États fragiles, États dangereux

Ils empoisonnent la vie de leurs voisins. Pis, ils menacent l’équilibre du monde. Fund for Peace, un organisme américain indépendant, a recensé ces pays « toxiques ». Avec plus ou moins de pertinence…

Publié le 11 juillet 2005 Lecture : 3 minutes.

On se souvient du XXe siècle comme d’une ère de confrontation entre États forts. Après deux conflits mondiaux opposant l’Allemagne (et même, en 1939-1945, le Japon) à la France, à la Grande-Bretagne et aux États-Unis, la guerre froide eut pour acteurs l’Occident et l’Union soviétique. À l’époque, l’idéologie à abattre était le communisme, qui conférait à l’État un pouvoir absolu et s’appuyait sur une économie dirigée.
Aujourd’hui, la donne a changé : la menace vient des pays où l’État est en faillite. Une étude réalisée par Lisa Chauvet, professeur d’économie, et Paul Collier, directeur du Centre d’études des économies africaines à Oxford, indique que, faute d’assistance, non seulement la situation des États fragiles ne s’améliorera pas pendant des décennies, mais qu’en plus ils provoqueront une perte annuelle de 1,6 % du PIB chez leurs voisins. Ces derniers ne sont pas évidemment pas les seuls à pâtir de la situation. Comme l’écrit Paul Collier, « un pays dont les institutions ne peuvent ou ne veulent pas fournir des services sociaux aux populations les plus pauvres constitue un terreau fertile pour le terrorisme qui menace la sécurité mondiale ».
Reste à définir ce qu’est précisément un État fragile. Or, là-dessus, les avis divergent. Pour la Banque mondiale, il s’agit des « Licus » (Low Income Countries under Stress : des pays à faibles revenus en difficulté). Ils seraient aujourd’hui une trentaine. La Central Intelligence Agency (CIA, les services de renseignements américains) a dressé, en 2001, une liste de vingt États vulnérables. Le Département britannique du développement international, estime, lui, leur nombre à quarante-six.
L’organisme américain indépendant Fund for Peace, en association avec le bimestriel Foreign Policy, vient de répondre à la question en établissant une sorte de palmarès de la vulnérabilité.
Son étude, qui devait initialement s’intéresser aux 191 pays membres des Nations unies, s’est bornée, dans un premier temps, à étudier le cas de soixante-seize d’entre eux. Elle a défini plusieurs critères significatifs, à ses yeux, de la fragilité d’un État. Comme, par exemple, le fait, pour un gouvernement, de perdre le contrôle de son territoire ou d’échouer à faire respecter l’ordre public. Ce qui, sans doute, explique la présence de la Côte d’Ivoire en tête de liste…
Mais l’absence d’autorité n’est pas le seul critère déterminant. Une économie gangrenée par le marché noir, une situation de désobéissance civile, où la population refuse de payer les impôts, sont autant de signes sérieux de fragilité. Autre critère : la perte de la souveraineté du fait de la présence, sur le territoire national, de troupes étrangères, même s’il s’agit d’une force de maintien de la paix et si elle agit sous mandat onusien.
Pour établir son classement, Fund for Peace a retenu douze critères (voir encadré) socio-économiques, politiques et militaires. Chaque pays a été noté, de 0 à 10, sur la base de la compulsion de dizaines de milliers d’articles de la presse écrite et audiovisuelle, parus ou diffusés entre le 30 mai et le 31 décembre 2004. Une méthodologie sujette à caution, puisque l’évaluation dépend de la densité du traitement de l’information. Du coup, les pays qui n’intéressent que moyennement les médias sont absents de la liste.
Dans ce classement, on retrouve la Tunisie à la 71e place (et à la 29e au plan continental) alors que des pays comme le Niger, le Mali ou la Mauritanie n’y figurent pas. Autre bizarrerie : la Somalie, un pays sans État depuis une quinzaine d’années, se retrouve à la cinquième place d’un classement des… États vulnérables !
Sans surprise, l’Afrique occupe les trois premières places (Côte d’Ivoire : 106 points, RD Congo : 105,3 points et Soudan : 104,1). Le nombre de morts importe peu aux yeux des animateurs du Fund for Peace. Avec ses 10 000 tués (source : Irak Body Count) depuis le transfert de souveraineté, le 28 juin 2004, l’Irak n’occupe que la quatrième place du tableau. Le Yémen serait-il – légèrement – plus fragile que l’Afghanistan ? C’est en tout cas ce qui ressort de cette étude, les deux pays obtenant respectivement 99,7 et 99 points. Plus globalement, le système de notation donne parfois l’impression de manquer de logique. Ainsi, le douzième critère retenu (une présence militaire étrangère) est-il évalué à 6 pour l’Éthiopie et à 5 pour l’Érythrée, alors qu’une seule et même force d’interposition de l’ONU se trouve entre les deux pays…
Enfin, en queue du classement, on trouve deux pays émergents, voire plus, et deux puissances économiques de demain : le Mexique (74,6 points), la Malaisie (73,6), la Chine (72,3) et l’Inde (69,5).
En attendant qu’il étudie le cas des 115 États qu’il n’a pas encore classés, Fund for Peace promet d’actualiser régulièrement ce tableau. Mais son travail, louable au demeurant, gagnerait en crédibilité s’il était doté d’autres critères, plus fiables, et d’un système de notation plus rigoureux.

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