Coup de jeune sur la pub

Publié le 11 juin 2007 Lecture : 5 minutes.

« Tout s’est fait grâce à Celtel. » Le jeune patron le reconnaît sans détour : sans l’opérateur de téléphonie panafricain, l’agence ZK Advertising ne serait pas ce qu’elle est. « D’une structure de douze personnes, nous nous sommes transformés en une agence de deux cents personnes travaillant dans quinze pays », explique Dia-Eddine Ezzaoudi, un Marocain qui dirige ZK Advertising. Petite agence créée en 2002 en Tanzanie, la société est désormais installée en Afrique du Sud. À l’autre bout du continent, l’agence de communication maghrébine née en Tunisie Karoui & Karoui World doit également une grande partie de son fulgurant développement aux contrats qu’elle a décrochés avec Méditel et Maroc Connect (devenu Wana) au Maroc, avec Djezzy et Nedjma en Algérie et avec Tunisiana dans son propre pays. En Afrique de l’Ouest, l’agence ivoirienne Voodoo Communication a tiré parti du développement d’Orange pour devenir un leader dans la zone franc. « Avant, les budgets de communication provenaient des industriels de l’agroalimentaire ou de l’automobile, explique Fabrice Sawegnon, patron de Voodoo. Aujourd’hui, ce sont les télécoms qui font tourner la machine publicitaire. » Une analyse confirmée par Nebil Karoui, créateur et dirigeant de Karoui & Karoui : « Avec les opérateurs de téléphonie, les budgets consacrés à la publicité ont explosé. Il y a dix ans, le plus gros budget dans la région était de 7 millions de dollars pour une année. Méditel est arrivé au Maroc et il a misé 25 millions de dollars. » Résultat : les sociétés de téléphonie mobile sont devenues, de loin, les plus importants annonceurs dans les pays africains.

Importants mais pressés. « Avant, nous avions plusieurs semaines pour élaborer une campagne de publicité. Avec les télécoms, et parce que la concurrence est très forte, nous n’avons parfois qu’une journée, explique Nebil Karoui. L’année dernière, le principal concurrent de Tunisiana a décroché la Coupe du monde de football. Il a fallu réagir aussitôt. Nous avons sélectionné des chanteurs encore peu connus et fait voter les gens pour constituer un Top Five. Il y a ensuite eu une mini-tournée qui a eu un grand succès. » L’approche des marchés, également, a changé. « Avec les équipes de Celtel, l’objectif était de fabriquer une marque africaine pour les Africains », se souvient Dia-Eddine Ezzaoudi. À l’époque, l’idée n’était pas ordinaire : « À ce moment-là, les opérateurs menaient surtout des campagnes promotionnelles locales pour leurs tarifs ou les noms de leurs services prépayés. En outre, leurs publicités n’étaient bien souvent que l’adaptation de campagnes conçues ailleurs dans le monde. » Pour l’opérateur panafricain, il n’était déjà pas question de faire appel à une agence de publicité qui ne soit pas africaine. Et ZK Advertising a su inventer un concept, des affiches et des messages capables de sensibiliser aussi bien un Kényan qu’un Burkinabè.

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La réflexion a également été menée pour Orange : « Sa communication n’est pas orientée sur l’activité et vous ne verrez jamais un téléphone portable dans une de ses publicités, explique Fabrice Sawegnon. Les images parlent de la vie des gens, elles sont choisies pour véhiculer des sentiments, des valeurs partagés. » En d’autres termes, il s’agit de créer un lien affectif entre la marque et l’utilisateur. Pour les mêmes raisons, les agences ont dû renouveler le langage qui colporte les messages publicitaires. « Nous utilisons des phrases extrêmement courtes, car bon nombre des utilisateurs de téléphone portable ne savent pas lire. L’image est donc très importante. Au sens propre : elle occupe la majeure partie d’une affiche, par exemple », explique Dia-Eddine Ezzaoudi. Au nord de l’Afrique, le problème ne fut pas si différent : « Nous nous sommes battus pour que les dialectes soient utilisés dans la publicité, explique Nebil Karoui. Jusqu’alors, les pubs étaient soit en arabe littéraire soit en français, des langues que nombre de Maghrébins de la rue ne comprennent pas. » Fabrice Sawegnon, de Voodoo, pour sa part, ne partage pas cette volonté de simplifier. Pour lui, l’enjeu est de parler aux gens sans être caricatural : « Être africain, c’est quoi ? Avant, c’était une vision touristique, voire exotique. Orange a essayé de trouver une approche vraiment locale. Mais ce n’est pas une raison pour s’appuyer sur des a priori sociologiques lorsque l’on conçoit une campagne de publicité africaine. »

Dernière caractéristique, auparavant inconnue en Afrique : les opérateurs de télécommunications ont su prendre des risques. Et leurs publicitaires en prendre à leurs côtés. C’est ainsi que l’on a vu se multiplier les « coups », c’est-à-dire les opérations phares, faisant intervenir des personnalités de très grande renommée dans le grand public. Ce fut le cas quand Nedjma a mis en scène Zidane embrassant le maillot de l’équipe nationale algérienne. « Cette campagne s’est élaborée en trois jours », se souvient Nebil Karoui. Un coup de maître pour un seul but : associer l’image de la marque à une personne connue et respectée. La plupart des opérateurs ont fait un choix similaire et l’ont mené à bien en y consacrant les moyens financiers nécessaires. ZK Advertising et Celtel ont ainsi organisé un grand concert de Youssou Ndour au Burkina. Orange sponsorise le célèbre footballeur ivoirien Didier Drogba. La marque a également produit des émissions de télévision en Côte d’Ivoire. Les agences de publicité ont tiré de ces opérations une réputation qui va bien au-delà des frontières du continent. Karoui & Karoui a remporté en 2006 deux « Mena Cristal Awards », l’une pour la publicité avec Zidane, l’autre pour une suite de neuf épisodes publicitaires. Une sorte de série télévisée interactive ayant pour vocation d’annoncer les nouvelles zones de couverture de Nedjma en Algérie. Depuis 2005, les Mena Cristal Awards récompensent chaque année les meilleures créations dans les pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord. En 2002, Voodoo Communication a remporté la médaille d’or du Mondial de la publicité francophone (catégorie multimédia) pour une publicité présentant la nouvelle marque Orange au Cameroun et en Côte d’Ivoire. Ce fut une première pour une agence africaine et une bonne nouvelle pour tous les publicitaires du continent : « Il faut remercier les groupes de télécoms d’avoir fait confiance à des agences locales », tient à préciser Fabrice Sawegnon. Dans un continent habitué à la prudence des annonceurs, le téléphone a bel et bien créé une révolution, celle de la publicité.

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