambouillet, Jamel Gorchene, ait agi en « loup solitaire » ?

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Mustapha El Haddad : Les actes de terrorisme perpétrés ces dernières années en Europe sont d’une nature différente de celle du phénomène inédit d’embrigadement de jeunes enregistré entre 2012 et 2015 au profit des insurgés syriens. Mais en ce qui concerne les attentats réalisés ces dernières années en Europe, la thèse du « loup solitaire » est écartée par plusieurs analystes.

En Europe, les Tunisiens ont malheureusement pris une part importante dans les attentats isolés

Le passage à l’acte est plutôt commis sous l’influence de « sergents recruteurs », à travers les réseaux sociaux (surtout en Europe) et des lieux de culte dont plusieurs ont été investis par des islamistes radicaux. Au vu du niveau sécuritaire observé en France et plus généralement en Europe, les profils choisis sont précisément ceux qui passent sous les radars : les autres sont trop connus, souvent suivis, ou en tout cas repérés. Nous devons également rappeler qu’en Europe, les Tunisiens ont malheureusement pris une part importante dans les attentats isolés, à Nice, Berlin, Marseille et Paris.

Le profil de Jamel Gorchene correspondait-il à ces nouveaux critères ?

En général, ce type d’opération est effectué par des personnes isolées et fragiles. Il semble que Jamel Gorchene ait été dans ce cas de figure. Mais il est rare que l’auteur soit aussi âgé – près de la quarantaine –, les attentats étant perpétrés par des hommes plutôt jeunes. Les personnes les plus fragiles qui vivent à l’étranger dans un cadre différent de leur milieu d’origine subissent de nombreuses ruptures, aussi bien affectives et culturelles que sociales.

Les mouvements religieux radicaux ont proliféré sur ce « terreau » du mal-être

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L’écrivain Tahar Ben Jelloun avait signalé ce problème dès les années 1970. Cette fragilisation peut rendre les sujets plus perméables à des idéologies et à des propos identitaires. Les politiques d’intégration se révélant inefficaces, les mouvements religieux radicaux ont proliféré sur ce « terreau » du mal-être.

Mustapha El Haddad, auteur de « L’Embrigadement des jeunes pour le jihad, le paradoxe tunisien ». © DR

Mustapha El Haddad, auteur de « L’Embrigadement des jeunes pour le jihad, le paradoxe tunisien ». © DR

Le départ vers les fronts du jihad de milliers de Tunisiens a été abondamment commenté. Cette vague n’est-elle pas en train de connaître un reflux ?

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Le phénomène des foreign fighters (« combattants terroristes étrangers ») s’est développé entre 2012 et 2015 en parallèle à la guerre en Syrie et, le plus souvent, en soutien aux insurgés syriens, en particulier ceux de Jabhat al-Nosra et Daech.

L’organisation de l’embrigadement, de la formation puis du déploiement dans les zones de conflit était assuré par des associations dont les financements se sont taris et qui ne peuvent plus assurer l’envoi de jihadistes sur des fronts qui ne sont plus aussi demandeurs de combattants.

Il faut être attentif à la reprise du phénomène Daech au Moyen-Orient

Les jihadistes se sont repliés en Libye. Mais il faut également être attentif à la reprise, assez récente, du phénomène Daech au Moyen-Orient. Si l’envoi de combattants jihadistes tunisiens semble au point mort, il faut toutefois rappeler que, depuis 2015, la Tunisie a subi plusieurs attentats particulièrement meurtriers.

L’acte de Rambouillet doit être appréhendé dans un contexte plus large. Que retenir de près de dix ans de jihadisme en Tunisie ?

À court terme, il faudrait que les autorités lèvent l’omerta sur les milliers de jihadistes tunisiens – plus de 5 000, selon l’ONU – qui ont quitté le pays et attendent de revenir. Que vont-ils devenir ? Comment seront-ils traités ? L’enjeu est d’ordre régional et dépasse la Tunisie. Ce phénomène inédit a concerné plus de cent pays et des milliers de personnes. Pour en revenir à la Tunisie, il ne faudrait pas différer la mise en place d’une commission indépendante pour rendre justice aux parents qui ignorent le sort de leurs enfants embrigadés.

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