L’été du nombril

Publié le 18 août 2003 Lecture : 3 minutes.

S’ils ne peuvent aller à la plage, la plage viendra à eux. C’est sans doute ce qu’a pensé le recteur, apitoyé par le sort de ceux qui, comme moi, travaillent en plein mois de juillet. Aussitôt dit, aussitôt fait. Une noria de camions chargés de sable a transformé une partie du campus de l’université en Miami-Beach du pauvre. Une paillote a surgi, où l’on vend des sodas et des glaces, des filets de volley-ball ont été tendus et des parasols déployés. Des transats en plastique égayent l’ensemble et des haut-parleurs d’un autre âge crachotent les tubes de l’été. Assis à mon bureau, il me suffit de lever les yeux pour contempler un spectacle paradoxal : à ma gauche, une profusion de corps allongés, offerts au dieu Soleil, des succubes en bikinis, des éphèbes in naturalibus, de la cuisse et de l’avant-bras dorés à point, des popotins qui ondulent, des chevelures qui volent au rythme des smatches, des nombrils en folie. À ma droite, sagement assises sur des bancs, tournant ostensiblement le dos à la plage factice, des étudiantes turques, iraniennes ou marocaines, envoilées, empaquetées ou tchadorisées sévère. Certaines arborent une sorte de résille assez coquette, qui révèle un petit peu, d’autres une espèce de grand foc qui couvre l’essentiel. On relève même un burqa qui cache tout. Ce qu’il y a là-dessous, femme ou rude gaillard en cavale, personne ne le sait. La créature est plongée dans un manuel de sociologie ou de physique et ne lève jamais les yeux.
Les deux groupes s’ignorent complètement. C’est une tradition amsterdamoise de plusieurs siècles, qu’on nomme tolérance, mais qui est plutôt une indifférence totale envers l’Autre. Vous irez en Enfer, pensent les uns. Vous y êtes déjà, ricanent les autres. Et tout le monde est content.
Le premier jour, j’ai eu un problème. Essayez donc de réfléchir sur les conséquences du déficit budgétaire à quelques mètres de Baywatch… J’avais des indignations de tartufe qui ne peut se joindre à la fête. Cache ce nombril que je ne saurais voir, petite écervelée. Et toi, la rousse, couvre tes lombes, je n’ai pas besoin de savoir que tu portes un string de chez Calvin Klein. À propos, savez-vous que cette nouvelle mode – on montre la raie des reins, comme un vulgaire ouvrier du bâtiment – est née d’une conspiration entre les fabricants de slips et le prêt-à-porter milanais ? Sous l’égide d’un capo de tutti capi, venu tout droit de Corleone, les représentants du caleçon ont soudoyé les habilleurs d’anorexiques et voilà ! Le pantalon ras-le-tatouage-pubique vous oblige à acheter très cher des slips de marque au lieu d’en acheter treize à la douzaine au marché. À quoi tient la mode…
Bref, je m’égare. Mes collègues et moi, nous avons mis plusieurs jours à nous ajuster à la nouvelle situation. Un regard distrait à travers la vitre, l’oeil accroche un clone de Kylie Minogue court vêtue et nous voilà perdus pour la science. D’un autre côté, le spectacle de la volée de corbeaux sur les bancs n’est pas réjouissant après une journée de dur labeur. Mais nous avons fini par trouver un modus vivendi. De 9 heures à midi et de 14 heures à 17 heures, nous ne regardons que vers la droite, vers le voile triomphant et le tchador en forme de claque. Aucun danger d’épectase de ce côté-là, nous nous taisons studieux comme en un jour d’hiver dans les salles d’école. Pendant la pause et après le travail, nous portons à gauche : à nous, le spectacle des houris terrestres et des adonis sublunaires – chacun ses goûts. Vive le corps humain, beau comme un sismomètre, la seule inspiration des poètes et des peintres, vive la vie et au diable les hypocrites ! Comme disait (à peu près) l’Ecclésiaste : il y a un temps pour tout, pour le voile et pour le dévoilement, pour le décolleté et pour le cache-col, pour le string et pour le haïk…

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires