Sur le front des conflits

Publié le 11 juillet 2005 Lecture : 6 minutes.

Côte d’Ivoire Tout part de l’initiative de l’assistante spéciale du chef de l’État gabonais, Laure Gondjout. Qui s’en ouvre à Sarata Ottro Zirignon-Touré, directrice adjointe du cabinet du président ivoirien Laurent Gbagbo. Les deux dames coordonnent avec leurs patrons respectifs.
Dans la matinée du 4 juillet, à Syrte, alors que les chefs d’État se réunissent dans un hall, avant de rejoindre la salle de conférences qui doit abriter la cérémonie d’ouverture du Sommet de l’Union africaine, Laure Gondjout, également présente, attend.
À l’apparition de Gbagbo, elle court à sa rencontre, lui prend la main, l’entraîne vers Bongo Ondimba. En froid depuis que le premier a traité, le 6 juin, le second de « rigolo » dans une interview donnée à France Soir, les deux hommes se donnent l’accolade, s’échangent quelques mots et promettent de « (se) voir un peu plus tard pour (se) parler ». Ils se reverront le lendemain après-midi, en présence de leur homologue congolais Denis Sassou Nguesso, pour « laver le linge sale en famille ». La discussion est franche. Gbagbo reproche à Bongo Ondimba de soutenir ses adversaires, de le délaisser après l’avoir aidé quand il était dans l’opposition. Avant de présenter ses « regrets » à son « grand frère », qui les accepte.
Dans l’après-midi du 4 juillet, Gbagbo fait une intervention remarquée au cours du huis clos des chefs d’État, approuve – en le citant nommément – les propos de son frère ennemi Blaise Compaoré, qui développait une idée chère à Kadhafi : la nomination de ministres africains chargés de questions comme l’Environnement, l’Éducation, la Santé (voir page 23)… Avant de se dire « fier d’appartenir à cette Afrique qui s’unit et tente de prendre son destin en main ». Et de susciter approbation et applaudissements.
Comme pour soigner son image, Gbagbo se montre de bonne humeur, discute avec ses homologues (Thabo Mbeki, Yoweri Museveni, Eduardo Dos Santos, Mamadou Tandja, Faure Gnassingbé…), donne aux uns et aux autres des gages qu’il respectera tous ses engagements réitérés à Pretoria les 28 et 29 juin, rassure tout le monde que la présidentielle prévue le 30 octobre prochain dans son pays aura lieu. Il reçoit plus d’une fois Nathalie Delapalme, la « madame Afrique » du Quai d’Orsay. Et, comme pour dédramatiser les rapports réputés tendus entre Abidjan et Paris, ses collaborateurs présents à Syrte (son porte-parole Désiré Tagro, Sarata Ottro Zirignon-Touré…) multiplient les apartés avec la diplomate française.
Le 5 juillet, à l’occasion de l’examen de la situation en Côte d’Ivoire, les chefs d’État adoptent la résolution du 3 juillet 2005 du Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’UA. Laquelle stipule, en son point 8 : « Le CPS affirme sa détermination, sur recommandation du médiateur Thabo Mbeki, à imposer des sanctions à l’encontre des parties qui bloqueraient le processus de paix en n’honorant pas les engagements pris dans le cadre de l’accord de Pretoria, et à demander au Conseil de sécurité des Nations unies d’appliquer les mesures énoncées aux paragraphes 9 et 11 de la résolution 1572 [2004], tel que convenu par les parties ivoiriennes dans la déclaration de Pretoria du 29 juin 2005. »
Gbagbo approuve. S’il réclame des sanctions pour les parties défaillantes, c’est qu’il pense exécuter ses engagements. De source sûre, il envisage d’user de l’article 48 de la Constitution [qui confère des pouvoirs accrus au chef de l’État en période de crise] ou d’opérer par voie d’ordonnance pour adopter les sept lois dictées par les accords de paix.

Soudan L’absence d’Idriss Déby au Ve Sommet des chefs d’État de l’UA n’est pas étrangère à ses désaccords sur la gestion du dossier soudanais. Estimant son pays soupçonné de partialité, et de facto écarté des pourparlers de paix intersoudanais ouverts le 10 juin 2005 à Abuja, le président tchadien a exprimé sa désapprobation en s’abstenant de se rendre à Syrte. Même si, officiellement, on explique son absence par un check-up en France, suivi de quelques semaines de repos.
Lors du huis clos, son ministre des Affaires étrangères a même lancé à Obasanjo : « Si je comprends bien, vous nous sanctionnez en nous excluant de la médiation, à la demande de la partie rebelle. Vous confirmez donc ce qu’elle pense de nous. » Le président nigérian a répliqué : « Nous ne confirmons rien du tout ! » Le ministre n’en a pas moins décidé de quitter la salle. Alpha Oumar Konaré a dû le rattraper dans les couloirs, et il a pu entendre Obasanjo confirmer la primauté de l’UA comme médiateur dans la crise au Darfour. Son président en exercice a d’ailleurs exhorté les pays contributeurs en troupes à fournir des hommes pour porter l’effectif de la Mission de l’UA au Soudan (Amis) à 7 731 hommes. L’UA ayant réussi à mobiliser auprès des bailleurs les fonds nécessaires à l’entretien des troupes et à ses interventions humanitaires sur place.
Pour consolider les acquis dans le sud du pays, plusieurs chefs d’État ont été conviés à prendre part à Khartoum à l’installation, le 9 juillet, du nouveau gouvernement soudanais issu des accords de Naivasha entre le pouvoir et l’ex-rébellion de John Garang.

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Somalie Sur la situation de ce pays, où tout, y compris un État, est à rebâtir, l’UA s’est limitée à quelques voeux pieux. Impuissante devant le défi de reconstruction d’une administration disparue depuis 1991, l’organisation panafricaine s’est limitée à demander au président de la Commission, Alpha Oumar Konaré, de convoquer dans les meilleurs délais « une conférence internationale d’annonce de contributions pour la reconstruction post-conflit ». Dépourvues de moyens financiers et militaires, les institutions fédérales de transition, théoriquement transférées à la mi-juin de Nairobi (Kenya) à Jowhar (Somalie), manquent, jusqu’à une sécurité appropriée. Et la force africaine qui doit sécuriser le pays – lequel n’en veut d’ailleurs pas du tout – contrôlé par 99 milices tarde à se mettre en place.
L’UA doit faire face à un autre problème : elle a reçu la demande de reconnaissance du Somaliland comme un État indépendant ayant comme frontières celles du 26 juin 1960, qui lui ont été reconnues au moment de son indépendance par le Royaume-Uni.

Togo Le numéro un togolais Faure Gnassingbé et le président centrafricain François Bozizé, récemment admis dans le club des « chefs d’État démocratiquement élus », ont été reçus comme il se doit. Ils ont été introduits dans la salle, sous les applaudissements, alors que tous leurs homologues y avaient déjà pris place pour un huis clos. Obasanjo leur a souhaité la bienvenue, non sans marteler qu’ils n’auraient pas pu accéder aux instances de l’UA sans être issus d’élections.
À l’occasion de ce baptême du feu, Faure Gnassingbé a fait le tour de ses pairs pour « se confier » aux uns et aux autres. Laurent Gbagbo, avec qui il a déjeuné le 4 juillet, l’a conduit auprès de leur homologue angolais Eduardo Dos Santos. À tous, il a affirmé sa volonté de s’ouvrir à l’opposition.
Sur le chapitre économique, Faure Gnassingbé a rencontré José Manuel Barroso, le président de la Commission européenne, invité au Sommet, pour s’entretenir avec lui sur une reprise de la coopération avec l’Europe.

République démocratique du Congo En l’absence des présidents congolais Joseph Kabila et rwandais Paul Kagamé, la question des Grands Lacs a suscité moins d’attention que lors des précédents sommets. Non prévue à l’ordre du jour, la situation en RD Congo, suite à la prolongation de six mois de la transition qui devait être clôturée par des élections le 30 juin, a fait l’objet de beaucoup de tractations en coulisses. Sur l’initiative du chef de l’État congolais Denis Sassou Nguesso, appuyé par Omar Bongo Ondimba, un intense lobbying a été mené pour que l’Afrique centrale soit associée à la gestion de la crise dans les Grands Lacs, jusqu’ici confiée à la partie australe du continent. Inquiet de la situation chez son grand voisin, sceptique sur la tenue d’élections en RD Congo même dans six mois, Sassou demande à être dorénavant impliqué, pour pouvoir parer à tout risque que pourrait faire peser sur son pays un basculement de l’autre côté du fleuve Congo.

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