Un seul remède : la liberté

Le troisième rapport du Pnud sur « le développement humain » est formel : du Maghreb au Machrek, des réformes structurelles s’imposent.

Publié le 11 avril 2005 Lecture : 5 minutes.

Analphabétisme, marginalisation des femmes, croissance du revenu par habitant parmi les plus faibles du monde, absence d’investissements dans la recherche-développement, refus de traduire les livres étrangers, bureaucratie, corruption, rejet de toute évolution démocratique, chômage, inégalités sociales, intégrisme religieux… on ne compte plus les plaies qui affectent le monde arabe. Pour les soigner, un remède s’impose : la liberté. Ce n’est pas le président américain George W. Bush qui le dit, ou sa secrétaire d’État Condoleezza Rice, qui a juré de « traiter désormais les régimes comme ils traitent eux-mêmes leurs peuples », mais les auteurs – tous arabes – du troisième Rapport sur le développement humain dans le monde arabe 2004, publié le 5 avril sous l’égide du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud).
Déjà, les rapports précédents avaient suscité un vif débat sur la nécessité de mettre en oeuvre des réformes dans cette région de civilisation ancienne qui cumule toutes sortes de retards. Du sommet des chefs d’État arabes à Tunis, en mai 2004, à la réunion du G8 à Sea Island, (États-Unis), en juin de la même année, en passant par les colloques et autres polémiques sur les chaînes de télévision satellitaires, chacun y a été de son diagnostic. Or, si les mots soulagent, ils ne guérissent pas. Et le « patient arabe » continue de souffrir….
En 2002, un premier rapport du Pnud avait souligné les défaillances des pays arabes dans les domaines du savoir, des droits civiques et des droits de la femme. En 2003, un second rapport avait analysé les dysfonctionnements du système éducatif et de la recherche. Le troisième, réalisé avec le concours du Fonds arabe pour le développement économique et social et le Programme du Golfe arabe pour le soutien aux organisations des Nations unies pour le développement, établit des liens entre liberté, bonne gouvernance et développement humain. Un quatrième document, à paraître avant la fin de l’année, sera consacré à la condition des femmes et aux moyens de la faire évoluer.
D’ores et déjà, plusieurs responsables régionaux ont appelé à mettre fin à la vague d’autocritiques que les deux premiers documents – plus commentés que véritablement analysés – avaient déclenchée. « En insistant sur nos seules carences, ces rapports pourraient fournir des prétextes à l’ingérence des puissances étrangères dans nos affaires », expliquent-ils. « Sans une autocritique sérieuse et constructive, nous ne pourrons pas corriger nos défauts et, ce faisant, nous renforcer et assurer notre invulnérabilité », leur rétorquent les tenants du réformisme.
Réalisé, comme les deux précédents, par des responsables politiques, des chercheurs et des membres d’associations, le troisième rapport reproduit, en exergue, la célèbre adresse du calife Omar Ibn al-Khattab, compagnon du prophète Mohammed : « Comment pouvez-vous asservir les hommes alors qu’ils sont nés libres ? », et une citation du grand écrivain égyptien Taha Husseïn : « Nous souhaitons être libres dans notre pays. Libres par rapport à l’étranger, de manière à ce qu’il ne puisse pas nous opprimer ou nous persécuter ; libres également entre nous, de manière à éviter toute oppression ou persécution. »
Ces citations s’imposaient. Comme l’expliquent les auteurs, le retard du monde arabe ne tient pas à une quelconque « tare » culturelle – les Arabes n’étant pas plus réfractaires au progrès que les autres peuples -, mais à la réduction du champ des libertés et à la mauvaise gouvernance. Le premier chapitre énumère les actions régionales entreprises au cours des deux dernières années sur la voie de la libéralisation politique ; la suite du document montre leurs limites et permet d’identifier les obstacles qui entravent la mise en oeuvre des réformes préconisées. Ces dernières portent sur quatre points :
– la construction d’un espace politique garantissant la participation populaire et rendant possible l’alternance à la tête de l’État ;
– le renforcement des systèmes juridique et institutionnel pour favoriser l’exercice des libertés fondamentales (libertés d’opinion, d’expression et de réunion) ;
– l’abrogation de l’état de siège en vigueur dans certains pays (comme la Syrie et l’Égypte) ;
– l’indépendance et la transparence de la justice.
Or deux facteurs font obstacle à ces réformes. Tout d’abord, la résistance au changement opposée par la plupart des pouvoirs en place – certains États, non cités, ont par exemple interdit les sondages d’opinion aux auteurs du rapport. Ensuite, les appréhensions liées à l’évolution de la situation en Irak. Pour la secrétaire générale adjointe du Pnud, Rima Khalaf Hunaidi, les élections de janvier 2005 n’ont pas tout réglé dans ce pays. « Le vote est extrêmement important, concède-t-elle. Mais quand votre vie elle-même est menacée et que des gens sont envoyés en prison, il perd de son importance. » Si la situation n’est pas stabilisée, prédit-elle, des « soulèvements destructeurs » ne sont pas à exclure.
À la suite des réserves formulées par les États-Unis et par l’Égypte sur certains aspects du rapport – au point que sa publication en a été retardée de cinq mois -, le Pnud a jugé plus prudent de prendre ses distances (voir encadré). Ainsi, ce document n’est plus considéré comme une publication officielle des Nations unies, mais comme une contribution de représentants de la société civile arabe à la réflexion sur les réformes à mener et sur la manière la plus pragmatique d’y parvenir.
Les auteurs soulignent qu’avant de constituer une exigence de la communauté internationale, les réformes préconisées expriment les revendications des populations et des élites locales. Elles doivent être portées par les forces du changement à l’oeuvre dans la région depuis l’avènement de la nahdha (« renaissance arabe »), il y a un siècle et demi, avant qu’elles aient subi les contrecoups de la colonisation, puis de la répression des États-nations après l’indépendance. Et il ne saurait être question de se limiter à des mesures cosmétiques, comme la décision du président Hosni Moubarak d’autoriser la tenue d’une élection présidentielle pluraliste en Égypte ou comme l’organisation – symbolique – d’élections municipales en Arabie saoudite en février dernier. Car de telles mesures visent moins à libéraliser la société qu’à perpétuer un système d’oppression. « Les réformes partielles ne fonctionnent plus, estime Nader Fergani, l’un des auteurs du rapport. Elles peuvent même se révéler contre-productives. » Bref, elles doivent être pleinement et clairement assumées, sans céder à une « euphorie prématurée ».
La crise de développement qui affecte le monde arabe a atteint une telle ampleur et un tel degré de complexité que rien ne saurait être modifié sans revoir l’ensemble des structures. Le changement ne peut être différé sous quelque prétexte que ce soit. Car, y compris pour deux priorités, souvent invoquées – le règlement de la question palestinienne et la réalisation de l’unité nationale -, c’est l’absence de réformes qui empêche la réalisation de ces objectifs, et non l’inverse.

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