[Tribune] Pour un Tchad libre et républicain

Au lendemain de la mort du président Déby, la France entérine la création d’un conseil militaire de transition, au détriment des principes démocratiques. Mais les jeux ne sont pas faits.

Le président français Emmanuel Macron assiste aux funérailles du défunt président tchadien Idriss Deby, avec les autorités locales à N’Djamena, le 23 avril 2021. © Oredje Narciss/REUTERS

Le président français Emmanuel Macron assiste aux funérailles du défunt président tchadien Idriss Deby, avec les autorités locales à N’Djamena, le 23 avril 2021. © Oredje Narciss/REUTERS

Éric Topona Mocnga.
  • Éric Topona Mocnga

    Journaliste à la rédaction Afrique francophone de la Deutsche Welle (média international allemand), à Bonn.

Publié le 29 avril 2021 Lecture : 5 minutes.

Depuis le 20 avril 2021, le Tchad porte le deuil de son président de la République et de ses institutions républicaines. Lorsque le chef de l’État français Emmanuel Macron prend la parole à N’Djamena, le 23 avril 2021, à l’occasion des obsèques de son homologue Idriss Déby Itno, il ne prononce pas seulement l’oraison funèbre du maréchal disparu, mais aussi celle du socle de l’État du Tchad, à savoir sa Constitution. Emmanuel Macron se révèle chantre d’une Françafrique qu’il promettait pourtant, comme ses prédécesseurs, de renvoyer aux calendes grecques dès son arrivée à l’Élysée, le 14 mai 2017.

« Un coup d’État entériné sans réserve »

Le président français Emmanuel Macron lors des funérailles d’Idriss Déby Itno à N’Djamena, le 23 avril. © Christophe Petit Tesson/Pool via REUTERS

Le président français Emmanuel Macron lors des funérailles d’Idriss Déby Itno à N’Djamena, le 23 avril. © Christophe Petit Tesson/Pool via REUTERS

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Comment comprendre que le décès du président Idriss Déby Itno signe par ricochet l’acte de décès de la loi fondamentale du Tchad et de ses institutions ? C’est qu’il s’agit de la suite logique d’un coup d’État militaire. Roland Marchal − spécialiste de la Centrafrique et du Tchad au Centre de recherches internationales (Ceri) de Sciences-Po Paris et chargé de recherches au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) − s’en indigne à juste titre lorsqu’il déclare dans les colonnes du quotidien français Le Figaro : « Le problème n’est pas tant que Macron se rende aux obsèques. La France a été un allié de toujours d’Idriss Déby et, vis-à-vis de nos alliés en Afrique, il eût été maladroit de le lâcher dans la mort. Le problème est d’avoir entériné un coup d’État sans réserve. »

Un paternalisme décomplexé digne des heures les plus sombres de la colonisation

Le chef de l’État français a été rejoint dans ce paternalisme décomplexé digne des heures les plus sombres de la colonisation par Josep Borell, le responsable de la diplomatie européenne : « Il faut aider le Tchad. Il faut passer outre les considérations politiques. » Sacré paradoxe ! On « aide » le Tchad en foulant aux pieds ses institutions et sa Constitution.

Une semaine plus tôt, le président français était précédé dans cette imposture par un obscur Conseil militaire de transition (CMT). Cette quinzaine de hauts gradés de l’armée tchadienne qui officialisaient alors le décès du chef de l’État s’autoproclamèrent presque immédiatement représentants du peuple tchadien souverain et s’octroyèrent les pleins pouvoirs. Ils avaient sans doute déjà reçu l’onction discrète de Paris. La suite des événements atteste cette hypothèse.

Affaiblissement continuel des institutions

Pour ceux-là qui arguent de la nécessité de préserver la stabilité du pays face aux menaces de déstabilisation des groupes armés, notamment la rébellion du Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT), il faut se demander pourquoi les institutions de l’État du Tchad n’ont pas plus de valeur que le papier sur lequel elles sont inscrites. Dans ses relations avec le Tchad, la France a toujours eu pour stratégie l’adoubement des hommes forts et l’affaiblissement continuel des institutions.

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Il est bien plus aisé, pour l’ancien empire colonial, de faire prévaloir ses ambitions de puissance ou de prédation devant un « homme fort » plutôt que face à des institutions fortes. Voilà pourquoi, du fait de la disparition soudaine d’un « homme fort », pourtant mortel, il n’y a plus aucun Tchadien pour prendre la relève.

La bien mal nommée armée tchadienne est en réalité, depuis près de trente et un an, la garde prétorienne d’un homme et de son clan pour la perpétuation d’un pouvoir autocratique. Minée par des divisions internes et à mille lieues d’une armée républicaine nationale, elle concentre en son sein tous les maux qui rongent la société tchadienne depuis trois décennies. Elle répond à un homme – non à un État ou à une nation. D’où le branle-bas constaté à l’annonce du décès de son chef, le maréchal Idriss Déby Itno.

La volonté de museler encore plus le peuple tchadien

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Au lieu de respecter l’ordre constitutionnel, la France et les pontes du régime en place ont décidé d’introniser sur-le-champ Mahamat Déby à la place laissée vide par son père, comme dans une monarchie de droit divin, au mépris de tous les usages et pratiques républicains et des dispositions constitutionnelles en vigueur. Cette dévolution dynastique du pouvoir d’État du père au fils participe en réalité à la volonté de museler encore plus longtemps le peuple tchadien afin de faire prévaloir, à son détriment, les intérêts géostratégiques de la France. La France de Macron reproduit non pas les mêmes erreurs qu’hier, mais la même stratégie en vertu de laquelle on trouve aujourd’hui de vertueuses raisons à un coup d’État militaire.

Un Tchad nouveau pour toutes et tous

Les clameurs d’indignation face à cette imposture s’élèvent bien au-delà du Tchad. En Afrique centrale où sont à peine voilées les tentations dynastiques de dévolution du pouvoir, le précédent tchadien pourrait faire jurisprudence.

Il faut saluer l’appel au respect de l’ordre constitutionnel et à un retour rapide à un gouvernement civil de l’UA

Mais le crime est loin d’être parfait et les jeux sont loin d’être faits. Il faut cependant saluer l’appel au respect de l’ordre constitutionnel et à un retour rapide à un gouvernement civil du Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’Union africaine (UA), lors de sa 993e réunion, tenue le 22 avril.

Cet appel « exhorte les forces de défense et de sécurité tchadiennes et toutes les parties prenantes nationales à respecter le mandat et l’ordre constitutionnel, à s’engager rapidement dans un processus de restauration de l’ordre constitutionnel et de transfert du pouvoir politique aux autorités civiles, conformément aux dispositions pertinentes de la Constitution de la République du Tchad, et à créer les conditions propices à une transition rapide, pacifique, constitutionnelle et sans heurts. »

Le CPS de l’UA demande également la tenue d’un dialogue national entre toutes les composantes de la société tchadienne. Il faut aussi saluer la mobilisation de l’immense majorité des Tchadiens, des partis politiques, de la société civile, des mouvements de confessions religieuses chrétiennes contre la prise du pouvoir et sa confiscation par les militaires. Sans oublier les cris de révolte des peuples du continent qui demeurent mobilisés aux côtés du peuple tchadien.

Le peuple ne baisse pas les bras et maintient la flamme de la protestation

Ce dernier, épris de justice et de démocratie, promet de ne pas baisser les bras dans sa lutte afin de maintenir plus vive et incandescente que jamais la flamme de la protestation et de la révolte légitime contre la confiscation du pouvoir politique par le clan du président défunt. Le tout, pour parvenir à un Tchad nouveau, un Tchad pour toutes et pour tous, un Tchad à l’abri de la peur et du besoin, un Tchad libre et démocratique, débarrassé des scories de la dictature et de la pensée unique. Vivement.

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