Kagamé, comme prévu ?

Publié le 8 août 2003 Lecture : 3 minutes.

Le Rwanda se prépare à vivre un moment historique : le 25 août, les 4 millions d’électeurs se rendront aux urnes pour élire leur président. Première consultation pluraliste depuis l’indépendance, en 1962, ce scrutin majeur – suivi en septembre par les législatives – marquera officiellement la fin d’un régime d’exception en vigueur depuis le génocide d’avril 1994. Après l’adoption, par référendum, le 26 mai dernier, d’une nouvelle Constitution instaurant le multipartisme et un régime semi-présidentiel « fort », le pays entend ainsi tourner définitivement, neuf ans après, la page « post-génocide ». Et pourtant, le traumatisme causé par la mort d’un million de Rwandais, des Tutsis, pour leur grande majorité, et des opposants hutus, est plus que jamais au coeur de cette campagne.
Ainsi qu’il l’a rappelé lors de son meeting inaugural à Kigali, la première cible du président Paul Kagamé, candidat du Front patriotique rwandais (FPR), le parti au pouvoir depuis 1994, reste ceux qui défendent « une idéologie divisionniste ». En clair, tous ceux qui, d’après lui, n’ont pas fait le deuil de ces discours « ethnicistes » qui ont conduit au génocide. Plus que tout, les autorités en place redoutent la communautarisation ostensible du scrutin.

Le souvenir du Burundi voisin résonne encore dans toutes les têtes : en 1993, la première élection présidentielle pluraliste avait vu la victoire de Melchior Ndadaye, issu de la communauté hutue majoritaire. Son assassinat, quelques mois plus tard, par des militaires tutsis sonna comme le véritable point de départ des massacres interethniques dans le pays. Mais, si le Burundi a choisi de fonder sa très fragile reconstruction sur la reconnaissance de la différence, le pouvoir de Kigali a joué, au contraire, la carte de l’unité.

la suite après cette publicité

C’est ainsi que, au nom de l’impérieuse réconciliation nationale, la loi interdit de faire référence de quelque manière que ce soit à l’appartenance ethnique ou religieuse. Une exigence civile renforcée par un strict contrôle de l’activité des partis. Depuis le vote de la nouvelle loi électorale, en juin dernier, les organisations politiques, jusqu’alors cantonnées à un simple rôle de composition au sein d’un gouvernement de consensus, peuvent officiellement se réunir et s’organiser. Mais représentées seulement au niveau provincial et non local, elles ne peuvent aller directement au contact des Rwandais sur les collines.
Dès l’ouverture de la campagne, Faustin Twagiramungu, seul véritable outsider de Paul Kagamé, a accusé le pouvoir FPR de mettre en place « une dictature dure ». Hutu modéré rescapé du génocide, il fut Premier ministre dans le gouvernement formé en juillet 1994, avant d’en être chassé un an plus tard. Il est revenu au pays à la fin du mois de juin pour briguer la magistrature suprême après huit années d’exil en Belgique. Le gouvernement avait alors déjà recommandé la dissolution de son parti, le Mouvement démocratique républicain (MDR), principal parti d’opposition et historiquement d’obédience hutue, accusé par un rapport parlementaire de défendre des idées « divisionnistes ». Une accusation dénoncée par l’ONG américaine Human Rights Watch comme une manoeuvre du FPR destinée à se débarrasser de toute opposition crédible à la veille des élections. Toujours est-il que, jusqu’à présent, la formation censée naître des cendres du MDR – l’Alliance pour la démocratie, l’équité et le progrès (ADEP- Mizero) – n’a toujours pas reçu l’agrément gouvernemental. Twagiramungu se présente donc en indépendant, privé du précieux soutien d’une structure politique.

Comment, dans ce contexte très troublé par les réminiscences de l’histoire récente, les Rwandais useront-ils de leur droit démocratique ? La majorité hutue de la population laissera-t-elle exprimer son appartenance ethnique dans le secret de l’isoloir ? La question reste ouverte, mais la grosse machine FPR, qui, de l’aveu même de son secrétaire général François Ngarambé, « regroupe 75 % des électeurs », ne devrait laisser que peu de place au suspens. Face à la peur généralisée du retour à la haine, le président Paul Kagamé garde l’avantage certain d’incarner l’image de l’homme fort qui a réussi à faire régner la sécurité dans un petit pays situé au centre de la poudrière des Grands Lacs. Quitte à faire écho au chaos du passé pour garantir son avenir face à des électeurs qui n’aspirent qu’à une chose : revivre normalement. n

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires