Embarquement pour l’aventure

L’écrivain haïtien Louis-Philippe Dalembert nous entraîne à sa suite dans un périple plein de péripéties. De port en bouge et de femme en femme.

Publié le 6 août 2003 Lecture : 5 minutes.

Louis-Philippe Dalembert est né en 1962 en Haïti. Baroudeur, il a traîné ses guêtres de l’Amérique au Moyen-Orient, en passant par l’Afrique. Après L’Autre Face de la mer et Le Crayon du bon Dieu n’a pas de gomme, il se lance dans le roman d’aventures. Rencontre.

Jeune Afrique/l’intelligent : Pourquoi un livre d’aventures ?
Louis-Philippe Dalembert : Il s’agissait avant tout de raconter une histoire. Il m’a semblé que le genre dit « d’aventures » permettait d’atteindre cet objectif. Mais, à mon sens, L’Île du bout des rêves n’est pas un vrai roman d’aventures. Pour la simple et bonne raison que je n’ai pas ce talent. Mon souci a été d’écrire un livre qui tienne le lecteur en haleine. Où il se sente comme happé par les chapitres. Et ce dans une langue qui ne se referme pas sur elle-même, qui invite le lecteur à entrer dans l’histoire. Un peu prétentieux, non ? J’espère être arrivé à sortir du genre « description de mon nombril, marque de la pâtée de mon chien ou toilette de mon chat ».
En vous lisant, j’ai eu parfois l’impression de regarder un film bien construit…
Certains critiques ont effectivement fait le parallèle avec le langage cinématographique pour qualifier mon écriture. Je parlerais plutôt d’écriture visuelle. J’ai grandi dans la Caraïbe des années 1960 et 1970, à une époque où l’on racontait encore des contes. C’était le rôle des grand-mères et des servantes venues souvent de milieu rural. Une mère institutrice a fait entrer le livre dans mon univers. Et les drive-in, ces fameux cinémas à ciel ouvert, y ont apporté la modernité. Une véritable révolution. Dans la seule ville de Port-au-Prince, il y en avait quatre ; pas trop loin du quartier où j’habitais. L’un d’eux se trouvait à quelques jets de pierres de la maison familiale, de l’autre côté d’une ravine. Le soir, une bonne partie du quartier se réunissait à la belle étoile pour suivre les derniers westerns-spaghettis et les premiers kung-fu. Les enfants n’y avaient droit que le week-end. Mais nous étions passés maîtres dans l’art de déjouer l’attention des parents pour en profiter pendant la semaine. Le hic, c’est qu’on n’avait pas le son. Mais il y en avait toujours un, voire plusieurs, pour faire la bande sonore. Tout cela m’a forcément marqué. Une bonne part de ma culture cinématographique et narrative s’est construite là, sous un vieux manguier. Pour moi, raconter c’est d’abord et avant tout donner à voir.
Et que vouliez-vous donner à voir ?
En fait, c’est l’histoire d’un mec, comme dirait Coluche, qui rencontre une fille dans un bar de Naples. Au bout d’une nuit de discussion agréable, elle l’invite à la suivre sur son bateau. Juste quelques vagues, dit-elle. Mais il refuse, autant par manque d’argent que par peur de cohabiter avec une femme. La rencontre aura tout de même une suite, puisque la fille lui enverra des cartes postales à chacune de ses escales. Un beau jour, il décide d’aller la chercher à Santiago de Cuba. Et c’est là que les ennuis commencent. D’aventure féminine en quête de trésor, l’histoire finit par devenir politique. On voit l’homme se battre contre ses démons, résister de toute sa force de cocu de l’Histoire.
Parlons du style. Il y a là quelque chose d’assez inattendu dans un roman de bourlingue et de chasse au trésor : l’humour.
Parce que c’est un roman écrit à la première personne. L’autodérision aide à prendre une distance salutaire. Mais aussi parce que c’est un roman du désenchantement. Il ne faut pas trop se fier au côté allègre du récit, à la sensualité, des scènes comme de l’écriture d’ailleurs. Le narrateur est plutôt désabusé. Il a un regard sans concession sur le monde et sur l’humain. Conséquence de blessures mal refermées. Et s’il se retrouve en fin de compte mêlé à la politique, c’est presque malgré lui, car il croyait y avoir tourné le dos et ne voulait plus s’identifier à aucun combat collectif. L’humour est une manière de thérapie pour le narrateur… et peut-être aussi pour l’auteur.
Narrateur ou auteur, les deux ont un faible pour le beau sexe…
Il y a effectivement beaucoup de figures féminines. Normal, non ? Ce roman peut être lu comme une quête de la femme idéale. Mais pour les femmes qui s’approchent du narrateur, la tâche est loin d’être aisée. L’homme tient à sa liberté. D’un côté, il est accompagné du souvenir obsédant de sa grand-mère. De l’autre, il y a la femme rencontrée à Naples. Et entre les deux, il y a les autres : des rencontres furtives, des inconnues, des amies… Certaines laissent un nom, une silhouette, comme Esmeralda, Luz la Dominicaine, la mère maquerelle au grand coeur, les mulâtresses de Santiago de Cuba, et surtout Pauline Bonaparte. On le sent fasciné par cette femme, en avance sur son temps, qui changeait d’homme comme de petite culotte.
Quelle place occupe ce livre dans votre oeuvre ?
C’est à la fois un roman de rupture et de continuité. De continuité d’abord, car on y retrouve certains des thèmes qui me sont chers : la femme, l’Ancien Testament, le vagabondage, que d’autres appellent errance, et qui est pour moi le refus de l’enracinement. Ainsi que l’utilisation, à un autre niveau, des proverbes, sources de sagesse populaire. De rupture enfin, car c’est le premier roman qui n’a rien à voir avec Haïti, même si une partie du récit se déroule sur l’île de la Tortue. D’un autre côté, j’avais à coeur de raconter une histoire, avec un début, une série d’événements qui se succèdent et une fin, sans pour autant clore l’histoire sur elle-même. Et ça aussi, c’est nouveau chez moi. Tout n’est pas focalisé sur la langue, sur ce que je nommerais de manière péjorative « la belle langue ». Encore qu’elle pointe de temps en temps le bout de son nez. L’âne, dit-on en Haïti, a beau mettre un chapeau, on voit quand même ses oreilles.
Vous vivez entre Rome, Paris et le grand large…
Si l’histoire commence à Naples et se poursuit dans la Caraïbe avant de revenir sur les bords du Vésuve, ce n’est pas un hasard. C’est pour moi une manière de tisser une passerelle entre la Méditerranée, la vraie, et ce que l’écrivain cubain Alejo Carpentier nomme la Méditerranée caraïbe. Les deux sont des lieux de passage, de rencontres, de mélange des cultures et des peuples. Je ne me sens jamais aussi proche de la Caraïbe que quand je suis à Naples… ou à Rome.

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