Photographie : Malick Sidibé, une vie à observer les autres

En juin 2007, le photographe malien avait vu l’ensemble de sa carrière couronnée par le prestigieux Lion d’or. Il est décédé le 14 avril 2016 et nous republions à l’occasion ce portrait que nous avions écrit alors.

Malick Sidibe. © Magnin-A.

Malick Sidibe. © Magnin-A.

Publié le 11 juin 2007 Lecture : 4 minutes.

Observateur privilégié de ses contemporains, Malick Sidibé a passé sa vie à les observer à travers l’objectif de son appareil. Depuis plus de quarante ans, le photographe malien collectionne les portraits en noir et blanc et enchaîne les expositions dans les musées les plus prestigieux. Le 10 juin 2007, l’ensemble de sa carrière a été récompensé par l’une des plus prestigieuses récompenses d’art contemporain : le Lion d’or de la Biennale de Venise. Jamais un Africain ni même un photographe ne s’était vu auparavant décerner un tel prix.

Dans les années 1960, Sidibé sillonne toutes les soirées, noces et bals populaires de Bamako. Ses clichés dévoilent les folles nuits des années yé-yé de l’indépendance, l’insouciance et la légèreté d’une adolescence qui s’amuse. Une époque qu’il regrette. « Aujourd’hui, la jeunesse est moins gaie. Les gens ne s’amusent plus comme avant. Les jeunes vont maintenant en boîte de nuit. »

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Le petit garçon de Soloba et Gégé la Pellicule

Né en 1936 dans le petit village de Soloba, au Mali, Sidibé a grandi au sein d’une famille peule. En 1952, il est admis à l’école des artisans soudanais (l’actuel Institut national des arts) de Bamako où il obtient, en 1955, un diplôme d’artisan-bijoutier.

La même année, Gérard Guillat, petit patron français d’un studio Photo Service, à Bamako, fait appel à ses talents pour décorer sa boutique et finit par l’embaucher. C’est sous la houlette de Gégé la Pellicule qu’il découvre la photographie. Avec ses maigres économies, il achète son premier appareil : un Brownie Flash de chez Kodak. Et il décide, appareil en bandoulière, de parcourir la capitale sur sa bicyclette.

Il est de toutes les soirées (jusqu’à six par nuit !), de tous les mariages, de tous les pique-niques dominicaux. « Le dimanche, se souvient-il, pendant les grandes chaleurs, beaucoup de gens avaient l’habitude d’aller à La Chaussée, au Rocher aux aigrettes où il y avait une chute d’eau. Les garçons apportaient des électrophones à piles et des disques, on faisait du thé, on se baignait, on dansait en plein air. » Malick Sidibé immortalise ces moments de détente, collectionne les scènes de vie et se transforme en reporter du quotidien.

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Studio Malick et les milieux populaires

En 1962, il se met à son compte et ouvre le Studio Malick. Son aîné, le Malien Seydou Keïta, décédé en 2001, avait déjà son studio. Keïta, grand maître du portrait, photographiait la haute société de Bamako ; Sidibé, encore novice, les milieux plus populaires.

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« Seydou, raconte-t-il, c’était la grande classe des fonctionnaires, des hommes richement vêtus qui couvraient leur dame de chaînes en or. Moi, c’était la classe moyenne ; on pouvait même poser avec un mouton. »

C’était l’âge d’or de la photographie. Les pellicules du week-end étaient développées immédiatement de sorte à afficher les photos sur les murs de la boutique dès le mardi matin. « Les gens venaient ainsi choisir leurs préférées pour les faire retirer en format de carte postale. »

Dans les années 1970, il se spécialise dans les portraits réalisés en studio. On vient de partout pour prendre la pose : étudiants fraîchement diplômés, enfants à peine baptisés, jeunes mariés, Occidentaux de passage. Malick s’amuse, invente les décors et joue avec les attitudes, les ports de tête, les regards. Sa renommée va grandissant. En 1994, il expose quelques clichés lors de la première édition des Rencontres africaines de la photographie de Bamako. À cette occasion, il rencontre le « gourou » de l’art africain, André Magnin, important collectionneur, qui a été l’un des commissaires de l’exposition internationale Les Magiciens de la Terre de 1989.

André Magnin le repère et le fait connaître

L’histoire veut que, lors de l’exposition Africa Explores 20th Century Arts, de 1991, à New York, Magnin ait été séduit par deux clichés réalisés en 1955 par un photographe inconnu de Bamako. Profitant de sa visite malienne, Magnin se serait rendu au Studio Malick pour demander à Sidibé de l’aider à identifier l’auteur des photographies.

Sidibé a reconnu la patte de Seydou Keïta. Mais surtout, Magnin entra de la sorte dans l’antre de Sidibé, qui recevra moins de dix ans plus tard, en 2003, le Prix international de la photographie de la Fondation Hasselblad, récompense la plus prestigieuse en la matière.

Outre qu’il est le premier Africain à recevoir ce prix, Sidibé est considéré comme l’un des plus grands photographes contemporains, au même titre que les Américains Richard Avedon ou William Klein. Magnin y est pour beaucoup. C’est lui qui a véritablement lancé Malick sur la scène internationale comme il l’a fait pour Seydou Keïta, pour l’artiste ivoirien Frédéric Bruly Bouabré, le peintre congolais Chéri Samba ou le plasticien béninois Romuald Hazoumé

En 1995, il révèle les clichés de Sidibé au public parisien et international en les exposant à la Fondation Cartier. Une étroite collaboration se met en place. Magnin devient presque l’agent exclusif du Malien et promeut son travail à travers le monde entier. Sidibé expose dans les grandes villes d’art : Londres, New York, Paris Aussi surprenant que cela puisse paraître, aucun contrat n’est signé entre les deux hommes. C’est une question de liberté mais aussi de fidélité. Car l’artiste malien est spontanément disposé à accorder sa confiance.

Toujours en argentique et en noir et blanc

C’est un homme d’honneur, un sage qui a su rester simple. Son succès ne l’a pas grisé. Il continue à développer lui-même les pellicules, à prendre des photos d’identité et à donner une seconde vie aux appareils fatigués, à les réparer. Il les collectionne, les bichonne.

Aujourd’hui septuagénaire, le photographe n’a rien perdu de son enthousiasme. Il poursuit la série des « Vues de dos » qu’il avait commencée dans les années 1960, révélant toute la sensualité féminine et la beauté des pagnes africains. Continuellement à l’affût, il a décidé de chasser en terres étrangères et s’est amusé, en 2006, à tirer le portrait des Alsaciens et des Bretons. Toujours en noir et blanc et en argentique. « Avec le numérique, on peut faire du faux », s’inquiète-t-il. Malick Sidibé est resté authentique.

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