Afrique du Sud : entre Zuma et Ramaphosa, le duel qui fragilise l’ANC
Chargée d’enquêter sur les soupçons de corruption qui visent l’ancien président, la commission Zondo cristallise les divisions au sein de l’ANC. Car si le principal mis en cause refuse de témoigner, l’actuel chef de l’État, Cyril Ramaphosa, a lui été entendu, défendant l’idée d’un parti tournant la page des années Zuma.
L’image est rare : un président en exercice, non contraint, interrogé par une commission anti-corruption. « C’est ainsi que notre démocratie fonctionne », déclare Cyril Ramaphosa à ceux qui s’en étonnent. Ce mercredi 28 avril, le chef de l’État sud-africain témoigne devant la commission Zondo, qui enquête sur des soupçons de « capture d’État », autrement dit d’accaparement du pouvoir et des richesses par une minorité corrompue. Au cœur de ce faisceau d’accusations, l’ancien président, Jacob Zuma, au pouvoir de 2009 à 2018 et soupçonné d’avoir permis à la famille Gupta d’infiltrer tous les étages de l’appareil d’État. Cyril Ramaphosa sourit aux juges, plaisante et répond aimablement à des questions inoffensives. Il reconnaît l’existence d’une « ère de la capture d’État ».
Cinq mois plus tôt, même bâtiment, même fauteuil. Nous sommes le 19 novembre 2020 et c’est Jacob Zuma, chef d’État de 2009 à 2018, qui témoigne. Une courte apparition avant un coup d’éclat. Au moment de la pause café, il quitte la commission sans prévenir. Une gifle au visage de cette institution, un aller sans retour. « Je ne vais pas me soumettre à un système judiciaire injuste et oppressif », réagira Jacob Zuma via un communiqué.
Suivront toutes sortes de médiations, de mains tendues et même une menace – en cours d’examen – de condamnation à deux ans de prison pour outrage. Les efforts de Cyril Ramaphosa et des leaders du Congrès national africain (ANC) pour ramener Jacob Zuma à la raison n’ont pas eu plus d’effets. « Vous n’avez aucune sympathie pour moi […] Ces dernières années l’ANC ne m’a jamais protégé », rétorque l’intéressé lors d’une réunion de la dernière chance. Sa démission forcée, survenue le 14 février 2018 alors qu’il était cerné par les affaires de corruption, lui est restée en travers de la gorge.
Ramaphosa joue la carte anti-Zuma
Si on ne lui connaît plus d’ambitions personnelles, Jacob Zuma reste un animal politique. Avec des crocs, des griffes et des pics sur le dos. « Il a réussi à se vendre comme le politicien contre lequel vous risquez une guerre perpétuelle si vous osez le défier », résume Ongama Mtimka, politologue à l’université Nelson Mandela de Port Elizabeth. Ses attaques contre la commission Zondo sont accueillies avec bienveillance par une frange du parti. « Les débats de cette nature sont toujours bons pour la démocratie », salue Ayanda Dlodlo, actuelle ministre de la Sécurité d’État. Celle qui a servi sous les deux présidents partage les réticences de Zuma vis-à-vis de la commission Zondo : « Je ne suis pas ceux qui la voient comme sacro-sainte », dit-elle avec diplomatie.
« La commission Zondo est utilisée à des fins politiques et le président en profite pour prendre sa revanche sur ses opposants
Cette imbrication du judiciaire et du politique dérange une partie de l’ANC. « De manière très simplifiée, vous avez une aile qui pense que le pouvoir politique ne doit pas être entravé. C’est le camp du secrétaire général du parti, Ace Magashule, et de l’ancien président, Jacob Zuma. Et vous avez l’autre camp, qui n’est pas sans reproches, mais qui au moins continue à croire que l’état de droit et la Constitution sont importants et que le pouvoir doit avoir des garde-fous », schématise Ongama Mtimka.
Ces divisions ne sont pas seulement exposées par la commission Zondo, elle sont aussi exploitées par Cyril Ramaphosa. Devant le juge Zondo, il joue la carte anti-Zuma. « Nous sommes fiers d’avoir une justice solide et indépendante », insiste-t-il. Protégé par son statut de président en exercice, il n’a pas été mis sous pression lors de son témoignage, en dépit du fait qu’il a été le vice-président de Zuma (de 2014 à 2018). « Ils l’ont laissé livrer sa version des faits et il est resté très vague sur de nombreux sujets », observe André Duvenhage, politologue à la North West University. La commission l’a traité « avec déférence » et « elle a pris des gants », raille Carl Niehaus, membre de l’ANC et proche de Zuma.
Redonner confiance aux militants
Reconnaissant les errements de son parti sans en endosser la responsabilité, Cyril Ramaphosa promet de faire « en sorte que les excès du passé ne se reproduisent pas dans notre pays ». « [La commission Zondo] est utilisée à des fins politiques et Ramaphosa en profite pour prendre sa revanche sur ses opposants », analyse André Duvenhage. Sur Twitter, l’ancien leader démocrate Simon Grindrod exprime un sentiment largement partagé : « La commission n’est rien de moins qu’un exercice de communication pour dépeindre les anciens cadres comme corrompus et l’actuelle direction comme angélique. »
Les militants ont perdu confiance dans leur parti à cause des soupçons de corruption »
L’opération mains propres vise à redonner confiance aux militants. La base électorale de l’ANC s’érode doucement mais sûrement. Lors des élections locales de 2016, le parti a enregistré ses pires résultats électoraux depuis sa prise de pouvoir en 1994. Pretoria et Johannesburg sont tombées aux mains de l’opposition. « Leurs propres militants sont restés éloignés des bureaux de vote », rappelle Ebrahim Fakir, politologue au Auwal Socio-Economic Research Institute (ASRI) à Johannesburg. Certes, l’ANC reste le parti majoritaire, mais « les militants ont perdu confiance dans leur parti à cause des soupçons de corruption« , ajoute le politologue.
Pour regagner en crédibilité, le Comité national exécutif du parti a activé une « résolution de mise à l’écart ». Tout membre de l’ANC inculpé dans une affaire grave doit se mettre en retrait. Les personnes visées bénéficient d’un délai de 30 jours pour plaider leur cause. Passé cet ultimatum, ils seront exclus. Premier concerné, le secrétaire général de l’ANC. En poste depuis 2017, Ace Magashule est inculpé pour fraude et détournement dans une affaire de contrat public de désamiantage et il s’est bien gardé de démissionner avant l’expiration de l’ultimatum.
Les instances de l’ANC auront mis plusieurs jours avant de décider d’une sanction à l’encontre de l’un de ses membres les plus puissants (il a finalement été suspendu le 5 mai). Auparavant, Jacob Zuma, son mentor, l’avait d’ailleurs récemment reçu dans sa résidence, tout comme l’ancien président Thabo Mbeki. « Le fait que sa mise à l’écart ait été retardée montre qu’il y a des gens qui sont prêts à l’écouter malgré le risque de chaos au sein du parti. La réalité, c’est qu’il a des soutiens », relève le politologue Ebrahim Fakir.
Menaces de scissions et coups bas
« Aujourd’hui, la plus forte opposition au président Ramaphosa vient du clan Magashule », poursuit André Duvenhage. Même suspendu, le secrétaire général représente une faction officieuse qui a pris le nom de RET pour « Réforme radicale de l’économie » (un engagement politique inscrit dans le programme de l’ANC) et qui accuse le chef de l’État d’être trop modéré face aux grands patrons du capitalisme blanc.
« C’est normal d’avoir différents camps au sein d’un parti. Mais le problème de l’ANC, c’est que ces dissensions ont pris tellement d’ampleur que les agendas politiques de chacun prennent le pas sur l’unité du parti », diagnostique Ongama Mtimka.
Cyril Ramaphosa conserve une majorité de soutiens au sein de l’ANC. « Suffisamment en tout cas pour que lui et ses alliés puissent faire évoluer positivement le parti », veut croire Ongama Mtimka. Le chef de l’État reste néanmoins exposé aux coups bas et aux conspirations. Mal élu, avec seulement 51,8% des voix lors du scrutin pour la présidence de l’ANC en 2017, il demeure vulnérable. Sa stratégie de normalisation sera évaluée dès le 27 octobre prochain lors des élections municipales.
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