Intégration à la gabonaise

La capitale, qui s’est développée au rythme des flux migratoires, compte aujourd’hui un tiers d’étrangers. Principalement des Ouest-Africains.

Publié le 6 août 2003 Lecture : 3 minutes.

Libreville est en perpétuelle crise de croissance. La capitale ne comptait encore que 200 000 habitants il y a vingt ans. Ils sont maintenant 600 000, plus de la moitié de la population du Gabon, à avoir choisi de s’installer sur ses 8 300 hectares. Les quartiers fondateurs, Glass et Louis, sont aujourd’hui noyés au milieu des multiples appendices qui se sont greffés au gré des flux migratoires.
La ville n’est plus que la somme de constructions hétéroclites. Les « villages africains », traversés par un filet d’eau faisant office d’égout à ciel ouvert, poussent sans complexe à l’ombre d’immeubles des plus moderne. Seul le front de mer, vitrine économique du pays striée d’avenues coupées au cordeau, échappe à cet enchevêtrement pour se donner des airs de Croisette, certes un peu défraîchie.
Derrière cette « façade » grandissent des quartiers populaires aux noms quelque peu exotiques sous cette latitude – Plaine Niger, London, Batavia, La Sorbonne, ou Dakar – parfois même déconcertants pour le visiteur (Lalala, Derrière la prison, ou Venez-voir). C’est ici que bat le coeur de Libreville, le long des allées surpeuplées du marché central de Mont-Bouët ou dans les maquis assommés de bière et de musique, au bord du boulevard Jean-Paul-II, à quelques encablures à peine de Bercy, l’imposant et austère ministère de l’Économie et des Finances.
L’agglomération s’étire tout en contrastes sur près de 30 km de littoral, entre le poumon économique que constituent, au sud, le port d’Owendo et sa zone industrielle, et le tout nouveau quartier de la Sablière, au nord, à deux pas de l’aéroport, où vivent les nantis, cachés derrière leurs hauts murs d’enceinte. Une capitale qui grandit par quartiers entiers pour pouvoir abriter une population toujours plus nombreuse, lui donnant par endroits des allures de ville-champignon, comme dans les cités de Nzeng-Ayong, dernière excroissance de la ville.
« Depuis sa création, en 1849, Libreville a toujours été une terre d’accueil, explique Guy-Roger Ombanda Lendira, porte-parole de la municipalité. Pour les populations de l’intérieur du pays, dans un premier temps, puis pour celles d’Afrique de l’Ouest. » Attirés par la bonne santé économique du pays et séduits par sa stabilité politique, les « Ouest-Af’ », comme les appellent les Gabonais, se sont peu à peu emparés de toutes les activités délaissées par les locaux. Le chauffeur de taxi est béninois ou ghanéen, le barman du célèbre « Couloir de la mort » (couche-tôt s’abstenir) de Lalala arrive tout droit du Congo, alors que le marchand à la sauvette de Petit-Paris, avec sa gouaille parfois provocatrice, vient du Nigeria ou du Cameroun. Les Ouest-Af’ sont aujourd’hui les ressortissants étrangers les plus nombreux. En ajoutant les communautés européenne, libanaise et asiatique, la population non gabonaise serait actuellement estimée à près de 200 000 personnes, soit plus du tiers des Librevillois.
Mais les difficultés économiques auxquelles le pays doit aujourd’hui faire face provoquent d’importantes tensions entre les communautés ouest-africaines et les Gabonais. Certains Librevillois n’hésitent pas à dire que, avec 35 % d’étrangers dans la capitale, « le seuil de tolérance a été franchi ». Les anglophones, qui concentrent le gros des rancoeurs, se voient accusés de tous les maux. L’augmentation de la délinquance et des actes de banditisme ? Ne cherchez pas plus loin… En septembre 2002, c’est pour éliminer « un repaire de bandits » qu’un village de pêcheurs nigérians situé au pont Nomba a été évacué de force par les autorités.
Et puis, la crise aidant, les Gabonais commencent à lorgner du côté de petits métiers qu’ils boudaient auparavant. Les principaux carrefours de la capitale sont ainsi envahis par de jeunes Librevillois qui remontent les files de 4×4 rutilants et de vieilles guimbardes pétaradantes pour proposer des cartes de téléphone prépayées, des vêtements ou les journaux du jour. « Ce qui était impensable auparavant », observe Guy Rossatanga-Rignault, secrétaire général de l’université Omar-Bongo et auteur de plusieurs ouvrages sur le Gabon. La formidable capacité d’intégration développée jusqu’alors par le pays commencerait-elle à se lézarder ? S’il n’y a pas de risque, au Gabon, que la question des étrangers devienne un enjeu politique, elle pourrait tout de même, à terme, devenir un problème de société.

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