Après la guerre, le chaos

Incapables de restaurer l’ordre et de répondre aux besoins des plus défavorisés, les troupes d’occupation sont en butte à l’hostilité grandissante de la population. Et semblent engluées dans une spirale d’anarchie meurtrière.

Publié le 18 août 2003 Lecture : 3 minutes.

Quatre mois après ce 9 avril 2003, dont le Conseil provisoire de gouvernement irakien, nommé par l’occupant américain, a fait un jour de fête nationale, chacun peut mesurer à quel point il est plus facile d’abattre une statue que de reconstruire un État. L’Irak reste très largement une zone d’insécurité majeure, et le soulagement réel avec lequel la majorité de ses habitants avait accueilli la chute du régime baasiste s’est peu à peu mué en un mélange parfois détonant de rancur, de frustration et d’hostilité. Persuadés que le nationalisme irakien était soluble dans l’eau, l’électricité, le pain pour tous et un ersatz de liberté d’expression, le proconsul Paul Bremer et ses boys de la Coalition Provisional Authority (CPA) ont, à l’évidence, sous-estimé à quel point la « libération » du 9 avril avait quelque chose d’humiliant pour une population qui n’y prit aucune part. D’où le cercle vicieux attentats-arrestations-répression qui a suivi. D’où cette impression, partagée par de nombreux observateurs, que l’Amérique est engluée dans une spirale d’anarchie meurtrière. Qu’elle a perdu la paix en somme, après avoir gagné la guerre. À preuve, ajoutentils, le Conseil provisoire de gouvernement nommé le 13 juillet n’a été capable, jusqu’ici, que d’accoucher de décrets d’autorégulation comme l’octroi de véhicules pour chacun de ses vingt-cinq membres. Cette instance sans légitimité, que nul ne reconnaît en dehors de l’occupant, n’a même pas été en mesure de se choisir un président si ce n’est par rotation, pendant une période d’un mois. Il faut tout l’optimisme d’un Adnan Pachachi, 80 ans, ancien ministre des Affaires étrangères t l’un des rares membres du Conseil à jouir d’une certaine respectabilité pour prédire que l’Irak sera, au plus tard à la fin de 2004, dirigé par un gouvernement internationalement reconnu. Au moins n’hésite-t-il pas, à la différence d’un Ahmed Chalabi, à parler d’« occupation » américaine
Il faut pourtant se garder, ici comme ailleurs, de tirer des conclusions hâtives. En Irak, les États-Unis sont loin, très loin, d’avoir perdu la partie. Le nombre de GI’s tués en quatre mois – un peu plus d’une cinquantaine – n’a strictement rien de comparable avec l’hécatombe de la guerre du Vietnam (même à ses débuts, entre 1962 et 1965). Au rythme des pertes actuelles, un soldat américain présent sur le sol irakien a un risque sur deux mille d’y laisser sa peau – ce qui est plus que supportable. Si les services de renseignements de l’US Army estiment avoir à faire face à près de cinq mille résistants en armes, ceux-ci paraissent à la fois peu organisés et surtout concentrés à 80 % dans le « Triangle sunnite » du nord-ouest de Bagdad, où vivent deux millions de paysans et une vingtaine de tribus souvent antagonistes. Les Américains estiment par ailleurs que leur stratégie de corruption massive de la société irakienne, due à la multiplication des offres de récompenses, commence à porter ses fruits : les dénonciations sont de plus en plus nombreuses. Certes, les liquidations de « collaborateurs » aussi. Mais l’appât du gain, ou tout simplement d’un salaire, permet à Paul Bremer d’espérer compter sur 65 000 à 75 000 policiers irakiens dans moins d’un an : les demandes d’incorporation au sein des forces de l’ordre ne tarissent pas, en dépit des menaces de la résistance. Enfin, à partir de septembre, le maître américain pourra enfin se reposer sur une sorte de coalition multinationale d’occupation de l’Irak. Une quinzaine de pays européens, asiatiques et latino-américains enverront au total une dizaine de milliers d’hommes. Aucun Africain, aucun Arabe, aucun musulman parmi eux pour donner un peu de couleur locale à cette néocolonisation mondialisée, mais déjà de substantiels bénéfices diplomatiques pour des chefs d’État hier encore très critiqués, tel l’Ukrainien Leonid Kuchma. Recycler des parias en combattants de la liberté (américaine) : la grande lessiveuse irakienne sert décidément à tout…

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