Comment sortir de l’ornière ?

Pauvreté, analphabétisme, inégalités, surendettement… Malgré les réformes engagées par le gouvernement, les défis à relever restent immenses.

Publié le 6 août 2003 Lecture : 6 minutes.

Surendettement, surpopulation, rareté des ressources naturelles, taux d’analphabétisme élevé, déséquilibre villes-campagnes : le Rwanda, petite république de 8,5 millions d’habitants enclavée au coeur de l’Afrique des Grands Lacs, cumule les handicaps structurels. À ce tableau désolant, il faut bien sûr ajouter le génocide de 1994 et son million de morts, qui avait alors entraîné une chute de 65 % du Produit intérieur brut (PIB) sur l’année.
Pourtant, le pays des Mille Collines a su rebondir. Il affiche aujourd’hui des performances qui lui valent d’être cité en exemple par les experts du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale. En 2002, la croissance a atteint 8 % et l’inflation a été contenue à 2 %. Et, si tout va bien, le Rwanda devrait bénéficier dès septembre-octobre 2003 de l’annulation d’une tranche très importante de sa dette multilatérale. Celle-ci serait alors ramenée de 1,3 milliard de dollars (1,15 milliard d’euros) à 450 millions, soit un effacement de 850 millions de dollars. Troisième poste de dépenses après l’éducation et la défense, le service de la dette absorbe chaque année 18 millions de dollars, soit 20 % des recettes d’exportations. « Le Rwanda a déjà bénéficié, en partie, des dividendes d’une gestion saine, précise Donald Kaberuka, ministre des Finances et de la Planification économique, et ce depuis 1997. Comme nous sommes dans la phase d’achèvement de l’initiative PPTE (Pays pauvres très endettés), le service de la dette est allégé de moitié. Autrement, il serait de 36 millions de dollars. »
Pour un pays en pleine reconstruction, l’accès au crédit bon marché revêt une importance décisive. Car le déficit public avoisine les 9 % du PIB. Le recours à l’emprunt domestique pour combler un trou des finances publiques d’une telle ampleur est exclu. Le stock d’épargne nationale étant très limité, sa mobilisation au profit du budget se ferait au détriment de l’investissement, et provoquerait une asphyxie de l’économie : ce que les spécialistes appellent l’effet d’éviction. « Heureusement, notre déficit est financé par la Banque africaine de développement et par la Banque mondiale, poursuit Donald Kaberuka. Nos créanciers savent que ce déficit est sain, car il finance des investissements sociaux, l’éducation, la démobilisation, la réinsertion des anciens combattants ou des détenus. Sans parler des dépenses exceptionnelles, comme les juridictions gacaca (la mise en place de ces tribunaux populaires a coûté 2 millions de dollars) ou les frais d’organisation des élections (9 millions de dollars cette année). L’objectif sur le long terme est d’arriver à un déficit limité à 6 % du PIB. »
L’effort d’assainissement entrepris par les technocrates de Kigali a d’ores et déjà porté ses fruits. Les recettes inscrites au budget de l’État s’élèvent à 100 milliards de francs rwandais (190 millions de dollars) : elles ont plus que doublé depuis 1994, ce qui a permis de réduire la dépendance vis-à-vis de l’extérieur. C’est la réforme fiscale, avec la généralisation de la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA), qui est à l’origine de cette embellie. La TVA est indirecte, donc indolore. Modulée en fonction des produits et proportionnelle aux volumes des transactions, elle affecte moins les pauvres que les riches. L’introduction de la TVA a constitué une vraie réussite fiscale, et elle a déclenché la baisse de l’impôt sur les sociétés, très pénalisant pour l’activité économique : son taux est passé de 50 % à 35 %, et devrait à terme être ramené à 30 %.
L’arrivée au pouvoir, en juillet 1994, du Front patriotique rwandais (FPR) du président Paul Kagamé, dans la foulée de sa victoire militaire sur les génocidaires hutus, a marqué un net changement de cap économique. Les nouvelles autorités ont adopté un credo libéral et tourné le dos à la tentation autarcique. Les taxes sur les exportations ont été abolies et les droits de douane ont été fortement diminués. La Banque centrale, devenue indépendante, a reconstitué des réserves de change satisfaisantes qui couvrent maintenant sept mois d’importations (contre deux seulement en 1996).
Pour essayer de sortir de l’ornière du sous-développement, le Rwanda veut jouer la carte de l’intégration régionale. En 2004, il adhérera à la zone de libre-échange du Comesa (marché commun d’Afrique australe et orientale lancé en 1994). Pauvre en ressources naturelles, doté d’un secteur industriel encore embryonnaire, le pays espère tirer son épingle du jeu en se positionnant dans les services. Ses points forts : une élite urbaine jeune et travailleuse, et des étudiants disciplinés, qui bénéficient de toutes les attentions d’un gouvernement résolu à suivre l’exemple des dragons d’Asie du Sud-Est, en misant sur l’éducation et le capital humain. Le renforcement des liens entre le pays des Mille Collines et sa diaspora tutsie d’Europe et d’Amérique constitue un atout de poids. Bien intégrée, éduquée à l’occidentale, souvent anglophone, rompue aux nouvelles technologies et aux méthodes de management, cette diaspora a entamé un mouvement de retour d’exil après l’installation d’un pouvoir bienveillant à son égard. C’est elle qui contrôle maintenant les principaux leviers de l’économie. Son dynamisme indéniable a beaucoup contribué à la modernisation du tertiaire rwandais. L’instauration du trilinguisme (kinyarwanda, français et anglais) a fait grincer des dents à Paris ou à Bruxelles. Mais la mesure est d’abord pragmatique, et elle devrait aider au développement des échanges avec ses voisins, tous anglophones, à l’exception du Burundi et du Congo-Kinshasa.
Pour le Rwanda, le développement n’est pas un luxe, mais une nécessité. Car il pointe au 162e rang (sur 174 pays) au classement du développement humain, et l’espérance de vie ne dépasse pas 49 ans. Pour arriver à faire décoller les conditions de vie de ses habitants, dont 65 % vivent encore avec moins de 1 dollar par jour, le pays a besoin d’une quinzaine d’années de croissance très soutenue. L’ouverture de l’économie n’est pas la panacée. Son impact sur les campagnes sera minime. Or l’agriculture fait vivre, bon an mal an, 85 % de la population, contribue à hauteur de 44 % à la richesse nationale et fournit 80 % des recettes d’exportations, essentiellement grâce aux cultures de thé et de café. Elle a été complètement désorganisée par les massacres, par l’exode d’une partie de la population hutue, et par la multiplication, six années durant, d’infiltrations d’éléments armés fidèles à l’ancien régime. Mais le Rwanda doit conserver sa vocation paysanne. L’agriculture fixe dans les campagnes une population qui, sinon, s’entasserait à la périphérie des villes. Problème : les sols sont surexploités et s’épuisent, la productivité est trop faible, et les cultivateurs ne dégagent pratiquement aucun profit. Le clivage ville- campagne, qui recoupe largement le clivage ethnique Tutsis-Hutus, devient de plus en plus marqué. Inquiétant. Pour réduire la fracture, les autorités souhaitent moderniser ce secteur resté très archaïque, introduire de nouvelles techniques et de nouvelles variétés, de meilleure qualité, susceptibles d’être écoulées à un bon prix sur le marché international. « L’idée, c’est de créer plus de valeur ajoutée, explique Donald Kaberuka. Nous avons identifié des clientèles de niche, qui s’intéressent à des produits haut de gamme. Une expérience, conduite du côté de Gikongoro (Sud), a donné de bons résultats. Nous allons essayer de généraliser cette démarche en sensibilisant les agriculteurs, et en aidant à leur reconversion. »
Les défis que le Rwanda doit relever dans les vingt prochaines années pour arriver à un niveau de développement en rapport avec son potentiel sont immenses. Ils sont consignés dans un document d’orientation, la « Vision 2020 », qui liste les actions prioritaires à conduire. Une fois acquise l’annulation de la dette, les planificateurs de Kigali disposeront des marges de manoeuvre pour mettre en oeuvre les recommandations tirées de la Vision 2020. Et lutter enfin efficacement contre la pauvreté.

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