[Tribune] Santé publique : il est plus qu’urgent d’éliminer la fistule obstétricale

Trop fréquente chez les femmes venant d’accoucher, la fistule obstétricale est à la fois stigmatisante et handicapante. Pourtant, elle pourrait parfaitement être éradiquée. Reste à en faire une priorité et à s’en donner les moyens.

Le centre de santé de l’ONG Dimol (« dignité ») soigne les femmes souffrant de fistule obstétricale (une blessure qui affecte les filles mariées trop jeunes) à Niamey, le 19 février 2016. © Issouf Sanogo/AFP

Le centre de santé de l’ONG Dimol (« dignité ») soigne les femmes souffrant de fistule obstétricale (une blessure qui affecte les filles mariées trop jeunes) à Niamey, le 19 février 2016. © Issouf Sanogo/AFP

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  • Mabingué Ngom

    Conseiller spécial du directeur exécutif de l’UNFPA et directeur du bureau de représentation de l’UNFPA auprès de l’Union africaine et de la commission économique des Nations unies en Afrique.

Publié le 1 mai 2021 Lecture : 4 minutes.

C’est en Afrique que se concentrent entre 600 000 et 1 million des 2 millions de cas de fistule obstétricale recensés dans le monde par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Avec 30 000 nouveaux cas par an en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, dont environ 3 000 sont traités, ce problème de santé publique représente une parfaite anomalie en 2021. Une situation d’autant plus inacceptable que l’élimination de la fistule obstétricale figure parmi les objectifs de développement durable (ODD).

Isolement social

Cette maladie évitable, souvent négligée et encore tabou dans nos sociétés, désigne une perforation de la paroi vaginale lors d’accouchements difficiles, pour lesquels l’accès à une césarienne n’a pas été possible. L’ouverture anormale entre le vagin et le système génito-urinaire ou le rectum (voire les deux) entraîne une incontinence chronique, et parfois la stérilité. Dépression, isolement social et pauvreté aggravée figurent aussi parmi ses conséquences, dans la mesure où les femmes qui en souffrent sont le plus souvent rejetées par leur conjoint, ostracisées par leur communauté et dans l’impossibilité de travailler.

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En clair, cette pathologie persiste en raison de la faiblesse des systèmes de santé, mais aussi des mariages d’enfants et des grossesses précoces. En Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, une jeune fille sur dix est mariée avant ses 15 ans, et 42 % des mariages se font avant l’âge de 18 ans.

Une campagne mondiale a permis de soutenir 113 000 opérations chirurgicales

Pour résoudre cette question de dignité humaine, il faut prévenir, mais aussi se donner les moyens de traiter et de réinsérer. Le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA) a déjà lancé en 2003, dans 55 pays, une campagne mondiale contre la fistule. Celle-ci a permis de soutenir 113 000 opérations chirurgicales à fin 2019, et d’éviter des centaines de milliers de nouveaux cas.

Objectif : zéro nouveau cas non traité d’ici 2030

Afin d’accélérer le pas, une stratégie régionale a été lancée fin mars à Niamey, lors d’un forum parrainé et accueilli par Lalla Malika Issoufou, médecin et ancienne première dame du Niger, décidée à faire de la fistule une question du passé. La mobilisation a été forte. Des représentants de 45 pays et les épouses des présidents des Comores, du Tchad et de la Sierra Leone se sont réunis autour de l’objectif défini : zéro nouveau cas non traité d’ici 2030, et 80 % des anciens cas pris en charge.

Le chemin peut paraître ardu au regard du contexte actuel. Seulement 600 femmes ont été soignées au Cameroun depuis 2016, pour une prévalence de 20 000 cas, avec 2 000 nouveaux cas par an, selon la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC). Au Tchad, 286 femmes en moyenne ont été opérées chaque année de 2012 à 2020, contre 250 à 750 non traitées, selon les autorités. Quant au nombre de centres soignant la fistule obstétricale, il reste limité. Le Cap-Vert n’en compte aucun et le Tchad deux, contre onze au Niger et seize au Sénégal.

600 femmes opérées chaque année en Côte d’Ivoire

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Des exemples d’actions réussies méritent d’être soulignés, et doivent se généraliser. Depuis 2012, l’appui de l’Agence coréenne de coopération internationale (Koica) apporté à l’UNFPA et l’État, à hauteur de 16 millions de dollars, a ainsi permis d’opérer près de 600 femmes par an en Côte d’Ivoire.

Quand traiter coûte moins cher que l’inaction

Un tel effort n’est pas seulement possible, il est souhaitable. Une enquête de l’UNFPA menée auprès de 49 survivantes et 25 spécialistes de la fistule obstétricale au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, en Guinée, au Niger, au Sénégal et au Tchad a montré que les femmes vivent avec ce mal pendant 7,5 ans en moyenne. L’impact financier de la maladie – perte de revenus et dépenses en soins et médicaments – a été estimé à 788 dollars par an pour la survivante et sa famille, et à 192 dollars pour le système de santé.

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Soit un total de 7 350 dollars sur une période de 7,5 ans, alors que soigner chaque patiente ne coûte pas plus de 1 500 dollars tout compris (sensibilisation, suivi communautaire, examen et chirurgie, réinsertion sociale, renforcement des capacités des médecins et infirmières).

Un appel aux donateurs a été lancé pour financer l’action à mener avant 2030, estimée à 82,6 millions de dollars. L’objectif : identifier et suivre les cas de fistule dans 42 000 communautés rurales à travers 23 pays, examiner 202 000 femmes, en opérer 67 000 et en réinsérer 54 000 avec une aide sociale. Il s’agit, en outre, d’organiser un mentoring sur la fistule auprès de 210 hôpitaux et faire entrer la maladie dans le curriculum des écoles de santé et d’action sociale, de faire passer le message auprès des chefs traditionnels et religieux de chaque communauté rurale, et de lancer des campagnes de prévention sur les radios nationales.

L’effort d’éradication de la fistule obstétricale s’inscrit dans l’action plus générale de l’UNFPA, qui vise l’accès universel à la planification familiale et aux soins de santé sexuelle et reproductive, la fin des mariages des enfants, l’accès aux accouchements assistés médicalement et aux soins obstétricaux d’urgence. Les neuf années qui viennent seront décisives, afin de ne laisser aucune femme se débattre seule face à son handicap.

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