Attention danger !

Avec une écrasante majorité au Parlement, le chef de l’État dispose de toutes les cartes pour son second et dernier mandat. Mais doit faire face à la guerre déjà ouverte pour sa succession, ainsi qu’à une opposition qui n’a plus que la rue pour faire ente

Publié le 11 juin 2007 Lecture : 7 minutes.

Les bureaux de vote étaient à peine fermés que l’ensemble de la classe politique sénégalaise criait déjà victoire, après les élections législatives du 3 juin. Pour autant, il y a tout à craindre de ce scrutin. Le Premier ministre et tête de liste de la coalition Sopi (« changement », en wolof), Macky Sall, espérait convaincre au moins 2 millions d’électeurs de se rendre aux urnes, sur 5 millions d’inscrits. « Le principal enjeu est la mobilisation », proclamait-il durant la campagne comme pour relever le défi de l’appel au boycottage lancé par l’opposition. Avec un taux de participation d’un peu moins de 35 % et une nouvelle Assemblée nationale monocolore comptant 131 députés pour la coalition au pouvoir sur 150 sièges, la « vague bleue » annoncée a tout emporté sur son passage. Les rares rescapés, que la presse dakaroise les surnomme déjà les « contributionistes », ne pèseront pas lourd dans l’Hémicycle. À première vue, le président Abdoulaye Wade a les mains libres.

Après avoir été réélu à la tête de l’État pour un second mandat, le 25 février dernier, dès le premier tour avec 55,9 % des voix, le chef de l’État dispose à présent d’une majorité écrasante. Quant à la faible participation, le Palais renvoie à l’histoire électorale pour en atténuer la portée et la signification. Excepté le pic enregistré en 2001 (67,4 %), obtenu sur la dynamique de l’alternance consacrée un an plus tôt après quarante années de pouvoir socialiste, les élections législatives ont toujours été marquées par un recul de la mobilisation (40,98 % en 1993 et 39,28 % en 1998) par rapport aux présidentielles. Entre 1978 et 1988, les deux scrutins étaient couplés. Il n’empêche, en moins de quatre mois, les Sénégalais se sont massivement détournés des urnes. L’engouement et la ferveur populaire se sont évaporés. Oubliés, les 70 % de participation récoltés en février. Disparus, les marches et autres rassemblements qui portaient au pinacle les principaux postulants à la magistrature suprême. « Cette campagne a été morose », reconnaît l’un des bateleurs du chef de l’État en charge de la communication durant la présidentielle.
Plus alarmant encore, cette bataille menée sans adversaire risque de conduire à une victoire à la Pyrrhus : dangereuse pour le pouvoir et porteuse de menaces pour la turbulente démocratie sénégalaise. La politique de la chaise vide à l’Assemblée est une première depuis l’instauration du multipartisme en 1974. Certes, le pays de la Téranga a déjà essuyé des crises, connu des scrutins tronqués faute de transparence, mais il semble effectuer un inquiétant retour en arrière. « C’était le désert dans les bureaux de vote. L’appel au boycottage a été une réussite, et les chiffres officiels ne sont pas conformes à la réalité », fait valoir Pape Diouf, l’un des dirigeants du parti Rewmi de l’ex-Premier ministre, Idrissa Seck, passé dans l’opposition après une brouille au sommet. « C’est un désaveu pour Wade, car il s’était directement investi en parcourant le pays et en apparaissant sur les affiches. Il doit donc à présent tirer les conséquences et revoir ses méthodes dans l’exercice de ses fonctions. Il a fait des institutions de la République des outils à son service. Il peut instaurer de fait un régime de parti unique, mais nous ne pouvions cautionner cette dérive hégémonique en étant de simples faire-valoir », affirme Abdoulaye Bathily, secrétaire général de la Ligue démocratique/Mouvement pour le parti du travail (LD/MPT). « Nous allons exercer une pression populaire de tous les instants pour le forcer à ouvrir des discussions avec toutes les composantes politiques. Mais sans brûler le pays », conclut-il.

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Au lendemain de la présidentielle, les candidats défaits avaient crié à la fraude, dénoncé une mascarade et réclamé un réexamen des listes électorales. Des tractations secrètes ont été engagées, en mai dernier, pour aboutir à un report du scrutin législatif afin de laisser du temps à chacun et revenir à de meilleurs sentiments. En vain. Le pouvoir est resté intransigeant en rejetant une évaluation du fichier électoral. L’opposition a refusé de réintégrer le jeu en maintenant, coûte que coûte, son appel à la « désobéissance civile ». Devant cette situation de blocage, bon nombre d’observateurs de la société civile préconisent, aujourd’hui, une sorte de dialogue national pour ramener un climat de confiance. Derrière les précautions oratoires, une partie des adversaires du régime envisagent bel et bien de recourir à la rue, faute de siéger au parlement. La logique du pire fait partie des scénarios envisagés par certains états-majors. Au sein du Parti démocratique sénégalais (PDS) et dans l’entourage du chef de l’État, ceux que l’on appelle « les faucons » ont délibérément opté pour le rapport de force et bloqué toutes les tentatives de négociations. Objectifs : s’assurer d’une majorité parlementaire sans entrave et affaiblir les principales formations politiques de l’opposition dont les barons et caciques étaient habitués aux dorures de la République. « Nous nous attendons à des débauchages. Certains de nos camarades vont nous quitter, comme en 2000. Nous avons tenu bon, et c’est une très bonne façon de renouveler les cadres », rétorque, un rien bravache, Ousmane Tanor Dieng, premier secrétaire du Parti socialiste qui a, malgré tout, ces dernières semaines, parcouru le pays afin de colmater tous azimuts les brèches.
« Un Parlement qui souffre d’un déficit de légitimité : cela nous effraie, car le modèle sénégalais est en train de s’effriter. La démocratie est un système conflictuel, mais il faut une enceinte pour que chacun puisse s’exprimer. Sinon le rapport de force en dehors des institutions peut déraper », analyse Babacar Guèye, professeur de droit et président du Collectif des organisations de la société civile pour les élections. « Toutes les orientations du gouvernement seront discutées par les députés, et nous allons mettre en place un nouveau mécanisme dans le fonctionnement du Parlement pour approfondir le débat politique sur la base du pluralisme », promet Iba Der Thiam, premier vice-président de l’Assemblée sortante. Le pouvoir estime que le Sénat qui va être remis en place assumera justement cette fonction du compromis et de l’apaisement. Loin des passions partisanes. Problème, sur les 100 sénateurs, 65 seront directement désignés par le chef de l’État et seulement 35 élus au suffrage indirect par les collectivités locales. « Une fuite en avant », dénonce Bathily.

Calculateur hors pair, politicien madré et adepte du bras de fer, le président Wade peut-il, en dehors des quelques ralliements de circonstance, demeurer intraitable ? « Non, estime le professeur Guèye. C’est un homme intelligent et capable de maîtriser ses instincts lorsque la situation l’impose. Il peut aussi se libérer d’une partie de ses fidèles, les plus radicaux, qui sont en mauvaise posture, car le PDS a montré ses limites en mobilisant faiblement. Dans ces conditions, il a donc intérêt à ouvrir un débat franc et sincère. C’est la seule issue pour désamorcer la crise », ose-t-il croire. Selon l’universitaire, le respect des règles démocratiques, le fonctionnement des institutions et la recherche d’un consensus sur des valeurs partagées doivent être au cur de l’agenda. Il demande aussi une présence de la société civile afin d’éviter un face-à-face stérile entre les différents leaders politiques. « Devant le désarroi de la population confrontée à la pauvreté et au chômage, il y a urgence à remettre le pays dans le bon sens », conclut-il. De fait, à ce jour, les chantiers en cours dans la capitale et la réalisation des infrastructures annoncées (aéroport, ligne de chemin de fer, etc.) n’ont pas amélioré le quotidien des Sénégalais. Entre l’impérieuse modernisation de l’agriculture, la nécessaire reprise de la filière arachide, la relance de la production d’acide phosphorique, la sécurisation des approvisionnements pétroliers fragilisés par la flambée des cours mondiaux, la résorption du déficit énergétique qui entraîne de nombreux délestages et la maîtrise des dépenses publiques, qui ont dangereusement grimpé ces dernières années selon le Fonds monétaire international (FMI), les dossiers ne manquent pas. Pour son dernier mandat, Abdoulaye Wade, âgé de 81 ans, souhaite certainement sortir par la grande porte en répondant, au mieux, à l’ensemble de ces défis.

Mais il doit aussi, pour cela, préparer son départ afin d’éviter une guerre de tranchées entre ses principaux lieutenants désireux de chausser ses babouches. Les postulants ne manquent pas, mais cette lutte pourrait s’avérer dévastatrice. Outre la tension avec l’opposition, la période qui s’ouvre est pleine d’incertitudes dans les rangs de la majorité. Voilà un cocktail explosif. Depuis le départ d’Idrissa Seck, qui faisait figure de dauphin désigné, le Premier ministre Macky Sall a conquis une place laissée vacante. Il peut être considéré comme un successeur potentiel, mais son poids réel au sein du PDS est très difficile à évaluer. Quant au score du 3 juin, il ne lui est pas favorable. De quoi susciter des ambitions et alimenter des rivalités alors que les rumeurs d’une succession dynastique au profit du fils Karim Wade, président de l’Agence nationale de l’organisation de la Conférence islamique (Anoci), se font de plus en plus insistantes.
« Construire un Sénégal nouveau, dans l’unité et la cohésion nationales », avait promis le président lors de son discours d’investiture, le 3 avril dernier. Les premiers mois de ce second et dernier mandat ont de quoi laisser circonspect.

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