Bouteflika roi du contre-pied

On disait le chef de l’État mécontent de ses ministres On s’attendait à un remaniement en profondeur La montagne a accouché d’une souris.

Publié le 11 juin 2007 Lecture : 5 minutes.

La sixième législature de la République algérienne démocratique et populaire – et la troisième depuis l’introduction du multipartisme – a été solennellement inaugurée le 31 mai. Souffrant d’un sérieux handicap de légitimité, deux électeurs sur trois ayant boudé les urnes lors des législatives, quinze jours auparavant, la Chambre basse du Parlement a entamé son existence par deux entorses constitutionnelles.
La Loi fondamentale, dans sa version en arabe, dispose que l’Assemblée populaire nationale (APN) se réunit en session inaugurale dix jours après le scrutin. Dans la traduction française, en revanche, le mot « scrutin » est remplacé par « élection ». Dans le premier cas, il ne peut s’agir que du jour même du vote. Dans le second, on ne sait pas trop C’est finalement la date de la proclamation officielle des résultats par le Conseil constitutionnel qui a été retenue, de manière à repousser l’inauguration de la législature du 27 au 31 mai. Dans quel but ?
En tout cas, pas à cause de la bataille annoncée pour la présidence de l’Assemblée. La question a en effet été réglée en un tournemain, le 29 mai, dans les salons feutrés du siège du FLN, à Hydra sur les hauteurs d’Alger. Après avoir analysé les résultats du scrutin du 17 mai, les chefs des trois partis constituant l’Alliance présidentielle – Abdelaziz Belkhadem (FLN), Ahmed Ouyahia (Rassemblement national démocratique) et Bouguerra Soltani (Mouvement de la société pour la paix) – ont annoncé leur décision de soutenir la candidature d’Abdelaziz Ziari (62 ans). Professeur de médecine et ancien ministre, celui-ci est un vieil habitué de l’APN, où il siège pour le compte du FLN depuis 1981.

Deuxième entorse : alors que la Constitution proscrit formellement le cumul des mandats, dix-huit ministres du gouvernement Belkhadem avaient brigué, avec succès, un siège de député. Or, lors de leur installation officielle, le 31 mai, le Premier ministre n’avait toujours pas, comme il est d’usage, présenté sa démission au président de la République. L’occasion était trop belle : certains élus de l’opposition se sont empressés de dénoncer « l’amateurisme » du gouvernement. Mais ces voix discordantes n’ont réussi à perturber ni la cérémonie ni les négociations entre groupes parlementaires en vue du partage des strapontins et des privilèges accordés aux membres du bureau de l’Assemblée.

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L’anomalie constitutionnelle n’a d’ailleurs duré que vingt-quatre heures. Le lendemain, 1er juin, Belkhadem a été reçu au palais d’El-Mouradia, où il a présenté sa démission au président Bouteflika, qui l’a acceptée et l’a chargé d’expédier les affaires courantes à la tête d’un « gouvernement provisoire ». Tous les ministres qui ne sont pas députés ont été maintenus en place. Les autres ont été écartés et leurs attributions transférées à leurs collègues.
Bien entendu, les observateurs, presse indépendante en tête, se sont aussitôt perdus en conjectures sur l’identité du remplaçant de Belkhadem, sur la durée de la transition et sur les futurs « nouveaux hommes de Boutef ». À en croire le journaliste français Jean Daniel, qui a été reçu à El-Mouradia quelques jours avant les législatives, le chef de l’État n’est guère satisfait du travail de ses ministres, à qui il reproche un certain nombre de retards dans la mise en uvre des réformes économiques. Il ne s’est d’ailleurs pas privé de tancer publiquement certains d’entre eux. D’autres étaient soumis, une fois par an, à une sorte d’audit de leurs activités – ce qui n’a pas dû être toujours très agréable. Enfin, ceux dont le nom a été évoqué dans tel ou tel scandale financier se trouvaient dans une position quasi intenable. Tout semblait donc augurer un remaniement en profondeur de l’équipe dirigeante. Une nouvelle fois, le président a pris tout le monde à contre-pied. Trois jours après sa démission, Belkhadem a été reconduit, en même temps que la plupart de ses ministres. On ne recense que trois départs, deux promotions et un retour.
Le départ le plus emblématique est celui de Mohamed Bedjaoui (78 ans), le chef de la diplomatie, qui a demandé à être déchargé de ses fonctions. Demande exaucée. Il est remplacé par l’ancien ministre des Finances Mourad Medelci, un fin négociateur rompu aux âpres discussions avec le FMI et la Banque mondiale. « Je ne pouvais souhaiter un meilleur successeur », nous a déclaré Mohamed Bedjaoui, qui s’apprête à goûter un repos mérité.
Les départs de Mohamed Nadir Hamimid (Habitat) et de Yahia Guidoum (Jeunesse et Sports) sont moins surprenants. Le premier n’était d’ores et déjà plus en mesure de construire, comme il s’y était engagé, 2 millions de logements au cours de la période 2005-2009. Le second a échoué à soustraire certaines fédérations sportives à l’influence pernicieuse des mafias financières. L’Habitat échoit à Nouredine Moussa, ancien ministre du Tourisme, de la Jeunesse et des Sports à Hachemi Djiar, ancien conseiller de Bouteflika, dont il est proche, et ministre de la Communication dans le gouvernement sortant.
Les deux grands bénéficiaires de l’opération « Belkhadem II » sont Karim Djoudi et Cherif Rahmani. Ex-ministre délégué à la Réforme financière, le premier devient ministre des Finances en remplacement de Medelci. Le second, déjà chargé de l’Environnement et de l’Aménagement du territoire, voit ses attributions élargies à la Ville et au Tourisme.

Autre ministre heureux : Hamid Temmar. Outre la Promotion de l’investissement, qu’il conserve, il hérite du portefeuille de l’Industrie à la veille de la mise en place d’une nouvelle stratégie en ce domaine. Abderrachid Boukerzaza, le nouveau ministre de la Communication, était auparavant chargé de la Ville. Fatiha Mentouri retrouve pour sa part le ministère de la Réforme financière qu’elle avait déjà dirigé entre 1999 et 2002. Cette « dame de fer » qui a fait l’essentiel de sa carrière à la Banque d’Algérie revient aux affaires au moment où le secteur financier connaît une certaine embellie, grâce à l’arrivée de treize grandes banques étrangères et à la privatisation en cours du Crédit populaire d’Algérie (CPA).
L’actuelle session parlementaire devant s’achever le 30 juin, Abdelaziz Belkhadem devrait prononcer d’ici là son discours de politique générale devant le Parlement, à l’occasion d’un vote de confiance. Qu’en sera-t-il ? On ne peut jurer de rien.

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