Echelle africaine

Aujourd’hui, dix-huit pays du continent sont notés. Un signal de transparence qui leur permet d’attirer les investisseurs étrangers. Mais les PPTE restent interdits d’emprunts sur les marchés de capitaux internationaux. Quant à la notation des entreprises

Publié le 13 juillet 2005 Lecture : 5 minutes.

«L’Afrique du XXIe siècle doit se tourner vers les marchés de capitaux pour financer son développement. » Trois ans se sont écoulés depuis cette déclaration de Walter Kansteiner, l’ex-« monsieur Afrique » du département d’État américain. À défaut des financements promis, plusieurs pays africains ont obtenu leur première notation, sésame indispensable pour emprunter sur les marchés obligataires et favoriser l’investissement direct.
En ce qui concerne les États souverains, le département d’État américain a décidé, en 2002, de financer la notation initiale de dix pays par Fitch Ratings, le coût de la réévaluation annuelle de la note restant à la charge des États. Par une initiative parallèle, le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) a pris en charge, en mai 2002, la première notation, par Standard & Poor’s (S&P), de sept pays africains (Mali, Bénin, Burkina, Ghana, Madagascar, Mozambique et Cameroun). Leurs efforts conjugués ont payé, même si l’objectif américain de triplement du nombre des pays notés n’a pas été atteint.
Aujourd’hui, dix-huit pays africains sont notés. En 2002, ils n’étaient que six : l’Afrique du Sud, premier pays du continent à s’être vu attribuer un rating (en 1994), le Maroc, la Tunisie, l’Égypte, le Sénégal, Maurice, le Botswana. En trois ans, douze autres pays les ont rejoints : Cameroun, Gambie, Ouganda, Ghana, Lesotho, Malawi, Mali, Mozambique, Cap-Vert, Bénin, Burkina et Madagascar. Le Botswana, doté de la note A sur l’échelle de S&P, rivalise avec certains pays occidentaux. L’Afrique du Sud et la Tunisie, estampillées BBB, ont une note de solvabilité de première qualité, appartenant à la catégorie investissement. Dans la catégorie spéculative plus risquée, l’Égypte (BB +) devance le Maroc (BB), suivi du Sénégal, du Bénin, du Cap-Vert et du Ghana, notés B +.
Aucun pays nouvellement noté n’a pour autant emprunté sur le marché obligataire international. Sur le continent, seules l’Afrique du Sud et la Tunisie recourent régulièrement aux emprunts internationaux. Le Nigeria y a renoncé en ne renouvelant pas ses obligations Brady, héritées de la conversion de sa dette publique en titres négociables. Ces mêmes obligations Brady sur lesquelles la Côte d’Ivoire a fait défaut en 2000, se fermant ainsi l’accès au marché.
Quant aux PPTE, en contrepartie du rééchelonnement de leur dette multilatérale, ils se sont engagés à ne pas s’endetter auprès des marchés de capitaux internationaux. Techniquement, si le service de la dette de ces pays est suspendu, leur dette n’est pas formellement annulée, d’où l’interdiction de nouveaux emprunts pour les PPTE. Ces pays doivent se contenter d’emprunter sur le marché national. Trois pays – Mali, Burkina et Bénin – ont pu émettre des emprunts obligataires domestiques en monnaie locale. Le Mali et le Burkina ont émis, en 2004, des bons du Trésor à six mois, pour un montant respectif de 15 milliards et 33,5 milliards de F CFA.
« La notation des PPTE n’est pas destinée à emprunter sur les marchés internationaux, mais permet de mobiliser les investisseurs privés en envoyant un signal fort de transparence », précise Sarah N’Sondé, analyste chez S & P. Cette culture de la transparence « impose aux États de rendre compte de la gestion de leurs finances publiques », explique Éric Paget-Blanc, analyste chez Fitch.
La notation des entreprises, elle, reste embryonnaire, hormis en Tunisie, où elle s’est développée depuis 1997 autour de Maghreb Rating (filiale de Fitch Ratings), la seule agence internationale implantée en Afrique. « Le bureau de Tunis couvre l’Afrique du Nord et les pays francophones d’Afrique de l’Ouest, en coordination avec Fitch Paris », indique Ikbel Bedoui, son directeur, l’Afrique anglophone étant suivie par le bureau de Fitch à Johannesburg. S&P suit l’Afrique depuis Londres, Moody’s à partir de Chypre. En décembre 2004, Maghreb Rating a été intégrée à Fitch Ratings et rebaptisée Fitch North Africa. Fitch, son actionnaire historique, a racheté les participations de 20 % du Fonds monétaire arabe et les 20 % de la Banque mondiale via la Société financière internationale (SFI). Une fois le lancement assuré, les partenaires de Maghreb Rating se sont retirés. « À partir du moment où l’activité de croisière est atteinte, ils n’ont pas vocation à rester dans le capital », précise Ikbel Bedoui. En revanche, la tentative de création de l’agence Nile Rating, en Égypte, a échoué.
En Tunisie, Fitch note 32 sociétés, 13 institutions financières et 19 entreprises, contre quatre entités en Égypte. La notation détermine le taux d’intérêt auquel l’entreprise emprunte. C’est-à-dire le taux auquel se finance l’État, normalement la meilleure signature, auquel s’ajoute une prime de risque, le « spread », d’autant plus élevée que la note est faible.
Lors de la création d’un marché obligataire, dans un premier temps, en l’absence de notation pour guider les investisseurs, les emprunts sont garantis. « C’est le stade préhistorique », explique Ikbel Bedoui. Dans un deuxième temps, afin de rejoindre la « configuration standard occidentale », la notation des emprunts remplace la garantie. Pour accélérer le processus de notation, la Tunisie l’a rendu obligatoire et a supprimé la garantie des obligations. En plus de la notation internationale, Fitch a développé une échelle de notation nationale (note suivie du préfixe « tun »), qui permet de hiérarchiser les entreprises par rapport à la signature de l’État tunisien placé au sommet de l’échelle nationale (sa notation internationale est BBB). Ainsi, « la notation internationale permet de lever des fonds sur les marchés internationaux alors qu’une note nationale permet un financement local », poursuit Ikbel Bedoui.
Atypique, le marché obligataire marocain, le plus développé, fonctionne sur la notoriété sans aucune garantie ni notation des obligations. Seules la banque BMCI (filiale de BNP Paribas) et Eqdom, une société de crédit à la consommation (filiale de Société générale), sont notées par Fitch. L’Algérie, quant à elle, ne dispose pas de marché obligataire.
« En Afrique de l’Ouest, le financement du budget de l’État par les Banques centrales est interdit depuis deux ans par l’UEMOA, d’où la nécessité de développer leur marché obligataire », explique Éric Paget-Blanc. Seules la BAD (Banque africaine de développement), l’institution supranationale, et les filiales de la Bank of Africa, au Bénin et au Niger, sont notées par Fitch. « Pour développer la notation, la BRVM, le marché financier de l’UEMOA, devrait abandonner le système de garantie des obligations », précise Jean Missinhoun, directeur associé du cabinet Intangis. Le marché obligataire ouest-africain, le plus dynamique, cote dix-neuf emprunts, dont ceux de la BOAD, de la Sonatel, du Port autonome de Dakar et de l’ICS (Institut chimique sénégalais), mais aucun n’est noté. En Afrique centrale, les États de la Cemac, eux, n’ont pas réussi à s’accorder sur une place unique : deux Bourses cohabitent à Douala et à Libreville (en cours d’ouverture), sans aucune société cotée à ce jour. Seule la CUD (Communauté urbaine de Douala) devrait lancer le premier emprunt obligataire au Cameroun, un pays qui dispose d’un marché obligataire hors cote pour les emprunts d’État.
En dépit de leur récente notation, les États comme les entreprises du continent restent coupés des financements de marché. Quant à Walter Kansteiner, il a préféré rejoindre Brent Scowcroft, l’ancien responsable du Conseil national de sécurité sous George Bush senior, afin d’encaisser les dividendes de son carnet d’adresses en conseillant la privatisation de Telkom South Africa.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires