Des chefs d’État sur le banc des accusés

Publié le 11 juin 2007 Lecture : 5 minutes.

L’ère de l’impunité des dirigeants africains, est-elle révolue ? Victimes d’exactions, prisonniers d’opinion, exilés politiques et militants des droits de l’homme se prennent à rêver, depuis le 4 juin, premier jour du procès de l’ex-chef de guerre et président libérien, Charles Taylor. Même si l’accusé ne s’est pas présenté devant le Tribunal spécial des Nations unies pour la Sierra Leone (TSSL), à La Haye, l’événement fera date : c’est la première fois en effet qu’un ancien président africain doit répondre, hors d’Afrique, des atrocités commises dans l’exercice de ses fonctions. Mais Taylor est loin d’être le premier chef d’État du continent à rendre des comptes devant la justice.
Cinq mois plus tôt, le 11 janvier à Addis-Abeba, tombait le verdict d’un procès-fleuve qui a duré douze ans, a passé au crible 211 chefs d’inculpation (torture, assassinat de l’empereur Haïlé Sélassié, séquestration, spoliation, arrestations arbitraires, exécutions sommaires, etc.), et nécessité l’audition de 730 personnes ainsi que l’exploitation de 3 000 documents. Mengistu Haïlé Mariam, qui ensanglanta et affama l’Éthiopie de 1974 à 1991, a ainsi été reconnu coupable de génocide par la Haute Cour fédérale de son pays et condamné par contumace à la réclusion criminelle à perpétuité. Le parquet qui estime cette peine insuffisante a fait appel de la décision et requis l’application de la peine capitale.
Protégé depuis sa chute par le numéro un zimbabwéen, Robert Mugabe, Mengistu risque néanmoins de ne jamais purger la moindre peine. L’un des pires dictateurs du continent continue à jouir d’une paisible impunité, roule carrosse avec femme et enfants, coule un exil doré entre une somptueuse villa du quartier chic de Gunhill, à Harare, et ses fermes à Mazowe et à Norton
Hissein Habré, qui dirigea le Tchad d’une main de fer de 1982 à 1990, avant de se réfugier au Sénégal au lendemain de sa chute, ne bénéficie pas d’une telle quiétude dans son pays d’accueil. S’il n’a toujours pas été jugé depuis que des victimes tchadiennes ont porté plainte en janvier 2000 devant la justice sénégalaise, ni été extradé malgré le mandat d’arrêt international et une demande d’extradition émis en septembre 2005 par la Belgique, Habré est sous le coup d’une procédure qui doit déboucher sur un procès à Dakar, sous les auspices de l’Union africaine (UA).

Le principal obstacle juridique à son jugement a été levé le 31 janvier quand une loi a été votée pour conférer aux juridictions sénégalaises la compétence pour juger les crimes contre l’humanité. Non moins important : le financement du procès. Après une première évaluation jugée surréaliste par le chef de l’État sénégalais, Abdoulaye Wade – la Commission chargée de plancher sur l’organisation du procès a estimé le coût de celui-ci à 66 millions d’euros, une somme sept fois supérieure aux estimations des experts -, ce dernier a demandé à son garde des Sceaux de revoir sa copie. Une fois que le montant sera jugé raisonnable, les autorités devront s’atteler à rassembler les fonds, composer un tribunal, mener une instruction, tenir un procès Ce n’est pas un hasard si, le 30 janvier, en plein sommet de l’UA, à Addis-Abeba, le chef de la diplomatie sénégalaise, Cheikh Tidiane Gadio, a avoué que « le procès d’Hissein Habré se tiendra au plus tôt dans trois ans ». Mais il se tiendra. L’UA s’y est engagée et l’opinion publique le réclame. L’impunité dont a pu bénéficier Idi Amin Dada est désormais un lointain souvenir. L’ex-dictateur ougandais, mort en exil en Arabie Saoudite en août 2003, n’a en effet jamais été jugé pour les atrocités commises lors de son passage à la tête de son pays, de 1971 à 1979.

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De plus en plus de chefs d’État du continent rendent et rendront des comptes pour des atteintes aux droits humains. Ce qui relevait de cas isolés tend aujourd’hui à se généraliser. Par sa forme et par son retentissement, c’est le procès de Jean Bedel Bokassa qui a marqué le début de cette rupture historique. Autoproclamé empereur de Centrafrique, maréchal, président à vie, le plus tonitruant des dictateurs africains a été condamné à mort le 12 juin 1987 pour trahison, meurtres et détournement de fonds. Le président André Kolingba a commué cette peine à deux reprises. Le cas de l’empereur déchu, remis en liberté en 1993, trois ans avant sa mort, a fait tache d’huile.
À l’issue d’une « révolution » opérée en 1991 dans les larmes et le sang, le Mali a renversé et jugé son dictateur. Après vingt-trois ans d’un pouvoir personnel et brutal, Moussa Traoré a été condamné à deux reprises, pour « crimes politiques » en 1993, et avec son épouse Mariam pour « crimes économiques » en 1999. Arrivé aux affaires après une transition démocratique, Alpha Oumar Konaré a commué leurs peines en détention à perpétuité, avant de les gracier le 29 mai 2002.
La machine est lancée et n’est pas près de s’arrêter. En 1995, un an après avoir perdu une élection qui mit fin à un règne de trente ans sans partage sur le Malawi, Hastings Kamuzu Banda a été jugé pour le meurtre en 1983 de quatre hommes politiques, dont trois ministres. Il est acquitté pour insuffisance de preuves et décède deux ans plus tard. Jugé en 1997, l’ancien président soudanais Gaafar al-Nimeiri, quant à lui, fut finalement blanchi des accusations d’abus de pouvoir dans la conduite de « l’opération Moïse » (retour en Israël des Juifs éthiopiens entre 1984 et 1985).
Dans la lancée de ces redditions de comptes, Pieter W. Botha, avant-dernier président de l’Afrique du Sud sous l’apartheid, a été jugé et condamné à douze mois de prison avec sursis pour avoir refusé de témoigner devant la Commission Vérité et Réconciliation sur de graves violations des droits de l’homme perpétrées sous son règne. La peine a été invalidée en appel pour vice de forme, en 1999.
Le statut de chef d’État ne confère plus de facto l’immunité pour les violations graves des droits de l’homme. Surtout depuis l’entrée en vigueur, le 1er juillet 2002, du traité de Rome, qui a donné naissance à la Cour pénale internationale (CPI). Première juridiction internationale permanente de l’histoire, basée à La Haye, aux Pays-Bas, la CPI instruit en ce moment des plaintes qui peuvent conduire à l’inculpation pure et simple de chefs d’État africains, anciens ou en activité. Le 22 mai, son procureur, Luis Moreno-Ocampo, a ouvert une instruction sur des crimes sexuels qui auraient été commis en Centrafrique entre 2002 et 2003 par les troupes rebelles de Jean-Pierre Bemba appelés à la rescousse de son régime par Ange-Félix Patassé, alors à la tête du pays (voir encadré p. 47). Ce dernier, aujourd’hui réfugié au Togo, ne pourra échapper à une enquête.
Un autre ex-chef d’État du continent, le Mauritanien Ould Taya, renversé par un putsch le 5 août 2005, est dans le viseur de la justice internationale. En mai 2006, une plainte contre lui « pour crimes de torture et crimes contre l’humanité » a été jugée recevable par la justice belge. Une autre a été récemment soumise à la justice américaine par des réfugiés politiques mauritaniens établis aux États-Unis. La traque aux pourfendeurs des droits humains ne fait que commencer.

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