Vos lettres ou courriels sélectionnés

Publié le 13 juillet 2005 Lecture : 7 minutes.

Pourquoi l’Irak n’est pas un nouveau Vietnam.
À la suite d’une réflexion parue dans l’éditorial de Béchir Ben Yahmed (voir J.A.I. n° 2314), je vous propose le commentaire suivant. Les conflits d’Indochine et d’Algérie ont clairement démontré que le taux de pertes humaines est lié aux facteurs déterminants que sont la nature du terrain, le soutien logistique à la rébellion et le niveau d’adhésion de la population à cette rébellion. Si le nombre de tués du côté des Occidentaux a été plus élevé au Vietnam qu’en Algérie, cela tient à ce « territoire libéré » qui a manqué à l’ALN et dont ont disposé les nationalistes nord-vietnamiens en restant maîtres des territoires voisins de la Chine, du Laos et du Cambodge où étaient acheminés, avec l’aide des populations, tous les approvisionnements logistiques nécessaires à la plupart des batailles décisives. En Algérie, en revanche, la surveillance maritime et aérienne était permanente. L’édification des lignes de défense électrifiées Challes et Maurice, la mise en oeuvre de services de renseignements ne reculant pas devant la torture, le déploiement rapide d’unités aéroportées rompues à la contre-guérilla, ont forcé les combattants algériens à l’isolement et à la dispersion. Ils ont été contraints de réduire leur mobilité et leur agressivité, faute d’une logistique suffisante et du soutien de populations placées sous surveillance. Aujourd’hui, en Irak, les Américains n’opèrent pas différemment du Vietnam. S’ils parviennent à stabiliser le nombre des morts autour de deux par jour en moyenne, cela tient au resserrement de leur dispositif et de celui de leurs alliés autour des zones les moins sûres, ainsi que dans le voisinage des frontières avec la Syrie et l’Iran, pour interdire aux patriotes irakiens toute aide matérielle et humaine, tout en exerçant une surveillance aérienne rigoureuse. Cela tient aussi à l’implication accrue des unités autochtones de supplétifs, auxquelles les forces américaines ne servent que d’appoint. Reste à savoir si cette stratégie tiendra la route. Le théâtre des opérations irakien est différent du Vietnam et présente plus de facilités tactiques et géostratégiques. Par ailleurs, le président Bush est parvenu, par le bluff, à obtenir la complaisance des États arabes de la région et, par la menace, à neutraliser la Syrie et l’Iran, pays favorables et potentiellement pourvoyeurs de la guérilla irakienne, mais militairement maîtrisables par les États-Unis, à l’inverse de la Chine, au temps de l’engagement dans le Sud-Est asiatique.
Plaidoyer pour la francophonie.
Que le gouverneur de Tokyo aboie : « La langue française est inapte au calcul, il est normal qu’elle soit disqualifiée comme langue internationale » (voir J.A.I n° 2318) et c’est l’indignation chez les Français, les francophones et les francophiles du Japon. L’affaire risquait de déclencher un incidentdiplomatique entre les deux pays. Je comprends fort bien la réaction des Français, blessés dans leur amour-propre : leur langue véhicule leur civilisation, leur savoir-faire et leur savoir-vivre. En revanche, pourquoi manifestent- ils tant de duplicité ? D’un côté, ils veulent que tout le monde parle leur langue et la chérisse et, de l’autre, ils la maltraitent et la snobent ! Je m’explique. Je suis médecin. Lorsque des professeurs français viennent en Tunisie pour des conférences, ils ponctuent toujours leur allocution (en français) de termes (en anglais), nonobstant leur traduction française. Leurs diapositives et autres images interactives sont souvent rédigées en anglais. On perçoit chez eux un brin de fierté lorsqu’ils nous annoncent qu’ils ont publié leurs articles dans telle ou telle revue scientifique anglo- saxonne de renom. En anglais bien sûr. J’ai appris que les scientifiques français commencent toujours par proposer leurs articles à ces dernières et, si elles refusent, ils les cèdent, la mort dans l’âme, à une revue française. Français, pour que les autres Terriens respectent votre langue et votre exception culturelle, commencez d’abord par la respecter vous-mêmes. Donnez-lui davantage de considération dans votre maison (la France) pour que moi, lecteur de J.A.I., revue francophone par excellence, je ne me sente pas trahi. À propos des sacrifices d’enfants à Carthage. Le Wall Street Journal est revenu sur la polémique concernant les massacres rituels dans la Tunisie antique. L’article (voir J.A.I. n° 2320) cite Lawrence Stager, un chercheur qui écrit dans la Revue d’archéologie biblique et défend une thèse ayant vu le jour avec les écrits de Diodore de Sicile, un contemporain de César qui a donc vécuplus d’un siècle après la destruction de Carthage. Diodore n’a jamais été considéré comme un historien de valeur. Or les grands historiens de l’Antiquité, tels Polybe ou Tite-Live, malgré leur position proromaine, n’ont jamais cité ces sacrifices rituels. Aujourd’hui, ils sont remis en cause par plusieurs contemporains, tel l’Italien Moscati. Ceux-ci considèrent que ces pratiques d’immolation concernaient les enfants morts en bas âge, peut-être dans un rituel contre le mauvais sort. La mortalité infantile était très importante et très peu de cercueils ont été retrouvés dans les cimetières. Où sont donc les restes des morts-nés ? Dans le Tophet, tout simplement. Selon d’autres scientifiques, les ossements d’un enfant mort par le feu et se crispant sous la douleur ne pourraient être placés dans une position allongée et parfaitement droite, ce qui est pourtant le cas de tous les restes exhumés. En fait, Rome et les romanophiles n’ont jamais accepté la supériorité politique, économique, humaniste et culturelle de la sémitique Carthage. À un simple criminel on reconnaît le bénéfice du doute. À la « Reine des mers » qui a rayonné pendant six siècles sur la Méditerranée occidentale, on le refuse. C’est un véritable sacrifice fait à l’intelligence, par le feu de l’aveuglement et de l’idée fixe.
Honneur aux Suisses
Je réagis à la rubrique « Humour, saillies et sagesse » (voir J . A . I . n° 2319), et tout particulièrement à la déclaration de Graham Greene, qui prouve qu’on peut être un grand écrivain et proférer des âneries. Tout d’abord, le coucou n’a rien, mais absolument rien de suisse : il est bavarois. Ensuite, les cinq cents ans de (quasi)-paix ont produit la démocratie directe, la Croix-Rouge et le record mondial de Prix Nobel par rapport au nombre d’habitants. Ce n’est pas si mal.
Pourquoi ces citations misogynes?
Je lis votre journal depuis bientôt vingt ans et j’apprécie particulièrement les analyses de Béchir Ben Yahmed, que je trouve lucides, sans complaisance et très souvent pertinentes. Malheureusement, il me semble que le rejet des clichés misogynes ne fait pas toujours partie de ses priorités. Sinon, comment expliquer que, semaine après semaine, on retrouve sous le titre « Humour, saillies et sagesse » les formules les plus désobligeantes envers la gent féminine? Dans le n° 2320, sur 14 citations, 11 ont les femmes comme sujet (objet?) et presque toutes ont un caractère offensant. Ainsi, la femme serait « toujours le danger de tous les paradis ». N’est-ce pas là l’écho du préjugé biblique, récupéré par nos traditionalistes, selon lequel Ève serait à l’origine de l’expulsion d’Adam du Paradis? Par ailleurs, étant donné que « les femmes ne sont jamais plus fortes que lorsqu’elles s’arment de faiblesse », nos misogynes qui s’ignorent ne peuvent qu’adhérer au cliché de la sournoiserie légendaire. Mais y a-t-il argument plus fort en faveur de la thèse d’une femme intrinsèquement mauvaise que le fait que, « si une femme était bonne, Dieu en aurait une »? Vous pouvez me répondre que je n’ai pas le sens de l’humour et que vous avez choisi ces formules parce qu’elles sont drôles. Dans ce cas, pourquoi ne pas publier des citations ayant pour objet les Juifs, les Noirs ou les Arabes ? Vous ne le ferez pas, à juste titre, parce qu’elles véhiculent des préjugés racistes et insultants pour ces peuples. N’en estil pas de même pour des citations qui offensent la moitié de l’humanité?
Réponse:
1. La rubrique qui vous chagrine a pour titre « Humour, saillies et sagesse ». Et j’ai prévenu que son contenu pourrait faire grincer des dents.
2. Publier des citations « ayant pour objet les Juifs, les Noirs ou les Arabes » : bien sûr que nous pourrions le faire, si elles sont drôles ! Combien d’anecdotes, et vous en avez entendu beaucoup, circulent, qui nous font sourire ou rire de nos défauts et faiblesses. La dérision, ou l’autodérision, guérit de la suffisance, de la tendance à se prendre (trop) au sérieux, de la susceptibilité excessive. Comme la critique, qui blesse mais fait du bien.
3. J’ai déjà rappelé que les hommes, depuis qu’ils existent, ont dominé le sexe dit faible : leurs saillies étaient par conséquent machistes, bien souvent. Les rappeler aujourd’hui permet d’en rire et de mesurer le chemin parcouru dans la bonne direction.
4. J’ajoute que j’ai personnellement la très grande chance de n’avoir en moi ni machisme, ni misogynie, ni racisme, ni antisémitisme. Raison pour laquelle je crois pouvoir me permettre de sélectionner et de publier des citations que vous ressentez comme désobligeantes. Peut-être ai-je tort.
5. J’ajoute : à Jeune Afrique/l’intelligent, les deux dirigeants qui occupent les fonctions exécutives les plus élevées et les mieux payées sont deux femmes. Et un peu plus de la moitié de nos collaborateurs sont des femmes. Ce n’est pas si fréquent, même en 2005, même dans un pays la France où on prône la parité entre hommes et femmes, sans parvenir à la réaliser. Et ce n’est pas non plus par hasard.

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