Pourquoi l’Afrique reste à quai

Aide au développement, annulations de dettes, santé pour tous Les questions abordées sur les rives de la Baltique avaient un curieux air de déjà-vu.

Publié le 11 juin 2007 Lecture : 5 minutes.

Un camp retranché surprotégé pour préserver la tranquillité des chefs d’État Des manifestations altermondialistes à la périphérie de la ville ponctuées de violents affrontements avec les forces de l’ordre Du 6 au 8 juin, dans la coquette station balnéaire de Heiligendamm, sur la côte baltique, le sommet du G8 n’a pas dérogé aux habitudes prises depuis plusieurs années.
C’est donc bien à l’abri que les leaders des huit pays les plus industrialisés ont passé en revue l’actualité du monde. Une fois encore, l’Afrique était à l’ordre du jour, même si les principaux enjeux étaient ailleurs. Sur fond de crispation croissante entre les États-Unis et la Russie, la première journée aura surtout permis à George W. Bush et à Vladimir Poutine d’arrondir les angles sur le projet américain de bouclier antimissile. Grâce à l’acharnement de la chancelière allemande Angela Merkel, les menaces du réchauffement climatique ont également été prises en compte.
Malgré cet agenda surchargé, le continent a réussi à se faire une place. Les élans de générosité qui ont marqué le sommet de Gleneagles (Écosse), en 2005 (proclamée « année de l’Afrique »), ont certes déjà montré leurs limites, mais les lancinantes questions de l’aide au développement, des annulations de dettes et de la santé pour tous demeurent. Elles ont fait, lors de la deuxième journée, l’objet d’une table ronde, à laquelle quelques chefs d’État ont été invités à participer afin d’exposer leurs arguments. Les avocats se nommaient Abdelaziz Bouteflika (Algérie), Umaru Yar’Adua (Nigeria), Abdoulaye Wade (Sénégal) et Thabo Mbeki (Afrique du Sud). À noter aussi la présence du Ghanéen John Kufuor, président en exercice de l’Union africaine, et du Malien Alpha Oumar Konaré, président de la Commission. Mais tout cela a quand même donné une curieuse impression de déjà-vu. Et laissé un goût d’inachevé.

Aide. Heiligendamm aura seulement confirmé les promesses de Gleneagles. Mais comme celles-ci ne sont pas respectées, elles n’engagent que ceux qui veulent bien y croire. Il y a deux ans, les « huit », décidés à lutter contre la pauvreté, avaient annoncé un doublement de leur aide à l’Afrique : 50 milliards de dollars en 2010. Problème : les flux d’aide sur le continent sont passés de 35,8 milliards de dollars en 2005 à 35,1 milliards en 2006. En termes réels, l’assistance à l’Afrique subsaharienne a baissé de 2,1 % entre 2004 et 2005.
D’après les calculs de l’ONG Oxfam, les pays du G8, s’ils veulent vraiment respecter leur parole, sont en retard de 30 milliards de dollars. Alors qu’ils prévoient de consacrer 0,7 % de leur Produit intérieur brut (PIB) à l’aide au développement en 2012, le montant de celle-ci est passé de 0,33 % en 2005 à 0,3 % en 2006. Le décalage est si flagrant que même les institutions internationales ne peuvent plus nier l’évidence et enfourchent le credo des ONG.
« À ce stade, les pays africains n’ont pas profité des avantages promis à Gleneagles. En quarante ans, de nombreux bailleurs de fonds ont accru leur participation à des opérations d’aide humanitaire et à la réduction de la dette, mais cela ne se traduit pas par l’apport de ressources supplémentaires permettant de reconstruire les infrastructures, de former les enseignants et de lutter contre le sida », reconnaît John Page, économiste en chef de la Banque mondiale pour la région Afrique.
L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) est, elle aussi, montée au créneau. « L’aide à l’Afrique ne va pas assez vite. On a l’impression qu’elle a beaucoup augmenté, mais c’est un effet arithmétique lié à l’annulation de la dette », explique Angel Gurria, le secrétaire général de l’organisation. Pour tenir leurs promesses et faciliter un vrai développement à l’Afrique, il faudrait juste que les pays du G8 ajoutent 1 dollar supplémentaire par habitant et par semaine ?au 1,7 dollar qu’ils versent déjà.

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Santé. En matière d’aide aux pays du Sud, la mode est aux financements innovants, notamment dans le secteur de la santé. La taxe de solidarité sur les billets d’avion lancée par l’ancien président français Jacques Chirac doit permettre d’affecter annuellement 200 millions d’euros supplémentaires à la lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. La Facilité internationale de financement pour la vaccination (Iffim) voulue par Tony Blair, le Premier ministre britannique, doit mobiliser, en dix ans, 4 milliards de dollars sous la forme d’un emprunt international. Pour autant, « les ressources dans la lutte contre le VIH ont été, en 2006, inférieures de 6 milliards de dollars aux besoins », estime l’Onusida.
Au début du mois, l’organisation internationale avait mis le G8 devant ses responsabilités. L’appel a été en partie entendu. En tout cas, l’effet d’annonce est réel. Les grandes puissances se sont engagées à débloquer 60 milliards de dollars pour combattre le sida, la tuberculose et la malaria en Afrique. Problème : le calendrier est flou, le montant englobe des versements déjà alloués et intègre les fonds dégagés par les mécanismes innovants. Les ressources additionnelles sont donc minces. « C’est une bonne nouvelle », s’est toutefois réjoui Michel Kazatchkine, le directeur du Fonds mondial pour la lutte contre le sida, la tuberculose et la malaria. Son institution va pouvoir dépenser 8 milliards de dollars par an, contre 6 milliards actuellement.

Darfour. Sur ce dossier, la principale avancée aura été l’annonce par le président français Nicolas Sarkozy de la tenue, le 25 juin à Paris, d’une conférence internationale avec la participation des ministres des Affaires étrangères du « groupe de contact » (France, États-Unis, Royaume-Uni, Pays-Bas, Norvège, Canada, Nations unies, Union africaine et Union européenne). La rencontre sera « élargie à des pays comme la Chine et l’Égypte », a précisé le président français, et portera sur la « totalité du problème ».
Les pays du G8 se sont par ailleurs déclarés favorables à l’envoi d’une force hybride constituée de soldats de l’Union africaine et de Casques bleus des Nations unies, soit environ 20 000 hommes. Une ébauche d’accord a été conclue, le 6 juin, qui doit conduire à une « unité de commandement et de contrôle » entre les deux organisations. Quant au régime soudanais, les menaces de sanctions sont censées le faire plier.

Réchauffement climatique. L’essentiel a été préservé et, devant l’intransigeance des États-Unis, il était illusoire d’en vouloir davantage. Bush est parvenu à empêcher la définition de tout objectif chiffré, et mesurable dans le temps, de la réduction des gaz à effet de serre. Finalement, après d’âpres discussions qui ont bien failli capoter, les pays du G8, qui produisent à eux seuls plus de 40 % des gaz polluants à travers le monde, se sont engagés sur un horizon lointain et sans contrainte. « Les émissions devront cesser d’augmenter et être ensuite réduites de façon substantielle », s’est borné à indiquer le communiqué.
Après avoir plaidé pour une réduction de 50 % d’ici à 2050, afin de contenir le réchauffement climatique à deux degrés, Angela Merkel a parlé d’un « grand succès ». Il faut dire que les Européens ont réussi à maintenir le rôle prépondérant des Nations unies, alors que Bush n’en voulait plus. Finalement, le G8 s’est engagé à poursuivre ses efforts, dès la fin de l’année, sous l’égide de l’ONU. Objectif : définir un futur « régime international » de lutte contre le réchauffement, après le protocole de Kyoto, qui expire en 2012. Décidément, le G8 est avant tout une affaire de compromis. Il faut bien que chacun sauve la face…

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