Trois Palestiniens et leurs ouds

Le luth arabe a ses ambassadeurs. Le Trio Joubran, qui se produit sur les scènes occidentales pour faire connaître les finesses de cet art traditionnel, souvent accompagné de chants et empreint d’intense poésie.

Publié le 11 avril 2005 Lecture : 3 minutes.

Samir, Wissam, Adnan : les frères Joubran sont les visages les plus connus de la scène musicale palestinienne. Allure soignée et sourires polis, tous trois sont des as de l’oud, le luth arabe, et leur musique parle au coeur comme à l’esprit. Rencontre avec l’aîné, Samir, qui lance le premier label palestinien et sort un nouvel album.

Jeune Afrique/l’intelligent : Quelle musique écoutent les jeunes Palestiniens ?
Samir Joubran : La mode, dans les pays arabes, est à la pop music. Mais dans notre famille, du fait que mon père était luthier, la musique classique arabe occupait une place de choix. Tous les virtuoses de l’oud venaient à la maison. Ce sont eux qui m’ont initié à leur art. Ensuite, je me suis rendu en Égypte ; j’ai d’ailleurs été le premier Palestinien muni d’un passeport israélien admis à suivre des études supérieures dans ce pays.
J.A.I. : Jouer de l’oud, n’est-ce pas un peu désuet ?
S.J. : Avec le drame que nous vivons, notre peuple a besoin de têtes d’affiche. Chez nous, sur scène, je ne suis qu’un musicien et je chante l’amour, car c’est ce dont manquent les gens ; à l’étranger, en revanche, je me fais tribun et ponctue mes textes de propos politiques. Notre musique relève du patrimoine, certes, mais je la veux actuelle ; pour cela, elle doit répondre aux aspirations de la jeunesse et s’engager, en épousant les problèmes de notre temps. Il y a des artistes arabes qui se croient obligés de porter de vieux boubous, c’est dommage.
J.A.I. : Comment votre trio est-il perçu dans le monde ?
S.J. : Cet album est le premier que j’enregistre en trio avec mes frères. Notre responsabilité envers le public est double : dans la balance, il y a notre carrière, bien sûr, mais aussi notre histoire. Les gens viennent d’abord voir à quoi ressemblent des musiciens palestiniens, sans se soucier de savoir s’ils vont aimer notre musique ou non. À chacun de nos concerts, nous nous assignons deux objectifs : bien jouer et montrer que, malgré plus de cinquante ans d’occupation, malgré la violence et l’oppression qui entachent notre vie quotidienne, notre culture reste vivante. Ma maison a été détruite à deux reprises. Il y a peu, j’étais encore à Ramallah où vit ma femme ; mais je n’ai pas pu la voir, car mon passeport israélien m’interdisait d’y entrer. J’étais à cinq minutes de mes enfants et j’ai dû repartir sans même avoir pu les embrasser. Quand vous revenez jouer à Paris, avec tout le poids de ces frustrations, vous montez sur scène avec une âme de combattant.
J.A.I. : Être arabe israélien, n’est-ce pas plus confortable ?
S.J. : Il y a un autre combat à mener : nous sommes tous les trois nés à Nazareth, nous sommes palestiniens et nous avons des passeports israéliens. Imaginons que la Palestine voie le jour sur la bande de Gaza et en Cisjordanie. Quel sera le sort des 1 500 000 Palestiniens qui vivent en Israël ? Nous avons beau avoir la citoyenneté israélienne, le gouvernement ne nous traite pas comme des citoyens ordinaires. Ma grand-mère maternelle est âgée de 96 ans. Elle a dû quitter son village en 1948. Quand je me suis marié en 2000, elle m’a offert en cadeau de mariage un sésame qu’elle gardait comme une relique : c’était le seul souvenir qui lui restait de sa maison détruite et il devait me porter chance. Quand on plante un grain de sésame, il pousse, et ce que nous revendiquons n’est pas différent : je souhaite juste avoir le privilège de semer quelque chose et de le voir grandir.
J.A.I. : Comment vit-on sa carrière de musicien à Ramallah ?
S.J. : Les musiciens palestiniens ne peuvent pas se déplacer, faute de passeport. Les documents de l’Autorité palestinienne ne permettent pas d’aller à l’étranger. Ceux qui vivent en Israël, comme moi, doivent se contenter de jouer dans des mariages. Il n’existe pas de maisons de production, de distributeurs, d’agents…
J.A.I. : Quelle est l’ambition du label Randana que vous créez ?
S.J. : Mon rêve, avec Randana, c’est de rendre disponible la musique palestinienne à l’étranger ; les seuls CD connus de l’art de l’oud sont de nous. J’espère que j’y arriverai. Pour nous, la France est plus proche que n’importe quel autre pays arabe. Je ne rencontre mes collègues arabes qu’à Paris. De Paris, nous parlons au monde.

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