Coup de tonnerre à Manhattan

Accueilli favorablement par le Polisario et rejeté par le Maroc, le plan de paix proposé par l’ancien secrétaire d’État américain James Baker a été adopté à l’unanimité par le Conseil de sécurité de l’ONU, le 31 juillet.

Publié le 8 août 2003 Lecture : 4 minutes.

Tout le monde en était convaincu : ce 31 juillet serait chaud, à New York. En particulier dans le palais de verre des Nations unies, à Manhattan. C’est en effet ce jour-là que le Conseil de sécurité devait aborder la question du Sahara occidental, territoire que se disputent le Maroc et les indépendantistes du Polisario, soutenus et hébergés par l’Algérie.
L’Onu est saisie du dossier depuis plus d’une décennie, mais, jusqu’à présent, ses décisions s’étaient, pour l’essentiel, bornées à proroger le mandat de la Mission onusienne d’observation (Minurso). Rien de tel, cette fois. Prenant acte de la vanité des efforts de la communauté internationale pour régler le différend, le Conseil de sécurité a, dans sa résolution 1429 (juillet 2002), demandé à Kofi Annan et à son envoyé personnel au Sahara occidental, l’ancien secrétaire d’État américain James Baker, de lui soumettre un ultime plan de paix prenant en compte les doléances des deux parties. Étant entendu qu’une fois entériné par lui, le texte ne serait plus négociable.
Assisté par une équipe de spécialistes de droit constitutionnel, Baker s’attelle à la tâche et, au mois de janvier dernier, son « Plan de paix pour l’autodétermination du peuple du Sahara occidental » est présenté et expliqué aux représentants du Maroc, du Polisario, de l’Algérie et de la Mauritanie, puis, deux mois plus tard, transmis au Conseil de sécurité. La question est alors inscrite à l’ordre du jour de la séance du 31 juillet… Seul problème : pour des raisons évidemment différentes, le plan Baker ne satisfait ni les Marocains ni les Sahraouis.
On en reste là jusqu’à la fin du mois de juin. Et un double coup de théâtre. C’est d’abord John Negroponte, le représentant permanent des États-Unis auprès de l’ONU, qui présente un projet de résolution entérinant le plan Baker. Quelques jours plus tard, ledit plan est finalement accepté par les représentants du Polisario et de l’Algérie. À un mois de l’échéance, prise de court, la diplomatie marocaine en est réduite à tenter d’empêcher l’adoption du projet de résolution américain.
Pourquoi le Maroc rejette-t-il la solution Baker ? Il y a d’abord l’intitulé : Plan de paix pour l’autodétermination du peuple du Sahara occidental. « Un référendum ne saurait être envisagé sans porter atteinte à l’intégrité territoriale du royaume », estiment les diplomates marocains. Mais il y a pis. Le plan prévoit en effet, avant la tenue du référendum, une période transitoire d’une durée de quatre à cinq ans, au cours de laquelle la gestion des affaires du territoire serait confiée à une Autorité du Sahara occidental (ASO) dirigée par un chef de l’exécutif élu. Le corps électoral serait composé des « personnes âgées d’au moins 18 ans, dont le nom figure soit sur la liste électorale provisoire du 30 décembre 1999 [établie sur la base du recensement de 1974, NDLR], soit sur la liste des rapatriements établie par le HCR au 31 octobre ». Les recours introduits par les deux parties ne seraient plus pris en compte. En additionnant ces deux listes, on arrive au chiffre de 86 000 électeurs. Les membres des tribus que les Marocains souhaitent intégrer au corps électoral ne seraient pas pris en compte. Autant dire que l’ASO serait contrôlée par le Polisario.
Ses domaines de compétence seraient en effet très étendus. Ils comprendraient : l’administration locale, le budget territorial, la fiscalité, le développement économique, la sécurité intérieure, le maintien de l’ordre, la protection sociale, la culture, l’éducation, le commerce, les transports, l’agriculture, les mines, la pêche, l’industrie, l’environnement, le logement, l’eau et l’électricité, les infrastructures routières et l’équipement. Bref, l’ASO ressemblerait beaucoup à l’Autorité palestinienne telle que définie par les accords d’Oslo.
Pour sa part, le Maroc prendrait en charge les relations extérieures, la souveraineté nationale et la défense extérieure, ainsi que l’ensemble des questions relatives à la production, à la vente, à la possession et à l’emploi des armes et des explosifs (à l’exclusion de l’armement destiné aux forces de maintien de l’ordre de l’ASO).
Par ailleurs, l’Autorité sahraouie disposerait d’un organe législatif élu. Celui-ci serait habilité à légiférer dans tous les domaines ne relevant pas de la compétence exclusive du Maroc. Concernant le pouvoir judiciaire, c’est le chef de l’exécutif, a priori le président de l’Autorité ou un Premier ministre, qui serait appelé à nommer les membres de la Cour suprême et les magistrats des juridictions inférieures. On comprend mieux, dès lors, le rejet par les Marocains d’un plan qui, selon un diplomate africain, rappelle le processus qui, au début des années 1960, conduisit à l’émancipation progressive de l’Afrique-Occidentale française (AOF).
Contre toute attente, la journée du 31 juillet n’a pas été spécialement chaude, à New York. On attendait une bataille diplomatique autour du projet de résolution américain, on n’a eu droit qu’à une escarmouche. Le représentant de la France a bien proposé un amendement visant à renégocier le plan Baker, mais celui-ci a été rejeté et la résolution adoptée à l’unanimité des (quinze) votants. Les deux parties ont jusqu’au 31 octobre pour mettre en oeuvre les dispositions du plan.

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