Les aguicheuses du Net

« Fleur de lotus », Liu Mang Yan, Mu Zimei… Ces écrivaines en mal de reconnaissance n’ont pas hésité à poser nues sur le Web pour illustrer leurs journaux intimes. Les Chinois adorent…

Publié le 11 juillet 2005 Lecture : 5 minutes.

Ca vient de sortir, c’est « tendance » à Pékin : non seulement l’on assiste, comme partout, à la multiplication des fameux blogs, ces journaux intimes publiés sur des sites privés et accessibles à tous sur la Toile, mais l’on voit aussi fleurir, sur les écrans, des « oeuvres » littéraires d’un genre très particulier. On pourrait dire, pour résumer, que celles-ci sont écrites par des femmes qui utilisent leur corps en guise de clavier !
Depuis deux mois, les étudiants des deux universités les plus célèbres du pays, l’université Qinghua et l’université de Pékin, ont lancé un « avis de recherche » sur les campus. Objectif : démasquer une mystérieuse créature surnommée la Frjj (Fu Rong Jie Jie, ou « Fleur de lotus », en chinois).
La FRJJ ? C’est une femme qui diffuse chaque jour sur Internet de nouvelles photos d’elle, accompagnées de récits dans lesquels elle se décrit complaisamment, sans hésiter à vanter ses charmes, son sex-appeal et autres atouts dont elle affirme disposer en abondance. Résultat : les étudiants sont fous amoureux d’elle, bien qu’elle soit loin d’être d’une beauté renversante et que son talent littéraire soit des plus limités. En examinant de plus près les photos où elle s’exhibe – mais sans jamais se dévêtir -, en prenant des poses de danseuse ou de contorsionniste, on découvre une fille toute simple, avec une grosse poitrine et des fesses rebondies !
On s’est d’abord demandé si la FRJJ était réelle ou si on lui faisait jouer un rôle de composition. Puis, on a découvert qu’il s’agissait d’une jeune femme sans emploi qui traînait dans les parages de ces deux universités. Elle consacrait tout son temps à la préparation de son diplôme de chercheur et à… rêver. Un jour, elle a franchi le pas et a diffusé ses portraits un peu osés sur Internet. Et elle a constaté que ceux-ci l’avaient instantanément rendue célèbre !
Depuis, son cas passionne les médias et les internautes collectionnent fiévreusement tous ses clichés, qu’ils classent dans des albums. Bref, la FRJJ est devenue un phénomène. Pourtant, à en croire la presse, elle n’aurait rien que de très banal : âgée de 28 ans environ, elle mesure 1,66 mètre et pèse moins de 45 kg… Et son autoportrait n’a pas grand-chose à voir avec la réalité : « Mon apparence coquette et sexy, ma nature pure et fraîche ne manquent pas de faire tourner toutes les têtes. Avec mon visage qu’on peut contempler sans jamais se lasser et mon corps onduleux qui fait couler du sang du nez des hommes, je suis toujours au centre du zoom… » De quoi faire éclater de rire ceux qui s’y entendent un peu en matière de canons de beauté ! Il n’empêche : aucun sociologue ne parvient à expliquer comment elle est devenue aussi célèbre…
Or la FRJJ n’est pas la seule « femme écrivaine » chinoise qu’ait produite Internet. Depuis plusieurs semaines, une certaine « Liu Mang Yan », elle aussi surgie de nulle part, occupe une place de choix dans la Chine virtuelle. Liu Mang signifie « voyou », et Yan « hirondelle » : tout un programme ! Le 14 mai, cette « hirondelle des faubourgs » a offert sa première photo, torse nu, aux internautes. Cet « acte de bravoure » lui a aussitôt valu un tonnerre d’applaudissements. Dès le lendemain, ses fans attendaient la suite. Et ils n’ont pas été déçus, puisque Liu Mang Yan n’a pas manqué d’enlever « le bas ». Ce simple geste a provoqué un tel afflux de connexions sur le Net que le serveur, saturé, est resté paralysé pendant plusieurs heures… Liu est désormais une star. Lorsqu’on tape son nom sur google. com, des milliers de fichiers font référence à cette mère célibataire, qui travaille pour une firme pharmaceutique dans le sud du pays.
Contrairement à la FRJJ, Liu ne prétend pas être dotée d’un talent littéraire. Avant de poser nue, elle avait déjà publié dans son blog des écrits sur le sexe. Personne n’y avait alors prêté la moindre attention. Mais depuis « l’événement », le public s’y intéresse. « La littérature, ce n’est pas mon affaire, reconnaît-elle pourtant en toute modestie. Ce n’est pas pour elle que je me déshabille. Je voudrais simplement écrire pour moi. Si les internautes aiment ce que je fais, eh bien, j’en serai fière. Je ne suis pas grand-chose et je n’aurai jamais la prétention de porter la littérature sur mes pauvres épaules… »
Reste qu’au travers de ses actes, une partie des internautes voit en elle « le challenger d’une société où la tradition conservatrice est très forte ». Certains soutiennent que ses photos sont des oeuvres d’art. D’autres estiment qu’elle contribue à la révolution de la libération sexuelle. Les journaux très officiels n’ont pas manqué d’intervenir dans ce débat, sans qu’il en ressorte toutefois de conclusion définitive.
La FRJJ et Liu ne sont pas les seules à « écrire avec leur corps ». Mu Zimei s’est, elle, fait connaître par-delà les frontières. En France, les éditions Albin Michel ont publié en 2005 son Journal sexuel d’une jeune Chinoise sur le Net. Ce livre, qui, à sa sortie en Chine, avait à la fois provoqué un tollé et fait un malheur, était extrait d’un blog quotidien, ouvert en août 2003, dans lequel Mu faisait le récit de ses galipettes amoureuses avec son partenaire de la veille, qu’elle prenait garde de changer chaque jour. Le lendemain de l’une de ses fugitives aventures avec une célèbre rock star chinoise, tous les internautes apprirent, dans les moindres détails, comment ils avaient fait l’amour, combien de temps, combien de fois, dans quelles positions et avec quels résultats…
Mu, Liu, la FRJJ… ces « femmes écrivaines » ont pour point commun d’utiliser leur corps, le sexe et le Net pour se faire connaître. « Toutes des salopes ! » lancent ceux qui les critiquent. « Ce sont des révolutionnaires de la pratique sexuelle », rétorquent ceux qui les envient. Une anecdote fait actuellement fureur. À un journaliste qui lui demandait combien de temps elle pouvait lui accorder pour une interview, Mu Zimei répondit : « On va chez moi et on file au lit. Le temps que vous pourrez tenir sera celui dont vous disposerez ensuite pour notre entretien ! »
Pendant des siècles, l’érotisme fut très répandu en Chine, alors que, dans le même temps, la société était réputée très conservatrice. Le patrimoine érotique du pays passe pour être d’une importance exceptionnelle, mais la plupart des oeuvres qui le composent ont été interdites. Ce paradoxe s’explique par une hypocrisie totale issue du confucianisme. Les Chinois ont l’habitude d’agir en catimini. Les sociologues et les sexologues nationaux qui ont largement commenté, eux aussi, le phénomène, avancent les explications les plus diverses. Mais ils s’accordent sur deux points : d’une part, aussi libre que soit devenue la société chinoise, ces femmes sont allées trop loin en confondant allégrement liberté sexuelle, érotisme et pornographie. De l’autre, leur succès populaire prouve qu’une « révolution sexuelle » est véritablement en marche. Doit-on s’en plaindre ou s’en réjouir ?
Face aux critiques, Liu Mang Yan se veut rassurante : « Je ne crois pas que ma nudité pourra détruire l’État et la société. » Encore heureux ! Pour sa part, se prétendant « menacée » par les photos de la FRJJ et de Liu Mang Yan, Mu Zimei vient de publier sa première photo nue sur son site…

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