Bretton Woods pose ses conditions

De l’examen de passage, en juillet, devant le conseil d’administration du FMI dépendra le retour des bailleurs de fonds.

Publié le 11 juin 2007 Lecture : 6 minutes.

« Les progrès enregistrés au plan politique sont encourageants. J’ai noté que des étapes importantes de la feuille de route de l’Accord de Ouagadougou seront franchies dans les prochaines semaines. La Côte d’Ivoire pourra alors véritablement entamer sa relance économique et sociale. » Pour le directeur du département Afrique du FMI, Abdoulaye Bio-Tchané, présent à Abidjan du 27 au 29 mai, l’optimisme est de rigueur. Sa visite, ainsi que celle de la mission conjointe du FMI et de la Banque mondiale, emmenée du 2 au 15 mai par Zeljko Bogetic et Arend Kouwenaar , confirme le retour en fanfare de la communauté internationale en vue de soutenir les efforts de reconstruction du pays. Un soutien qui doit se concrétiser par la signature, en juillet, à Washington, d’un Programme d’assistance d’urgence post-conflit (AUPC) d’un montant de 200 millions de dollars, auquel s’ajoutera une enveloppe équivalente de l’Union européenne (UE), qui portera à quelque 400 millions la contribution globale des partenaires de la Côte d’Ivoire.

Mais il ne s’agit pas d’un blanc-seing. Loin s’en faut. « La mission accorde un fort crédit à la coordination à assurer entre les différents aspects du programme de sortie de crise et voudrait attirer l’attention des autorités à cet effet, car tout retard dans l’une des composantes aurait des répercussions sur les autres », souligne la Banque mondiale. D’ici à juillet, les autorités ivoiriennes doivent donc accélérer la mise en uvre de la feuille de route issue de l’accord signé le 4 mars dans la capitale burkinabè, qui passe par l’application du Programme de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR), l’identification et le recensement des populations, et le redéploiement des administrations dans le Nord. Elles devront surtout poursuivre les réformes structurelles demandées dans plusieurs secteurs et faire montre d’une plus grande transparence dans les conditions de production des filières de rente. « Notre souci est que les ressources soient utilisées selon les objectifs budgétaires », explique-t-on à la Banque.
Qu’attend-on exactement des autorités ivoiriennes sur ce dernier point ? D’abord qu’elles facilitent la faisabilité d’une série d’audits internationaux commandités en début d’année par les autorités de Bretton Woods sur l’état des secteurs de l’énergie, du cacao et du café, dont les conclusions seront rendues à la fin du mois de juin. Des filières stratégiques « sollicitées dans l’effort de guerre, selon un observateur, et qui appellent à plus de clarté dans leur gestion », mais dont les principaux acteurs rechignent à informer, voire à recevoir les experts internationaux. On attend aussi des autorités qu’elles s’attachent à respecter les recommandations émises par ces mêmes institutions dans leur rapport de fin de mission daté du 15 mai, notamment la politique budgétaire. Malgré les assurances apportées par le ministre de l’Économie et des Finances, Charles Diby Koffi, artisan depuis deux mois du rapprochement avec les bailleurs de fonds, les avancées observées demeurent insuffisantes.
Concernant le café-cacao, véritable test de la stratégie de retour de la Banque mondiale en Côte d’Ivoire, l’histoire de ce secteur sensible est émaillée d’audits dont les conclusions, souvent accablantes, sortent rarement des tiroirs du ministère des Finances. Une nouvelle audition n’est donc pas une nouveauté, c’est un passage obligé. Mais elle intervient juste après la publication par l’UE, le 5 mai, d’un rapport explicite sur l’état de la filière, qui conclut ni plus ni moins à la nécessité de « liquider » l’ensemble des structures de gestion pour les confier aux privés. Principales structures visées : la Bourse café-cacao (BCC), le Fonds de développement des activités de producteurs de café et de cacao (FDPCC) et le Fonds de régulation et de contrôle (FRC), toutes trois soupçonnées d’entretenir un niveau élevé de parafiscalité et de « prélèvements illégaux ». Si l’analyse de l’UE a été favorablement accueillie par les producteurs, le gouvernement, tenu informé depuis plusieurs mois à la faveur de fuites, n’y a prêté que peu d’attention. Mais elle a déclenché l’ire des responsables des organismes incriminés, qui sont allés jusqu’à dénoncer une atteinte à la souveraineté de la Côte d’Ivoire. Est-ce que, comme le souligne un observateur, « ce nouvel audit de la Banque mondiale donnera bonne conscience aux deux parties, mais sans que ses conclusions se traduisent dans les faits » ? Pas sûr. Un nouveau bras de fer affleure sur cette question entre Washington et Abidjan. Selon la Banque, la libéralisation de la filière « n’a pas atteint son terme ». Des progrès ont bien été réalisés depuis quelques mois, notamment à travers la création et la gestion d’un Fonds rural d’investissement. Mais d’autres recommandations, comme la réduction de la parafiscalité, qui lèse les producteurs et « qui demeure très élevée avec de nombreuses dépenses injustifiables », n’ont toujours pas vu « le début d’une application ». Et le directeur des opérations de la Banque en Côte d’Ivoire, James Bond, d’ajouter, dans une lettre adressée au gouvernement le 27 février dernier : « Le coût annuel de fonctionnement global de ces institutions est aujourd’hui quatre fois plus élevé que celui de l’ancienne Caisse de stabilisation (Caistab) à laquelle s’est substitué un système d’institutions multiples, moins transparentes, aux responsabilités mal définies. » Des points de bonne gouvernance sur lesquels le gouvernement est donc invité à progresser.

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Tout porte à croire que les conclusions auxquelles parviendra la Banque iront dans le sens de celles de Bruxelles. Dans cette hypothèse, la filière devrait connaître une réforme en profondeur, le système de Bretton Woods étant désormais en position de force pour imposer ses vues, comme ce fut déjà le cas en 1999 lors du démembrement de la Caistab. Il en va autrement du secteur énergétique également visé par les recommandations du Fonds. Les trois audits lancés pour la première fois dans les sous-secteurs pétrole, gaz et électricité répondent à l’Initiative anglaise pour la transparence dans les industries extractives (ITIE), à laquelle la Côte d’Ivoire souhaite adhérer. Mais ceux-ci ont connu d’importants retards à cause du manque de collaboration des entreprises concernées. « Plus de huit semaines après [leur] lancement, aucun progrès n’a été réalisé et les consultants regrettent un manque de coopération », souligne James Bond dans la même lettre. Dans le collimateur, la société nationale d’opérations pétrolières en Côte d’Ivoire (Petroci) et la Compagnie ivoirienne d’électricité (CIE). Si la collaboration d’entreprises comme la société de gestion des stocks de sécurité (Gestoci) ou la Société ivoirienne de Raffinage (SIR) semble aujourd’hui au rendez-vous, « les auditeurs sont toujours confrontés à des comportements hostiles », note un observateur. Là aussi, le ministre Diby Koffi a assuré, le 29 mai, lors d’une conférence de presse conjointe avec Bio-Tchané, que les différents audits seraient menés à leur terme. Ils doivent permettre aux décideurs de faire des ajustements nécessaires, mais aussi de « tordre le cou aux rumeurs d’opacité ». Et celles-ci n’ont pas faibli ces dernières semaines. Au point de se demander si l’or noir ne devient pas le nouveau serpent de mer ivoirien. Détournements, gestion parallèle les conditions d’exploitation du champ Baobab, démarrée en 2005, sont régulièrement dénoncées par les organisations de solidarité internationale (OSI) et la société civile. Actuellement, la production de ce champ se situe entre 30 000 et 50 000 barils/jour alors que son potentiel est de 80 000 barils/jours. « D’où l’intérêt d’auditer pour nous permettre de savoir si on ne nous cache rien », a expliqué le ministre des Finances.

Autre recommandation de la Banque mondiale : l’amélioration du système bancaire et celle du secteur « fortement sinistré » de la microfinance. Deux facteurs qui découragent les investisseurs nationaux comme internationaux. Sur les dix-huit banques que compte le pays, sept seulement respectent le niveau de ratio prudentiel. Pour inverser la tendance, les actions devront prioritairement se tourner vers les établissements commerciaux lourdement endettés en tête desquels la Banque nationale d’investissement (BNI), qui n’a « pas été créée dans les meilleures conditions », selon la Banque mondiale, mais aussi la Caisse nationale des caisses d’épargne (CNCE). Des établissements confrontés, en outre, à la défaillance du système judiciaire « qui n’apporte aucun soutien dans le recouvrement des créances ». Faute d’améliorations sur tous ces points, la signature d’un accord avec les institutions de Bretton Woods pourrait être retardée.

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