Grands desseins et petits profits

Publié le 8 août 2003 Lecture : 2 minutes.

La pratique est courante chez les dieux du stade ou les stars du show-biz. Beaucoup moins chez les responsables politiques en activité. C’est comme ça : quand ils s’expriment dans les médias, on attend naïvement d’eux qu’ils défendent une stratégie, une conception du monde, un choix idéologique, voire, rêvons un peu, une vision de l’Histoire. En aucun cas ils ne sont censés arrondir leurs fins de mois, ce qui est d’ailleurs un peu injuste : leur rôle est-il si différent de celui d’un animateur de télévision ?
Apparemment, les choses sont en train de changer. Et Richard Perle est, de ce point de vue aussi, un précurseur. Inventeur (avec Paul Wolfowitz) du concept de « guerre préventive », l’ancien patron du Defense Policy Board (DPB), un organisme consultatif chargé de conseiller l’administration américaine, n’en est pas à son premier coup d’essai. Pour lui, la frontière entre la politique et le business a toujours été floue. Ce n’est sans doute pas pour rien qu’il a été surnommé Prince of Darkness [le Prince des Ténèbres], terme qui, dans la Bible, désigne tour à tour Lucifer, l’ange déchu, et Satan.
Au mois de mars, en pleine préparation de la guerre en Irak, l’excellent Seymour Hersh avait, dans The New Yorker, révélé l’existence d’obscures tractations entre Perle, agissant en tant qu’administrateur de la société Trireme Partners, et des responsables saoudiens, par l’intermédiaire du marchand d’armes Adnan Kashoggi. Quelques jours plus tard, le New York Times avait levé un nouveau lièvre : le président du DPB avait accepté une commission de 725 000 dollars pour obtenir le feu vert du Pentagone pour le rachat de Global Crossing, une entreprise de pointe dans le secteur des télécoms, par un conglomérat de Hong Kong. Scandale, démission…
Comparée à ces deals planétaires, la nouvelle affaire rendue publique par l’hebdomadaire américain The Nation fait figure de broutille, mais n’en est pas moins symbolique. Il apparaît en effet qu’avant de commenter pour les médias étrangers la politique de défense de son pays, Perle n’omet jamais de poser une question préalable : « Quel est le montant des honoraires ? » Celui-ci est en général modeste, voire ridicule (entre 100 dollars et 900 dollars), mais il n’y a pas de petits profits. « Il monnaie sa notoriété », commente Harold Brown, l’un de ses collègues du DPB, qui fut secrétaire à la Défense sous Jimmy Carter.
Perle jure ses grands dieux que ces transactions n’ont, pour un membre de l’administration, rien de répréhensible. Et que, en tout cas, la législation fédérale ne les proscrit pas formellement. Tout le monde n’est pas de cet avis, même au Pentagone. Et le conseiller de Donald Rumsfeld le sait si bien qu’il évite, avant de répondre aux questions d’un journaliste, de se prévaloir de sa qualité d’ancien président du DPB, préférant se présenter comme « membre de l’American Enterprise Institute », l’un des plus prestigieux think-tanks de Washington.
Quant aux médias étrangers, singulièrement les chaînes de télé, ils rechignent généralement à payer pour une interview politique. « Quand nous faisons une exception à cette règle, ce ne peut être que pour une personnalité haut de gamme comme Richard Perle », confie un producteur japonais cité par The Nation. On s’en doutait.

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