[Tribune] « M. Macron, il est encore temps de sauver Digital Africa ! »
Alors que le conseil d’administration de l’association Digital Africa doit se réunir ce 7 mai, le président de l’association Smart Click Africa s’interroge sur la sincérité des promesses du président français aux jeunes Africains et à la diaspora africaine.
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Beaugas Orain Djoyum
Directeur général du cabinet de veille stratégique et d’e-réputation ICT Media Strategies, président de l’association Smart Click Africa
Publié le 7 mai 2021 Lecture : 4 minutes.
De nombreux jeunes Africains passionnés par le numérique, des jeunes Africains investissant dans le secteur des TIC, des jeunes Africains qui créent des solutions digitales pour résoudre les problèmes de leur communauté, sont déçus par les multiples blocages de l’initiative Digital Africa que vous leur avez annoncée le 28 novembre 2017 à Ouagadougou au Burkina Faso.
Moins de trois ans après sa mise en service, l’association Digital Africa a du mal réaliser ses objectifs, parce que bloquée par des incompréhensions entre des membres africains et des membres français de son conseil d’administration, notamment l’Agence française de développement qui a d’ailleurs évoqué il y a quelques mois la possibilité d’une dissolution de cette association.
vos représentants de l’AFD au sein du projet Digital Africa dictent aux Africains membres du conseil d’administration ce qu’ils doivent faire
Au regard de cette menace, il y a lieu de s’interroger sur la sincérité de vos promesses aux jeunes Africains et à la diaspora africaine. D’abord à Ouagadougou en novembre 2017, ensuite à l’Élysée en juillet 2019, lors de l’échange avec la diaspora africaine.
Monsieur le Président,
À Ouagadougou, vous avez dit être d’une génération qui n’a jamais connu l’Afrique comme un continent colonisé. Vous avez précisé que vous êtes d’une génération où on ne vient pas dire à l’Afrique ce qu’elle doit faire. Or, vos représentants de l’AFD au sein du projet Digital Africa dictent aux Africains membres du conseil d’administration ce qu’ils doivent faire ;
À Ouagadougou, vous avez clamé avoir « l’intime conviction que ce n’est pas simplement un dialogue franco-africain que nous devons reconstruire ensemble, mais bien un projet entre nos deux continents, mais bien une relation nouvelle, repensée à la bonne échelle…». Au sein de Digital Africa, ce n’est pourtant pas le cas. Les avis des membres africains du conseil d’administration de l’association sont systématiquement foulés au pied, dans la lignée d’une vision passéiste de la relation entre la France et l’Afrique ;
À Ouagadougou, vous avez manifesté le désir d’avoir « une aide publique au développement plus spécifique où nous nous mettons ensemble autour de la table, de manière directe, avec les étudiants, avec les ONG, avec les associations, avec les entreprises… Non pas pour avoir des cathédrales que nous construisons à notre gloire, non. Mais pour poursuivre des projets dont les Africains ont besoin ». À Digital Africa, vous avez certes réuni autour de la table étudiants et associations africaines, mais les avis et propositions des Africains qui y sont comptent peu ;
À l’Élysée, en juillet 2019, face aux 300 membres de la diaspora africaine que vous avez invités, vous avez rappelé que vous voulez avec l’Afrique un partenariat équilibré : « Ce qu’on est en train de mettre en place avec l’AFD, en lien avec ce qu’on fait d’investissement solidaire en Afrique, c’est un partenariat équilibré. […] Où chacun trouve sa part. Où on aide à former, à développer l’entreprenariat dans les pays africains, à développer un écosystème. »
Eh bien Monsieur le Président, le projet Digital Africa, malgré la présence d’institutions françaises et d’associations africaines en son sein, est l’illustration parfaite de la volonté de la France de faire exactement le contraire de ce que vous dites. Selon des témoignages concordants, ce partenariat semble irrespectueux et déséquilibré, peu propice à la reconquête des cœurs ;
Monsieur le Président, tâchez de veiller à ce que vos promesses, sur le terrain, reflètent vos pensées et ambitions
À l’Élysée, face à la diaspora africaine, vous confessez qu’au cours des quinze dernières années, la France et l’Europe ont décroché en Afrique. « Je pense que cela doit nous conduire à repenser nos méthodes et notre approche et [à passer] par la culture, par les relations personnelles, par l’éducation, par l’entreprise… […] Nous étions restés dans une vision passéiste et nous avions construit des blocages intérieurs », avez-vous déclaré ce jour-là. Là encore, les faits sont en contradiction avec les intentions.
Certes l’Afrique, les jeunes Africains et les gouvernements africains doivent eux-mêmes trouver des mécanismes et solutions pour bâtir et développer un réel écosystème digital et entrepreneurial en Afrique au bénéfice des Africains. Mais, lorsque vous faites des promesses, Monsieur le Président, surtout dans ce secteur du numérique qui intéresse tant de jeunes et leaders africains, tâchez de veiller à ce que vos promesses, sur le terrain, reflètent vos pensées et ambitions. À moins de vouloir continuer à faire et à penser « l’Afrique sans les Africains ».
Monsieur le Président, il est encore temps ! Il est encore temps de prouver aux jeunes Africains que nous sommes que vous êtes d’une autre génération de Français, que vous avez tourné la page des Français restés dans une vision paternaliste, colonialiste et passéiste de sa relation avec l’Afrique, comme vous le revendiquez.
Et surtout, Monsieur le Président, souvenez-vous de ces mots de l’un de vos prédécesseurs, le président Jacques Chirac, qui, le 18 janvier 2001 à Yaoundé au Cameroun à la veille du sommet France-Afrique, après avoir lu la lettre de l’épiscopat français lui demandant de prendre des distances avec certains régimes africains, déclarait ceci : « À propos de l’Afrique et de Madagascar, il faut commencer par réfléchir tout en sollicitant notre mémoire. Nous avons commencé par saigner ce continent pendant quatre siècles et demi avec la traite des Noirs. Ensuite, nous avons découvert ses matières premières et nous les avons saisies. Après avoir dépossédé les Africains de leurs richesses, nous leur avons envoyé nos élites qui ont évacué la totalité de leurs cultures. Aujourd’hui, nous les délestons de leurs cerveaux grâce aux bourses d’études, qui constituent en définitive une autre forme d’exploitation car les étudiants les plus brillants ne rentrent pas chez eux. Au bout du compte, nous constatons que l’Afrique n’est pas dans un état brillant et, comme nous nous sommes enrichis à ses dépens, nous lui donnons des leçons à titre de prime. Tout cela mérite une réflexion profonde et une forme d’autocritique à laquelle les Églises elles-mêmes doivent prendre leur part. Alors, il faut encourager les progrès… Mais sans arrogance, sans vouloir humilier. »
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