[Série] Tunisie : de la dette à la conquête française de 1881 (2/4)

« Il y a 140 ans, la Tunisie tombait sous la domination française » (2/4) – Endetté, le beylicat est contraint d’accepter la tutelle européenne. L’engrenage qui mènera à la conquête du pays par la France et à l’instauration d’un protectorat en 1871, est enclanché.

Le Congrès de Berlin. © Wikipedia

Le Congrès de Berlin. © Wikipedia

Publié le 18 mai 2021 Lecture : 4 minutes.

« Si la Tunisie a été colonisée, c’est qu’elle était colonisable » écrivait l’historien Charles-André Julien. La régence de Tunis, province ottomane depuis 1574 mais disposant d’une certaine autonomie, est dans l’incapacité de rembourser ses créanciers européens, sollicités par le bey Mohammed es-Sadok (1813-1882) en 1865. Une commission financière internationale est mise en place en 1869 pour gérer le pays, dont le service de la dette.

Deux Italiens, deux Anglais et deux Français composent le comité de contrôle de cette instance, le pouvoir beylical perd la main sur les affaires internes du pays. Avec le développement des flux commerciaux et la quête d’un avenir fructueux, une population hétéroclite d’Italiens, de Français et de Britanniques s’est installée en Tunisie et est représentée par des consuls. Proche de la cour, ils joueront un rôle clé dans les préludes du protectorat.

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Rivalités européennes

La situation politique tunisienne semble s’apaiser avec la destitution du Premier ministre Mustapha Khaznadar en 1873 mais les puissances étrangères sont aux aguets. La France sort d’une période difficile après sa défaite face à la Prusse en 1870 et le coût de la résistance inattendue à sa domination en Algérie. Paris doit aussi composer avec une population plutôt hostile à la colonisation. L’Italie tente d’en profiter pour installer sa prépondérance en Tunisie et envoie, en 1871, sa flotte sur Tunis. Anglais, Français et Ottomans font front ensemble pour faire reculer l’Italie. Constantinople rappelle alors sa suzeraineté sur la régence. Laquelle octroie en 1872 une concession à l’Angleterre pour la construction d’une ligne de chemin de fer qui dessert Tunis-La Goulette-La Marsa (TGM).

Prenez Tunis, si vous voulez, l’Angleterre ne s’y opposera pas et respectera vos décisions

La France compensera la perte de ce marché en se faisant attribuer différentes concessions de chemin de fer dont celle de la ligne Tunis-Alger. Mais les Italiens réagissent en rachetant en 1880, avec la garantie financière du gouvernement italien, la ligne du TGM pour quatre fois sa valeur.

Tout se joue au Congrès des Nations de Berlin en 1878, consacré à l’examen des guerres dans l’empire ottoman. Il est aussi l’occasion de négociations discrètes entre les puissances européennes. En coulisses, les Britanniques accordent à la France d’occuper la Tunisie en échange de leur occupation de Chypre. « Prenez Tunis, si vous voulez, l’Angleterre ne s’y opposera pas et respectera vos décisions. D’ailleurs, vous ne pouvez pas laisser Carthage aux mains des barbares » lâche le représentant de l’Angleterre, Lord Salisbury, à son homologue français.

Les Allemands, soucieux de solder les différends avec Paris hérités de la guerre de 1870, approuvent le projet. « Le chancelier Otto von de Bismarck nous fit entendre que nous pourrions nous emparer de la Tunisie sans qu’il eût rien à redire » signale la délégation française. Les objections italiennes ne font pas le poids. A l’ombre des empires coloniaux, la carte de la Méditerranée est redessinée. Mais ces appuis ne suffisent pas à la France qui a déjà annexé l’Algérie en 1839. Le gouvernement français cherche l’occasion d’engager une intervention militaire et une occupation de la Tunisie.

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Occupation française

Pour les grands argentiers, il est temps de faire des affaires. Les banquiers font le pari que la France restructurera la dette tunisienne et indemnisera les créanciers. Ils rachètent alors à prix bradé, soit 330 francs, des titres de la dette tunisienne qui à la veille du protectorat atteindront le sommet de 487 francs. Le groupe Erlanger, qui fait partie des créanciers de la Tunisie, met à contribution l’agence Havas pour une campagne médiatique en soutien d’une intervention militaire française.

Le consul Adolphe de Botmiliau déplore « les mœurs de la race arabe (…) ses habitudes de fausseté, de mensonge, de corruption… »

Les consuls guettent le moindre faux pas du bey qui pourrait constituer un élément déclencheur pour l’occupation de la Tunisie. Certains font dans la duplicité : le consul français Charles Beauval a négocié dès 1864 l’appui de Ali Ben Ghedhahem (1814-1867), leader d’un soulèvement populaire, en cas de renversement du bey, pourtant officiellement soutenu par la France.

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Quant au consul Adolphe de Botmiliau (1789-1871) qui, selon l’historien Jean Ganiage, déplore « les mœurs de la race arabe, son inaptitude au travail, ses habitudes de fausseté, de mensonge, de corruption… », il ne voit plus en 1867 « d’autre solution qu’une occupation de la Tunisie par la France, annexion définitive à l’Algérie ou occupation temporaire à titre de gage ».

Il sera exaucé grâce à Constantinople qui souhaite remplacer Mohamed es-Sadok Bey par Kheireddine Pacha, une remise en cause directe du statu quo favorable aux intérêts français. Les Ottomans finissent par renoncer à la manœuvre, mais les autorités françaises sont définitivement convaincues d’agir sur le sol tunisien. Au prétexte d’exactions entre une tribu tunisienne et une tribu algérienne, les autorités françaises décident en avril 1871 l’envoi de 24 000 soldats pour assurer la sécurité sur la frontière. C’est le début d’un protectorat, officialisé par le traité du Bardo, signé en mai 1881.

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