Grödash, un « dinosaure » du rap à deux pas de la gloire
Oxmo Puccino, Booba, Diam’s… S’il a collaboré avec les plus grands, le rappeur originaire du Congo reste méconnu. « Ghetto Litterature », son nouveau projet, pourrait changer la donne.
À quoi reconnaît-on le succès ? Est-ce à la marque de la voiture, à la taille du compte en banque ou au respect que nos actions inspirent ? Dans la première piste de son nouveau projet, Ghetto Litterature, Grödash penche pour la troisième option : « Number one dans beaucoup de cœurs même si j’ai jamais fait la couv’ », lance-t-il.
Disons-le d’emblée, le rappeur français d’origine congolaise ne vend pas autant que les mégastars actuelles que sont Damso, Jul ou PNL. Et s’il n’est pas passé loin de la gloire – ses camarades de freestyle et de premières mixtapes se nomment Sinik (1,12 million d’albums vendus) et Diam’s (1,21 million) –, Grödash demeure encore aujourd’hui un rappeur méconnu.
Philosophe
On pourrait imaginer de la frustration, voire de l’aigreur chez cet artiste. C’est mal le connaître : « Je suis reconnaissant pour ce que la musique m’a donné. Et elle m’a donné beaucoup », rétorque-t-il, philosophe. C’est que le rappeur, de son vrai nom Freddy Biebie, a appris la ténacité à bonne école. Ses parents étaient des professeurs reconnus. Son père, Jean-Claude Ekalabo, a soutenu une thèse de sciences politiques sur la colonisation au Zaïre à La Sorbonne. Sa mère, Georgette Biebe Songo, est docteure en toxicologie et a travaillé sur la recherche du vaccin contre Ebola…
« Et pourtant, avec tous leurs diplômes, ils sont restés en Afrique, payés des clopinettes… C’était plus important pour eux de garder la tête haute, de se battre pour leurs convictions et leur pays, que d’avoir une vie confortable. » Même si cela impliquait d’être interdit de séjour à Kinshasa…
« Quand j’étais petit, je me souviens qu’on regardait Kin par la fenêtre, depuis l’autre côté du fleuve. On n’avait pas le droit d’y aller. » Son père organise alors depuis Brazzaville l’opposition à Mobutu, le dictateur zaïrois. En 1993, la guerre civile éclate. Grödash a 12 ans. Les obus tombent sur son quartier, les violences sont quotidiennes. Un jour, sa maison brûle.
Africa, je t’ai détestée de toutes mes forces
Ces guerres intestines, tout comme l’activisme de ses parents, vont nourrir la conscience politique du rappeur qu’il deviendra. « Africa, je t’ai détestée de toutes mes forces, depuis que t’as baissé la garde, t’as traité de sorciers tes gosses. T’as préféré viser le nord, délaisser nos cités d’or. Tu t’es trompée de Léopold, il fallait enseigner du Sengor », assène-t-il avec hargne près de trente ans plus tard dans le titre « Jeux pervers ».
On est bien loin de la vision de carte postale que peuvent proposer certains rappeurs francophones. « Ceux qui vont en Afrique et qui kiffent à 200 % sont des néo-colons qui descendent dans des hôtels de luxe, loin des vrais Africains qui souffrent », lâche-t-il.
« En mode migrant »
En 1994, il quitte ses parents et les violences pour aller vivre en Europe. Il n’a que 13 ans. Même s’il est né à Paris, son visa lui est refusé. Il doit atterrir en Belgique, et passer la frontière française « en mode migrant ».
J’avais un pied dans la rue, un pied dans la garde à vue
Débarqué aux Ulis, en banlieue parisienne, il vit chez ses cousins. Rapidement, commencent les sales histoires : violences, exclusion de plusieurs établissements… « J’avais un pied dans la rue, un pied dans la garde à vue », admet-il.
La musique va l’éduquer. Quand il n’est pas dehors à faire des bêtises, il est branché sur Générations Hip Hop Soul Radio, et découvre avec passion les groupes américains comme le Wu-Tang Clan, et français comme Les Sages Poètes de la Rue. Au lycée, une amie lui fait écouter ses premiers textes, et l’incite à se mettre à écrire. Son nom ? Diam’s. Il suit ses conseils. Naissent les groupes L’Amalgame, avec Sinik, puis Ul’Team Atom.
Les débuts sont très artisanaux. « On s’enregistrait chez des potes qui avaient des platines vinyles, sur des face B instrumentales. » Ils invitent au culot de grands artistes underground de l’époque : la Scred Connexion, Alibi Montana… « On les voyait dans les magazines, et les voilà aux Ulis pour poser sur nos chansons ! C’était irréel. »
Grödash a 16 ans. La musique est toute sa vie, même si sa mère ne voit pas d’un très bon œil cette passion. Elle préférerait qu’il se concentre sur ses études. « Je suis quand même allé à la fac, j’ai été inscrit en Deug, mais le résultat était plutôt en demi-teinte : élève absent », plaisante-t-il. Il rêve davantage d’aventures. Quand son grand-frère trouve un travail à Miami en 2000, Grödash n’hésite pas une seconde, et le rejoint pour six mois. Un an plus tard, il va cette fois le retrouver au Brésil.
Il devient expert en rimes assassines
Il en profite pour peaufiner sa technique, et devient expert en rimes assassines. En 2002, il sort vainqueur de la première édition de la compétition de battles « Dégaine ton style », des joutes verbales entre rappeurs. Toutefois, en 2006, son premier album Illegal Muzik, n’a pas le succès qu’il escomptait. « Je suis le pote de Diam’s et de Sinik, donc c’est sûr qu’à côté d’eux, moi, c’est mitigé », avoue-t-il. Et si le clip du single, « J’attends mon heure » passe bien sur MTV, « tout ça ne me rapporte pas de blé, et je suis toujours à la cité », se remémore-t-il en rigolant.
Il travaille encore à La Poste à l’époque, mais il finit par tout plaquer pour partir en tournée. Les années suivantes vont être riches artistiquement. Il enchaîne les albums – plus de 40 en vingt-cinq ans de carrière – et collabore avec les plus grands : La Fouine, Oxmo Puccino, et Rockin’Squat du mythique groupe Assassin. Booba l’invite même sur la mixtape Autopsie vol. 4, qui révèlera au grand public Kaaris. Grödash reste, lui, une référence de connaisseurs.
Engagement en faveur des femmes
En 2016, il décide de faire une pause dans sa carrière. « J’ai laissé mes parents à 13 ans, en 1994, et je les ai très peu vus pendant plus de vingt ans. J’étais tellement fixé sur mes objectifs. J’ai fini par me demander si ça en valait la peine. Alors j’ai décidé de m’occuper un peu de ma vie. » Il rejoint sa mère en RDC. Ensemble, ils créent GBS Foundation, qui vient en aide aux Congolaises entrepreneuses en les incitant à épargner et en leur donnant accès à des micro-crédits.
Leur initiative est reconnue, Georgette Biebe Songo reçoit même un prix honorifique de l’ONU pour son engagement en faveur des femmes cette année-là. Mère et fils sont invités à Hong Kong pour présenter leur projet lors d’une conférence TED.
L’avenir se dessine désormais entre la RDC et la France. S’il continue de développer la fondation, il n’a pas pour autant abandonné ses rêves musicaux. Son nouvel album sortira dans les mois à venir. Il promet des « featurings avec du beau monde : des disques d’or, des disques de platine… Je reviens pas tout seul ! » Il admet être heureux de faire partie des « dinosaures » du rap à 41 ans, et « d’être toujours en vie ». Et c’est déjà pas mal.
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