Ils ont eu tort d’avoir raison

Publié le 18 août 2003 Lecture : 5 minutes.

Aux États-Unis, donner son avis lorsqu’il contredit la volonté des puissants peut valoir quelques désagréments. Quatre personnalités de premier rang en ont fait l’amère expérience.

Général Anthony Zinni
Ancien commandant d’une compagnie de marines au Vietnam, décoré du Purple Heart, la plus ancienne médaille militaire américaine, créée par George Washington pour récompenser les soldats blessés au combat, le général Anthony Zinni a dirigé les troupes américaines en Somalie puis dans la région du golfe Persique. En retraite de l’armée, il est nommé envoyé spécial au Moyen-Orient de l’administration du président George W. Bush.
Le 23 août 2002, devant le Florida Economic Group, il définit sa conception des priorités pour les États-Unis : d’abord le processus de paix entre Israéliens et Palestiniens, ensuite la guerre contre le terrorisme, puis la situation en Afghanistan, au Pakistan et en Asie centrale. À une question sur l’éventualité d’une guerre en Irak, il répond qu’elle ne sera pas nécessaire vu qu’il existe d’autres moyens de « contrôler » Saddam Hussein.
Le 10 octobre de la même année, au cours d’une allocution devant l’Institut du Moyen-Orient, un groupe de réflexion basé à Washington, Tony Zinni énumère les dix conditions nécessaires à la réussite d’une opération militaire en Irak. Il fait également part de ses craintes et parle des conséquences « calamiteuses » d’une guerre qui chasserait Saddam Hussein du pouvoir. « Si nous pensons que la guerre est une solution rapide pour changer le gouvernement en Irak, alors nous ne comprenons pas l’histoire, la nature du pays et les divisions qui naîtront immanquablement du déchaînement des passions après le départ de Saddam. » Il pense que la période de transition durera plus de deux ans.
Conséquence, résumée par l’intéressé : « On m’a accusé d’avoir retourné ma veste, et j’ai été qualifié de traître par le département de la Défense. » Lorsque George W. Bush a décidé de tenter une nouvelle offensive diplomatique pour la paix au Moyen-Orient, Anthony Zinni a été écarté au profit d’un diplomate de carrière.

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Lawrence Lindsey
Patron du bureau des conseillers économiques de la présidence, Lawrence Lindsey évalue, en septembre 2002, dans une interview au quotidien américain The Wall Street Journal, à 100 milliards, voire à 200 milliards de dollars le coût d’un éventuel conflit. Il ne doute cependant pas des vertus de la guerre : « Quel que soit le prix, il sera de toute façon moins élevé que si nous laissons Saddam Hussein au pouvoir. »
Aussitôt, le porte-parole de la Maison Blanche Ari Fleischer fait savoir que ces propos sont « jugés prématurés ». Même si le moins informé des citoyens américains voit déjà clairement que son président s’achemine vers une nouvelle guerre contre l’Irak, l’administration tient à ce qu’il croie l’opération bien moins coûteuse. Par ailleurs, le Congrès a déjà accepté une rallonge budgétaire de 62 milliards de dollars, et une autre est à l’étude.
Aujourd’hui, le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld avoue que l’occupation de l’Irak coûte 3,9 milliards de dollars par mois. Cela signifie que Lawrence Lindsey avait raison. Mais il n’est plus là pour le dire, il a été mis au placard en décembre dernier à la faveur d’un remaniement de personnel.

Général Eric K. Shinseki
Le général Shinseki est une grosse pointure de l’armée américaine. Diplômé de West Point, décoré de deux Purple Heart et de quatre Étoiles de bronze, une médaille créée en 1941 pour récompenser les actes d’héroïsme, il a trente-quatre ans de carrière, dont dix passés en Europe, à Heidelberg en Allemagne, puis en Bosnie-Herzégovine. Bien que peu apprécié par Donald Rumsfeld, il est resté responsable du personnel militaire de 1999 à 2003.
En février 2003, il explique devant le Congrès qu’il faudra prévoir 200 000 soldats pour l’occupation de l’Irak après les opérations militaires, le temps que les soldats irakiens soient suffisamment entraînés pour être opérationnels. Par conséquent, il demande un budget, pour l’année 2004, de 93,9 milliards de dollars. Le secrétaire adjoint à la Défense Paul Wolfowitz réplique immédiatement : « Cette estimation est très largement au-dessus de la réalité. » Deux cent mille militaires sont déjà mobilisés pour l’offensive.
Les derniers chiffres publiés par le Pentagone indiquent que 148 000 Américains sont actuellement en Irak, secondés par 19 000 hommes provenant d’autres pays. L’administration Bush espère que la contribution des pays alliés ajoutera un complément de 30 000 hommes vers le mois d’octobre. Le compte est bon pour Shinseki, d’autant plus que la multiplication des attaques contre les troupes coalisées ont conduit Donald Rumsfeld à déclarer qu’il pourrait y avoir un accroissement des forces.
Le général Eric Shinseki jouait gros en donnant son avis. Comme il avait atteint l’âge de la retraite, il est parti en juin. Personne ne lui a demandé de rester, ni confié une autre mission.

Joseph C. Wilson
Envoyé par la CIA au Niger, en février 2002, pour enquêter sur un éventuel achat d’uranium par l’Irak, Joseph C. Wilson affirme, à son retour, que cette hypothèse est impossible. Pourtant, le président Bush citera cet argument dans son discours à la Nation, le 28 janvier 2003, pour convaincre les Américains de la nécessité d’une guerre contre l’Irak. Le 6 juillet, Wilson rappelle les conclusions de son enquête dans les colonnes du New York Times (Voir J.A.I. n° 2219).
Le 14 juillet, la mission de Joe Wilson fait l’objet d’un article au vitriol dans le magazine électronique Townhall.com, signé par Robert Novak, éditorialiste conservateur. Celui-ci affirme d’abord que l’enquête n’est qu’une commande de routine, faite à un petit niveau, et que le directeur de la CIA, George Tenet, n’en a même pas été informé. De plus, ses résultats ne peuvent être considérés comme définitifs, car ils s’appuient essentiellement sur les témoignages des Nigériens, ce qui ne constitue pas une preuve. « Wilson n’a jamais travaillé pour la CIA. En revanche, son épouse, Valerie Plame, est un agent opérationnel de la division de lutte contre les armes de destruction massive. Deux hauts fonctionnaires de l’administration m’ont dit que c’est elle qui a suggéré cette mission au Niger », écrit Novak.
Joe Wilson est atterré. Comme il n’a rien à perdre, il contre-attaque dans les colonnes du Financial Times, s’affirmant l’objet d’une « campagne visant à nuire à notre réputation et probablement destinée à intimider ceux qui voudraient faire des révélations ». Et ajoute, avec raison : « Cette révélation ouvre une brèche dans la sécurité nationale », susceptible de compromettre les opérations effectuées par Valerie. La Maison Blanche nie toute implication, d’autant plus qu’aux États-Unis une loi punit de trois ans d’emprisonnement quiconque dévoile le nom d’un agent de la CIA. Wilson, l’ancien « monsieur Afrique » de l’administration Clinton, n’est pas une cible facile : « Le véritable problème, c’est la crédibilité du président Bush », écrit-il, en guise de conclusion, dans sa contribution au Financial Times.

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