Mali – Josep Borrell : « Cette transition ne doit pas être une transition de plus »
L’appui aux nouvelles autorités, les conditions à poser à l’aide européenne, les conséquences pour le Sahel de la mort d’Idriss Déby… De passage à Bamako, le haut représentant de l’Union européenne (UE), Josep Borrell, s’est confié à Jeune Afrique.
En tournée dans le Sahel, Josep Borrell a fait étape à Bamako. L’occasion pour le chef de la diplomatie européenne de s’entretenir avec le président de la transition, Bah N’Daw, avec le Premier ministre, Moctar Ouane, et avec le président du Conseil national de transition (CNT), Malick Diaw. Josep Borrell a réaffirmé la volonté de l’UE d’accompagner les réformes institutionnelles, tout en exigeant « davantage de gages » de la part des autorités de la transition.
Face à la dégradation de la situation sécuritaire, il annonce aussi un renforcement des formations dispensées aux soldats maliens et plaide pour un soutien militaire accru à l’opération Barkhane et à la task-force Takuba, qui regroupe des forces spéciales européennes déployées aux côtés des armées sahéliennes.
Jeune Afrique : Quel a été l’objet de vos échanges avec les autorités de la transition ?
Josep Borrell : Je suis venu présenter la nouvelle stratégie de l’UE pour le Sahel et souligner l’importance que nous donnons à cette période de transition, ainsi que notre volonté d’accompagner son succès. Le Mali vit un moment historique. Cette transition ne peut pas être une transition de plus. Il faut un sursaut, un bon en avant civil et politique.
C’est pour cela que l’UE va augmenter sa contribution financière pour aider aux réformes structurelles. Les élections c’est bien, mais ce ne sera pas suffisant. Il faut bâtir un état présent sur l’ensemble du territoire et qui soit capable de faire face aux menaces sécuritaires. Il nous faut évaluer quels sont les besoins d’aide technique et logistique pour mener tout cela à bien. Mais il est important d’avoir des résultats.
Quels sont les gages que vous exigez ?
Il ne s’agit pas tant de gages que de constats. Prenons l’accord de paix par exemple : nous continuons d’en financer les réunions, mais on ne peut pas se contenter de réunions sans résultats. Il faut des avancées mesurables. Un autre exemple : la bancarisation des paiements à l’armée. On ne peut pas se satisfaire d’un modèle de paiement aux officiers et aux troupes qui ne soit ni contrôlé ni contrôlable. Il faut que que les paiements soient informatisés comme dans toutes les armées modernes. Voilà quelque chose de facilement mesurable, dont on peut dire facilement si c’est fait ou non.
Je vous donne encore un exemple : le retour de l’administration sur le territoire. C’est un enjeu important et il faut savoir où l’on en est. Combien d’autorités locales sont en place ? Quel est le déploiement de la justice ? Pour tout cela, nous avons des indicateurs chiffrés.
L’an dernier, 38,5 millions d’euros n’ont pas été déboursés par l’UE parce que les conditions n’étaient pas remplies. Cette somme reste disponible pour le Mali et sera décaissée pour accompagner le processus de transition, si les conditions sont remplies.
La situation sécuritaire au Mali ne cesse de se dégrader, avec une menace qui s’étend vers le sud. La coopération militaire de l’Union européenne auprès de l’armée malienne a-t-elle vocation à être renforcée ?
Entre 2014 et 2020, la situation sécuritaire s’est effectivement dégradée de manière insoutenable. On compte en moyenne deux incidents sécuritaires graves par jour. Deux tiers du territoire malien échappent au contrôle du gouvernement. Depuis le début de l’année 2020, on dénombre 350 000 déplacés supplémentaires. Un tiers de la population a besoin d’aide humanitaire. Cette situation n’est pas tenable.
Pour ce qui est de l’UE, nous avons une mission de formation, pas de combat, ce qui n’est pas plus mal parce qu’il faut que la sécurité du Mali soit une affaire malienne. On ne peut pas imaginer que la sécurité au Sahel soit pour toujours l’affaire d’autres armées.
Mais compte tenu de la dégradation du contexte sécuritaire, n’y a-t-il pas lieu de questionner l’efficacité des formations délivrées par l’UE ?
Je ne crois pas que l’évolution du contexte sécuritaire soit lié à la qualité des formations fournies, mais nous allons renforcer nos activités d’entraînement. L’armée malienne, comme l’ensemble des armées du Sahel, a besoin de renforcer ses capacités. C’est l’un des points que j’ai évoqués avec le ministre de la Défense. Nous sommes conscients que si nous voulons inverser la tendance actuelle, il faut investir plus.
Outre les activités de formation, faut-il davantage d’implication européenne au combat, au sein de la task-force Takuba par exemple ?
Il faut distinguer ce que font les États membres de ce que fait l’UE. Les missions de combat de la France et d’autres pays membres sont fondamentales pour combattre l’insécurité au Sahel, mais les institutions européennes se limitent, elles, à des activités de formation.
Plaidez-vous alors pour que davantage d’États membres de l’UE s’engagent individuellement auprès de la France ?
J’ai le sentiment que tous les États membres doivent s’engager au Sahel, parce que la situation l’exige. Il est évident que les efforts fournis par certains pays, à commencer par la France, doivent être accompagnés par un engagement majeur des autres États membres.
Vous étiez récemment au Tchad pour les funérailles du président Idriss Déby Itno. Craignez-vous que sa disparition soudaine et l’instabilité qui menace le pays aient des conséquences sur la force G5 Sahel ?
Le Tchad est un pourvoyeur de sécurité essentiel au Sahel. La mort du président représente un changement important dans l’architecture politique du pays et il faut veiller à ce que le pays demeure stable, pour qu’il puisse continuer à jouer un rôle dans la lutte contre l’insécurité dans la région. Il nous faut donc rester vigilants, et suivre de près la situation militaire et politique. Il faut surtout retourner aussi vite que possible à un ordre constitutionnel, basé sur des valeurs démocratiques.
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