G8 : l’ère VGE est révolue

Publié le 11 juin 2007 Lecture : 5 minutes.

Ce qu’on appelle communément le sommet du G8 est donc la réunion annuelle des chefs d’État (ou de gouvernement) des pays les plus industrialisés et les plus puissants de la planète. Ils se sont reconnus et choisis selon le seul critère du PIB (Produit intérieur brut) annuel.
C’est Valéry Giscard d’Estaing, alors jeune président de la France, qui a eu cette brillante idée en 1974. Les « meilleurs et les plus grands » qu’il a sortis de son chapeau – désignés par le critère quantitatif qu’il a retenu – n’ont été que sept pendant longtemps : ils seront rejoints par la Russie, difficilement et par étapes, en 2003.
VGE, comme il se faisait appeler, les a réunis sous sa présidence pour la première fois en 1975 à Rambouillet. Ils ont dû y prendre goût, y trouver utilité ou convenance puisqu’ils ont continué à se retrouver une fois par an, chez l’un ou l’autre, à tour de rôle.

Le sommet de 2007 auquel nous venons d’assister en spectateurs, mi-amusés, mi-agacés, est le 33e de la série et le premier de ce siècle qui se tient sous la présidence d’une femme : Angela Merkel. La chancelière de la République fédérale d’Allemagne a reçu ses pairs dans une station balnéaire du nord du pays, les 6, 7 et 8 juin.
C’est l’occasion pour les spectateurs que nous sommes de formuler les observations que nous inspire ce curieux « happening ».

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Les pays qui pèsent le plus lourd et s’estiment en droit de s’ériger en directoire du monde sont, à l’exception du Japon – un sur huit -, soit européens, soit de diaspora, c’est-à-dire d’extraction européenne : Allemagne, France, Italie, Royaume-Uni, Russie, États-Unis, Canada.
Sur ces sept, quatre sont membres de l’Union européenne.
Je note aussi, en passant, que quatre sur cinq des membres permanents du Conseil de sécurité – dotés du droit de veto ! – figurent dans notre liste et sont, eux aussi, européens ou d’extraction européenne : États-Unis, Royaume-Uni, France, Russie.
Le G8 et le Conseil de sécurité de l’ONU, ces deux lieux privilégiés de la richesse, de la puissance et de l’influence sont devenus des « colonies européennes de peuplement ».
Quatre pays sont membres des deux clubs : ils sont tous les quatre européens ou d’extraction européenne.
Ajoutez pour mémoire, et pour faire bonne mesure, que la direction générale du Fonds monétaire international (FMI) est réservée, depuis 60 ans, à un pays européen et la présidence de la Banque mondiale dévolue, depuis la création de la Banque, à un citoyen des États-Unis, et vous aurez une idée assez précise de l’accaparement par quelques-uns des centres du pouvoir mondial.

Valéry Giscard d’Estaing, qui est donc le père du G7 devenu G8, s’accommode de ce déséquilibre sans aucun état d’âme. À la question : « Le G8 est-il encore représentatif ? », il répond : « Oui, sans aucun doute, puisque les membres du club totalisent 63 % du PIB mondial et près de la moitié des échanges de marchandises. Ils fournissent en outre les deux tiers de l’aide au développement. »
Se tournant vers l’avenir, il ajoute : « Le G8 peut continuer, dans sa forme actuelle, pendant dix ans au moins. C’est seulement lorsque le PIB de la Chine et de l’Inde aura dépassé celui de six de ses huit membres actuels, hors États-Unis et Japon, qu’il conviendra d’adapter sa composition de gouvernement économique du monde aux nouvelles réalités ».

Je pense, pour ma part, que Giscard d’Estaing a tout à fait tort de persister à ne prendre en considération que le critère du poids économique des pays membres de ce directoire du monde qu’est devenu ou que prétend être ce G8, dont l’ordre du jour englobe des sujets qui nous concernent tous, affectent notre avenir et plus encore celui de nos enfants.
Ce que Giscard a fait accepter en 1975 apparaît aujourd’hui à la plupart d’entre nous comme appartenant à une époque révolue.
L’économiste distingué qu’il est sait mieux que personne que ce critère purement quantitatif qu’il a choisi il y a près de trente-cinq ans, décrit une situation et un rapport des forces économiques appelés à se modifier.
Faire comme s’ils étaient stables, voire intangibles, c’est faire preuve de conservatisme et trahit la volonté de tirer la couverture à soi, de se cramponner aux avantages acquis.
Faire semblant d’ignorer que l’Inde et la Chine ne sont pas les seules à se développer deux fois plus vite que les pays du G8 n’est pas raisonnable.
Et puis, quantitatif pour quantitatif, comment peut-on faire comme si n’avait guère d’importance le fait que le « club des huit » ne rassemble que 900 millions d’hommes et de femmes sur les 6,5 milliards que compte notre planète : moins d’un humain sur sept ? Comment peut-on ignorer qu’il s’agit de surcroît de la frange vieillissante et déclinante de la population mondiale ?

La richesse et la puissance sont détenues par moins de 15 % de la population mondiale. On peut le regretter, mais c’est, hélas ! une réalité.
En découle-t-il pour autant que cette frange a le droit de décider seule, ou presque seule, du destin de l’humanité ? Comment peut-on l’accepter lorsqu’on sait que notre planète comptera, en 2050, près de 3 milliards d’habitants de plus, dont seulement 50 millions à 100 millions seront citoyens des pays du G8 ?

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La mondialisation a sorti des millions de gens de la pauvreté absolue, certes, mais elle a aussi créé des inégalités criantes. Comment accepter que les 2 % les plus fortunés de la population adulte possèdent 50 % des richesses du monde, selon un récent rapport des Nations unies, quand les 50 % les plus pauvres n’en ont que 1 % ?
L’ère où il suffisait à Giscard d’Estaing de dire aux Africains que leur continent est « à l’ordre du jour » du G8 pour qu’ils soient contents est révolue, tout autant que celle où Jacques Chirac calmait les inquiétudes de ses homologues africains en leur affirmant « qu’il allait se faire l’avocat de leurs pays » ou que « l’Afrique aurait la priorité ».

Lointains successeurs de Giscard d’Estaing, les chefs d’État qui se sont réunis du 6 au 8 juin autour d’Angela Merkel ont bien senti, eux, qu’ils ne pouvaient continuer à se réunir seuls : ils ont offert des strapontins d’observateurs à cinq chefs de pays émergents et autant à des chefs d’État africains.
Comment parler des dangers de la prolifération nucléaire, d’environnement et de réchauffement de la planète, de pauvreté et d’aide au développement, du fléau de la drogue, des ressources en énergie, de guerre contre le terrorisme, de correctifs à apporter à la mondialisation sans faire participer les moins riches au débat, sinon à la décision ?

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Je considère James Wolfensohn, le prédécesseur de Paul Wolfowitz, comme le dernier bon président qu’ait eu la Banque mondiale. Homme de vision, il nous a rappelé très opportunément cette semaine que :
– « Le monde ne peut connaître une relative sérénité que si tous les habitants de la planète – et pas seulement une minorité de privilégiés – vivent dans l’espoir d’un avenir meilleur. »
– « L’aide des riches aux démunis ne doit plus être considérée comme un sacrifice ou une marque de générosité. Mais comme une contribution obligatoire à la paix dans le monde. »
(Voir pages 14-16.)

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