Crise de confiance

La concurrence se fait rude sur le marché du bois tropical, et les exploitants ont du mal à digérer les nouvelles taxes propres à la filière. Explications.

Publié le 6 août 2003 Lecture : 4 minutes.

Les Gabonais tiennent à leurs arbres comme à la prunelle de leurs yeux. Et pour cause : si le secteur forestier ne contribuait que pour 3 % au Produit intérieur brut gabonais en 2002, il n’en est pas moins le deuxième employeur du pays (près de 28 % de la population active), derrière la fonction publique. Surtout, à l’heure où les puits de pétrole se tarissent (et donc où les caisses se vident), les regards se tournent de plus en plus vers ces forêts qui couvrent 85 % de la superficie du territoire et offrent, par conséquent, de sérieuses garanties pour l’avenir économique du pays. Certes, l’or vert ne pourra jamais remplacer l’or noir au Gabon, mais il peut générer des revenus non négligeables grâce aux activités de première transformation – déroulage, sciage et production de contre-plaqué.
Reste à dissiper ce que l’on appelle un « léger malentendu » entre les opérateurs privés et l’État. Pour résumer, les premiers s’opposent au second depuis la fin de l’année 2002 sur la forte augmentation des différents impôts et autres taxes propres à la filière, décidée dans le cadre de la loi de finances 2003. Les grandes sociétés reprochant entre autres aux autorités la précipitation et le manque de concertation dont elles ont fait preuve. Plus prosaïquement, les forestiers n’apprécient guère que, pour satisfaire aux exigences des institutions de Bretton Woods sur la diversification des sources de recettes, l’État ait décidé de faire passer la taxe à la superficie à 600 F CFA (0,91 euro) à l’hectare, qui oscillait, il est vrai, entre 4 F CFA et 20 F CFA auparavant.
« Il n’est pas question de refuser de payer des impôts, à condition qu’ils soient incitatifs et non pas restrictifs », précise un des principaux opérateurs de la place. Non, ce que lui et ses confrères n’admettent pas, c’est que cette nouvelle taxation soit censée s’appliquer à toutes les superficies, y compris celles faisant l’objet d’une politique d’aménagement dans le cadre du programme de gestion pérenne de la ressource forestière, initié au Gabon en 1996. Pourquoi, se demandent-ils, laisser reposer des terres s’ils doivent payer la même somme que pour les surfaces exploitées ? Cela ne risque-t-il pas, au contraire, d’inciter les moins scrupuleux à pratiquer une exploitation sauvage, dommageable pour le couvert forestier ? Sans compter que le manque de visibilité et de confiance que cette crise engendre bloque les investissements des opérateurs. Au final, la décision du gouvernement serait, à en croire ces derniers, contre-productive pour la filière. Pour l’heure, ils refusent de s’acquitter du montant de l’augmentation et poursuivent les négociations avec l’État. En juin, celui-ci a tenté de calmer les esprits en assurant au Fonds monétaire international que la nouvelle fiscalité tiendrait compte, dans ses barèmes, des surfaces aménagées et donc gérées de manière durable.
Mais les forestiers entendent également profiter de l’occasion pour rediscuter du statut de la Société nationale des bois du Gabon (SNBG). Détenue à 51 % par l’État, cette société est en situation de monopole sur la commercialisation des grumes d’okoumé. Depuis 1993, elle exportait avec succès ses bois de déroulage vers les très demandeurs marchés asiatiques. Mais la crise qui a frappé de plein fouet lesdits marchés en 1998 a bien failli, un an plus tard, amener la SNBG au dépôt de bilan. Les principaux opérateurs souhaiteraient aujourd’hui s’affranchir d’une société dont ils jugent la gestion approximative…
Pour ne rien arranger, l’arrivée sur les marchés asiatiques, en 2000, de la concurrence congolaise et équatoguinéenne a porté un coup à l’okoumé gabonais, qui a représenté jusqu’à 85 % des exportations forestières du pays. Entre 2001 et 2002, ses ventes à l’export ont ainsi baissé de 18 %, après, déjà, avoir perdu 12,5 % l’année précédente. Avec 1,24 million de m3 débités en 2002, l’okoumé ne représente plus que 65 % des exportations (dont les deux tiers pour le marché chinois). Et une reprise à la hausse est peu probable. Le Gabon, premier pays d’Afrique centrale à disposer de forêts certifiées et aménagées, doit en effet se plier aux directives imposées aux exploitants dans le cadre de cette gestion durable, qui oblige à réorienter toute progression de la production vers des essences jusqu’alors sous-exploitées. En 2002, le pays a ainsi exporté 55 essences différentes. Mais, comme la plupart d’entre elles sont encore inconnues des acheteurs potentiels, leur exploitation demande d’importants efforts de promotion.
Dans ce contexte plutôt morose, le Gabon enregistre avec satisfaction une augmentation de la production transformée localement, qui a culminé à 21 % en 2002, contre seulement 7,5 % en 1998. Si ce résultat est encore loin de l’objectif fixé par le gouvernement – 75 % d’ici à 2015 -, il montre néanmoins la volonté des pouvoirs publics d’encourager une industrialisation de la filière, seule solution à même d’entraîner, à court terme, une diversification de l’économie. Reste que la méfiance qui prévaut chez les forestiers risque de freiner la croissance des activités de première transformation, faute d’investissements suffisants. À moins que les négociations en cours avec l’État n’inversent la tendance dans les prochains mois. n

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