Musulmans bien sous tous rapports

Qu’ils soient immigrés ou non, la grande majorité des Américains adeptes de l’islam sont parfaitement intégrés.

Publié le 11 juin 2007 Lecture : 4 minutes.

Des musulmans en phase avec les valeurs des États-Unis et désireux de s’intégrer dans leur pays d’accueil. C’est l’image qui ressort d’une vaste enquête conduite par le Pew Research Center et rendue publique le 22 mai. Cet organisme indépendant a contacté 60 000 personnes afin d’établir un échantillon représentatif de quelque 1 050 individus. Les entretiens ont eu lieu en anglais, mais aussi en arabe, en ourdou et en farsi. Selon les chiffres fournis par l’institut, près de 65 % des musulmans vivant aux États-Unis sont en effet nés à l’étranger, dont 24 % originaires d’un pays arabe, 8 % du Pakistan et 8 % également de l’Iran. Il s’agit en outre d’une immigration récente, puisque 39 % d’entre eux sont arrivés après 1990.
Les musulmans ont apparemment une vision très positive de la société américaine ; 78 % se disent « très contents ou contents » de leur vie aux États-Unis. Ils sont 71 % à approuver la philosophie locale selon laquelle « quand on travaille, on y arrive ». De fait, leurs niveaux de revenus et d’éducation sont très proches de ceux de l’ensemble de la population américaine. La religion est très importante pour eux. Plus de 60 % prient chaque jour, 40 % vont à la mosquée au moins une fois par semaine. Près de la moitié (47 %) se considèrent comme musulmans avant de se sentir américains, alors que les chrétiens ne sont que 42 % à éprouver un tel sentiment. Mais, selon des études comparables conduites de l’autre côté de l’Atlantique, ce pourcentage est bien plus important encore chez les musulmans européens.
Signe d’un évident désir d’intégration, une majorité affirme avoir parmi leurs proches amis une proportion importante de non-musulmans. Beaucoup pensent également que les musulmans arrivant dans le pays doivent s’efforcer d’adopter ses coutumes et 63 % d’entre eux ne voient pas de contradiction entre le fait d’être pieux et de vivre dans une société moderne.
S’ils continuent à adhérer aux valeurs de la société américaine, beaucoup déclarent que leurs conditions de vie se sont dégradées depuis le 11 septembre 2001. Un quart affirme avoir été victime de discrimination. Encore ce pourcentage masque-t-il une grande différence entre les musulmans nés dans le pays, qui sont 41 % à se plaindre de discriminations, et les immigrants, qui ne sont que 18 %. Mais ces derniers semblent réticents à s’exprimer sur ce sujet. Cela ne les empêche pas de manifester leur opposition à la politique américaine contre le terrorisme et de déplorer les conséquences que celle-ci a eues sur leurs vies. Quelque 75 % des Américains musulmans jugent que la guerre en Irak était une mauvaise décision (contre 45 % des Américains en moyenne). Le pourcentage est de 48 % pour ce qui concerne l’Afghanistan.
Pourtant, ils rejettent l’extrémisme. Seuls 1 % d’entre eux défendent l’idée que les attentats-suicides au nom de l’islam sont « souvent » justifiés alors que pour 7 % ils le sont « parfois ». En Europe, les pourcentages de musulmans à admettre ce type d’opérations sont beaucoup plus élevés : 15 % au Royaume-Uni, 16 % en France et en Espagne.
Pour ce qui est du problème palestinien, les musulmans américains sont beaucoup plus nombreux que leurs coreligionnaires du Proche-Orient à concevoir qu’une solution peut être trouvée qui garantisse à la fois l’existence d’Israël et le respect des droits des Palestiniens. Sur cette question, leur position n’est guère différente de celle de l’opinion américaine prise dans son ensemble.
L’étude fait par ailleurs ressortir que les jeunes – les moins de 30 ans – sont à la fois plus pratiquants et plus compréhensifs à l’égard de l’extrémisme islamique que leurs aînés. Ainsi 15 % d’entre eux pensent-ils que les attentats-suicides peuvent avoir une justification.
En conformité avec leur forte opposition à la guerre en Irak, les musulmans sont très critiques à l’égard de l’action de George W. Bush en général ; 15 % seulement approuvent la façon dont il dirige le pays, 69 % la désapprouvent. Dans l’ensemble de l’opinion, les pourcentages sont respectivement de 35 % et 57 %. Logiquement, ils se sentent nettement plus proches du Parti démocrate que de la formation du président : 63 %, contre 11 %. Et, en 2004, ils ont accordé un soutien très net à John Kerry, qui a recueilli 71 % de leurs voix, Bush devant se contenter d’un maigre 14 %.
Aussi intéressantes soient-elles, ces données reposent toutefois sur un présupposé contestable. Le Pew Research Center évalue la population musulmane américaine à 2,35 millions de personnes, soit 0,6 % de la population totale. Selon de nombreuses sources très sérieuses, ce nombre est d’au moins 6 millions, dont une grosse moitié de Black Muslims, des Africains-Américains convertis. On sait que ces conversions, dont une bonne part remontent aux années 1960-1970, ont un caractère plus politique que spirituel. C’est pour s’insurger contre les discriminations dont ils sont victimes que les Noirs ont changé de religion.
Si cette composante de la population a été minorée dans l’enquête du Pew Research Center, certains résultats peuvent être biaisés. Autant est-il logique que des immigrés manifestent leur satisfaction de vivre dans un pays où ils ont choisi de venir s’établir, autant peut-on comprendre que des descendants d’esclaves expriment leurs réticences à l’égard du même pays qui tarde ou a tardé à leur accorder l’égalité des droits. L’enquête montre d’ailleurs clairement à quel point les positions des uns et des autres peuvent différer. Sur al-Qaïda, par exemple. Si 63 % des musulmans nés à l’étranger ont une opinion très défavorable de l’organisation d’Oussama Ben Laden, seuls 36 % des Africains-Américains de confession musulmane sont sur cette ligne de pensée.
En Europe occidentale, où se côtoient de multiples communautés issues du monde arabo-musulman, l’islam est certes multiple. En Amérique, aux mêmes types de différenciation s’ajoute une ligne de fracture entre immigrés et autochtones qui rend très aléatoire toute généralisation sur les attitudes et les aspirations d’une communauté musulmane qui n’existe pas en tant que telle.

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