[Tribune] E-commerce : deux ou trois choses que la pandémie nous a apprises sur la résilience africaine
L’année 2020 a été un moment décisif pour l’accélération du numérique en Afrique. En voici quelques enseignements.
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Eran Feinstein
Directeur général et cofondateur de DPO Group, spécialiste des paiements numériques présent dans 19 pays africains.
Publié le 12 mai 2021 Lecture : 5 minutes.
Dans le secteur de la santé, le digital a été essentiel pour alléger la pression de la pandémie sur les systèmes de santé. La télémédecine, les diagnostics à distance et la recherche numérique des contacts figurent parmi les solutions digitales qui ont fait de grands progrès au cours de l’année écoulée. Les solutions de travail à distance qui permettent la collaboration en ligne ont progressé à pas de géant et ont permis à des millions de personnes de travailler et d’étudier depuis leur domicile.
La pandémie de Covid-19 a également entraîné une croissance généralisée du commerce en ligne. Lorsque les villes ont été confinées et que les entreprises non essentielles ont été contraintes de fermer boutique, les entreprises et les consommateurs se sont tournés en grand nombre vers les achats en ligne. Au Royaume-Uni, la part du commerce en ligne dans le total des ventes au détail a augmenté rapidement au cours du premier trimestre de 2020, passant de 20,3 % à 31,3 %.
Des évolutions similaires ont également été observées aux États-Unis, ainsi que sur les marchés en développement, comme l’Amérique latine, qui a connu une croissance remarquable de 36,7 %. Le géant mondial du commerce en ligne Amazon a enregistré une augmentation sans précédent des transactions, avec des ventes atteignant 386 milliards de dollars et un bénéfice net en hausse de 84%.
En Afrique, nous observons des tendances similaires. La plateforme africaine de commerce en ligne Jumia a fait état d’une hausse de 50 % des transactions au cours des six premiers mois de 2020. En tant que société de paiement numérique ayant la plus grande portée géographique en Afrique (19 pays), nous avons remarqué une forte augmentation des volumes de transactions sur tout le continent, l’Afrique du Sud étant sans surprise en tête, mais d’autres marchés comme le Kenya, la Tanzanie, le Nigeria et le Ghana affichant également des hausses significatives.
Une base encore faible d’adoption du commerce en ligne
Cette tendance est sans aucun doute prometteuse, en particulier sur un continent qui part d’une base beaucoup plus faible en matière d’adoption du commerce en ligne par rapport aux États-Unis ou au Royaume-Uni. Cependant, il reste des obstacles importants à la transformation numérique de l’Afrique. L’infrastructure informatique limitée ou de mauvaise qualité est un défi majeur.
L’Union internationale des télécommunications estime que la proportion de personnes dans la région qui utilisent internet occasionnellement ou plus, n’est que de 28,2 %, ce qui est extrêmement inférieur à la moyenne des pays en développement (47 %) et des pays développés (86,3 %). En outre, la Banque mondiale estime que 350 millions de personnes en Afrique subsaharienne sont « non bancarisées », c’est-à-dire qu’elles n’ont pas accès à un compte bancaire traditionnel.
Ce sont ces défis, cependant, qui ont stimulé l’innovation locale que nous observons sur le continent. L’argent mobile, qui compte plus d’utilisateurs en Afrique subsaharienne que dans n’importe quelle autre région du monde, a joué un rôle clé dans l’inclusion financière et a permis aux paiements numériques de remplacer les transactions en espèces lorsque des restrictions sanitaires sont en place. L’Afrique a une histoire ancienne avec l’argent mobile.
En fait, ce sont deux pays africains, le Kenya et l’Ouganda, qui ont été les premiers à introduire l’argent mobile comme option de paiement au milieu des années 2000. Selon le dernier rapport de la GSM Association – association internationale qui représente les intérêts des opérateurs – sur l’économie mobile en Afrique subsaharienne, 548 millions de personnes dans cette région étaient abonnées à des services mobiles à la fin de 2020, soit près de 50% de la population.
Le digital est essentiel au redressement des PME et à la croissance de leur activité
Résilience des PME en 2020
Si l’année dernière a été marquée par des difficultés économiques, elle a également vu une résilience impressionnante, notamment parmi les petites et moyennes entreprises (PME) d’Afrique. Alors que les géants mondiaux du commerce électronique ont vu leurs ventes, leurs transactions et leurs bénéfices augmenter fortement, les PME ont dû se battre pour leur survie.
Les PME africaines sont traditionnellement des entreprises « en dur » pour lesquelles le commerce en ligne est loin d’être une activité habituelle. Un autre défi majeur consiste à s’assurer que ces entreprises, qui représentent 90 % des entreprises en Afrique et fournissent, selon les estimations, 70 % de toutes les possibilités d’emploi, ne sont pas laissées pour compte dans la transformation numérique du continent. Et qu’elles puissent également bénéficier, au même titre que les grandes entreprises, de l’accélération rapide des solutions numériques disponibles pour les entreprises. Pour les PME en particulier, outre l’atténuation des effets de Covid-19, le digital est essentiel à leur redressement et à la croissance de leur activité.
Pour aider à résoudre ce problème, DPO a lancé en avril de l’année dernière, une solution de commerce en ligne gratuite pour permettre aux commerçants de transférer rapidement leurs activités en ligne et de continuer à commercer avec les clients, un atout de taille pour de nombreuses petites entreprises, en particulier les services essentiels tels que les supermarchés, les magasins d’alimentation, les pharmacies et les drogueries.
Un récent rapport de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) prévoit que le commerce en ligne poursuivra sa trajectoire de croissance après la pandémie, puisque près de 50 % des consommateurs prévoient de continuer à faire des achats en ligne plus souvent qu’avant le Covid-19. Alors que les restrictions sanitaires s’assouplissent dans de nombreux pays et que nous nous tournons vers l’avenir, les entreprises qui adoptent la transformation numérique en sortiront non seulement résilientes mais seront bien mieux placées pour développer leurs activités à long terme.
2020, un tournant pour le digital
Alors que d’autres marchés semblent devenir plus fermés, l’Afrique se concentre de plus en plus sur son interconnexion. La zone de libre-échange continentale africaine (AfCFTA), qui est devenue opérationnelle le 1er janvier, a un énorme potentiel pour stimuler le commerce intracontinental. Le commerce en ligne transfrontalier donnera un véritable coup de pouce aux PME qui n’ont jusque-là pas pu atteindre les marchés régionaux et internationaux, en leur permettant d’entrer en contact avec des clients potentiels au-delà de leurs frontières.
La transformation numérique de l’Afrique a le potentiel de transformer les économies et les emplois. Malgré ses défis, 2020 a été un tournant pour le digital – et le commerce en ligne – en Afrique, le marché du commerce en ligne devrait doubler en taille pour atteindre 75 milliards de dollars d’ici à 2025. Si les niveaux d’innovation, de résilience et d’adaptation affichés par les entreprises au cours des douze derniers mois sont une indication de ce qui est à venir, l’avenir du continent est radieux.
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