La leçon corse

À l’approche du référendum sur la réforme de leurs institutions, les DOM méditent le « non » essuyé par Paris dans l’île de Beauté.

Publié le 6 août 2003 Lecture : 5 minutes.

Les Corses ont dit « non » (à 50,98 %) à la réforme de leurs institutions, préférant garder leurs deux départements plutôt que de les fondre dans une collectivité unique. Au soir du référendum du 6 juillet 2003, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a pris acte de la clôture du débat statutaire pour cette partie du territoire français, considérée comme le laboratoire de la réforme de la décentralisation. La position des Corses a relancé le débat dans les départements de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Guyane, où des référendums similaires sont prévus entre octobre et décembre 2003. Pour ce faire, et en réponse aux souhaits des populations d’outre-mer, une révision de la Constitution en mars 2003 a réaffirmé leur appartenance à la République française.
Visant à instaurer « une République plus responsable, plus efficace et plus démocratique », la réforme leur propose deux options. La première consiste en la mise en place d’une assemblée unique regroupant département et région, dotée de nouveaux pouvoirs pour adapter localement les lois et règlements votés et édictés à Paris. La seconde option – qui a la faveur des indépendantistes dans la mesure où elle permet d’avoir un gouvernement propre, comme en Nouvelle-Calédonie – est de devenir une collectivité territoriale et, partant, de produire, dans certains domaines précis, des lois locales. L’objectif étant d’aller vers une plus grande autonomie.
C’est aux élus des conseils régionaux et départementaux qu’est revenue la tâche de défricher le terrain. Après de longs mois d’études et de consultations des acteurs économiques et sociaux, les présidents des régions et départements de la Guyane, de la Guadeloupe et de la Martinique, réunis le 25 avril, au Gosier (Guadeloupe), ont officiellement opté pour l’assemblée unique. Ce statut permettra la simplification des démarches administratives, un accès direct aux fonds européens et une meilleure réactivité décisionnelle locale.
Dès lors, le processus engagé promettait d’aller bon train – conforté par une sorte de consensus confus de l’opinion publique locale. C’était sans compter avec le choix des Corses, qui a ravivé les craintes des populations sur le désengagement de l’État, réaffirmé par le président Jacques Chirac lors de sa traditionnelle allocution du 14 Juillet.
Un sondage réalisé début 2003 en Martinique par l’institut Louis-Harris, et portant sur l’avenir institutionnel de l’île, montrait déjà que, si 58 % des personnes interrogées sont favorables à la mise en place d’une assemblée unique, 50 % se déclarent pessimistes sur l’avenir de la Martinique et 51 % ne font pas confiance aux politiques ; alors que 41 % des sondés doutent que le résultat de ce processus aura des influences positives sur la vie quotidienne.
Les populations locales se souviennent, il est vrai, des promesses des lois de décentralisation de 1982 dotant leurs conseils régionaux de compétences plus étendues que celles de l’Hexagone en matière, par exemple, de développement économique et d’aménagement du territoire. Hélas ! les fonds correspondant à ces transferts de responsabilités ont été très inférieurs aux sommes escomptées. Les îles d’outre-mer, sous-industrialisées, important plus qu’elles n’exportent, dépensant plus qu’elles ne produisent, handicapées par la structure coloniale de leurs économies respectives, se sont enfoncées dans le chômage. Les lois françaises, une fois confrontées aux réalités du terrain, ont nécessité de laborieux aménagements en matière de fiscalité et en faveur de la création d’entreprises et d’emplois, amorçant toutefois, vers le milieu des années 1990, une nette amélioration des conditions de vie dans les DOM.
Eu égard à ce passé, la peur d’une régression sociale et économique exprimée par l’opinion publique est-elle légitime ? « Toute logique de décentralisation implique par nature des risques d’aggravation des inégalités entre collectivités riches et collectivités pauvres », explique Serge Regourd, professeur de droit public et spécialiste de la question. Inégalité d’accès à l’éducation, aux soins, etc. Les transferts de compétences prévus par la réforme actuelle – tels que la gestion des personnels de l’éducation nationale par les départements ou par les futures assemblées uniques, le droit à l’expérimentation de lois pour une période déterminée – entraîneront, selon lui, une augmentation de la pression fiscale.
Dès 1999, les partis de gauche d’outre-mer, en réponse à la « déclaration de Basse-Terre » promue par Lucette Michaux-Chevry, présidente de l’exécutif régional de la Guadeloupe, et ses homologues martiniquais et guyanais réclamant plus de démocratie locale, avaient ainsi brandi le spectre de la perte sèche des avantages et acquis sociaux.
À l’heure actuelle, pour Lucette Michaux-Chevry, chef du parti Objectif Guadeloupe, proche de la majorité présidentielle, le « non corse » n’a aucune valeur au niveau de la Guadeloupe, et le référendum aura lieu comme prévu, en fin d’année. « Chez nous, dit-elle, la réforme signifie la reconnaissance de notre responsabilité et la sortie d’un passé colonial. » Un optimisme que ne partage évidemment pas l’opposition socialiste. Dans ce département, les difficultés portent pour une grande part sur le mode d’élection des élus et, par là même, sur le choix de la personnalité qui dirigera la nouvelle institution. Le député socialiste Victorin Lurel, soutenu par le président du conseil général de la Guadeloupe Jacques Gillot (socialiste lui aussi), a exhorté le gouvernement Raffarin, au lendemain du verdict des Corses, à reporter le référendum « afin que des garanties claires et fortes soient données […] en matière de contre-pouvoir pour éviter toutes dérives autoritaires, despotiques et de chantage en matière de subventions publiques ». Ces propos viseraient-ils Lucette Michaux-Chevry, qui, effectivement, a de sérieuses chances de présider la future assemblée ?
En Martinique, les élus, toujours bons élèves, ont pris acte de l’avis des Corses et prévoient une campagne d’information intense ; le plus claire possible, pour ne pas essuyer un refus. Quant aux élus de l’Union pour un mouvement populaire (UMP) de la Guyane, minoritaires, appuyés par Léon Bertrand, originaire du département et actuel secrétaire d’État au tourisme, ils ont trouvé dans le choix des Corses une justification à leurs appels répétés à l’attentisme, pour que triomphe l’avènement d’un gouvernement propre. « Tous ceux qui en Guyane avaient parié sur le oui pour s’empresser d’imposer une assemblée unique reçoivent un camouflet cinglant », juge Rémy-Louis Budoc, secrétaire général de l’UMP locale.
Preuve que l’action des élus, toutes tendances politiques confondues, reste fortement conditionnée par leurs préoccupations politiciennes. Ce qui contribue d’une manière générale à opacifier le débat à l’approche des référendums, lesquels consistent pour les Guadeloupéens, les Guyanais et les Martiniquais à dire oui ou non à l’assemblée unique et à son mode de fonctionnement. Et non à se prononcer sur la majorité appelée à la présider.
Reste que les enjeux de la réforme de la décentralisation ne sont pas les mêmes pour la Corse et l’outre-mer. Géographiquement plus proche de l’Hexagone, la Corse a toujours fait l’objet d’une attention particulière des gouvernements et participe à tous les niveaux à la gestion des affaires de la France. En revanche, l’outre-mer est marquée par les séquelles de l’esclavage, de la colonisation et de l’assimilation qui en a découlé. Il s’agit pour la première de mettre fin à la spirale de la violence, pour la seconde de rompre avec un traitement paternaliste, et de mettre – qui sait ? – les populations sur les rails du développement durable.

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