Où s’arrêtera la « petite soeur » ?

On la connaissait pour ses activités caritatives et humanitaires. Depuis l’assassinat de Rafic, son frère, Bahia Hariri prend une dimension politique insoupçonnée. Au point que beaucoup souhaitent ouvertement la voir diriger le gouvernement…

Publié le 11 avril 2005 Lecture : 3 minutes.

« Bahia PM ! » Depuis le début du « printemps de Beyrouth », des dizaines de milliers de SMS appellent à la nomination de la soeur de Rafic Hariri, l’ancien Premier ministre assassiné le 14 février, à la tête du gouvernement. Ces derniers jours, plusieurs visites de la députée de Saïda dans les quartiers de Beyrouth récemment frappés par des attentats à la voiture piégée ont encore accru sa popularité, que son statut de soeur d’un « martyr » ne suffit pas à expliquer.
Comment cette mère de famille de 53 ans, qui a grandi en politique à l’ombre de son frère et n’était jusqu’alors que la cheville ouvrière du « système Hariri » dans son fief familial de Saïda, est-elle devenue un symbole national, tant pour « l’opposition » que pour nombre de « loyalistes » ?
Ambassadrice « de bonne volonté » de l’Unesco et présidente de la Fondation Hariri-Saïda, Bahia Hariri, qui a fondé et dirigé nombre d’orphelinats et d’écoles, de même que le lycée Rafic-Hariri et diverses associations de femmes arabes, s’était jusqu’ici acquis le statut d’une sorte de dame patronnesse parfaitement respectable, très active dans le domaine des oeuvres sociales et philanthropiques, mais certainement pas celui d’une femme d’État.
Pourtant, le 15 mars, le discours qu’elle a prononcé sur la place des Martyrs, à Beyrouth, au cours d’un énorme rassemblement populaire, a provoqué un choc considérable.
Une grande partie des Libanais voit désormais en elle l’espoir d’un renouveau du milieu politique, traditionnellement rongé par la corruption. En exigeant la vérité et la justice, elle s’est faite le porte-parole de l’exigence morale nouvelle du peuple libanais vis-à-vis de ses dirigeants. Mais Bahia Hariri est également la seule qui paraisse capable de rompre avec un système social et politique verrouillé depuis bien longtemps, en incarnant, par-delà les divisions confessionnelles ou tribales, la cause de la nation libanaise.
Dépassée par les événements, la classe politique dirigeante a donc fini par découvrir – presque malgré elle – que la « petite soeur » de Rafic n’est plus seulement la représentante de son frère au sein la société civile, mais qu’elle est bel et bien porteuse des attentes des Libanais. En outre, elle fait preuve d’une habileté tactique certaine. La modération de ses propos tranche, par exemple, avec le discours quasi insurrectionnel et parfois confus d’un Walid Joumblatt : contrairement au leader druze, la députée de Saïda n’appelle pas à la démission du président Émile Lahoud, elle souhaite simplement le départ du Premier ministre Omar Karamé – rien que de très normal dans une démocratie parlementaire. De même, elle s’abstient de fustiger la Syrie, se bornant à appeler de ses voeux une relation plus égale entre les deux pays frères. Enfin, elle refuse pour l’instant d’aborder certains « sujets qui fâchent », comme le désarmement du Hezbollah, tout en réclamant l’application des accords de Taëf – qui devraient y conduire à terme.
Pour propager sa vision politique, l’héritière du clan Hariri peut compter sur la formidable machine créée à grands frais par son frère, sa « clientèle », dans un pays où il était d’usage que les élections donnent lieu à des achats massifs de votes. Mais aussi, et surtout, le puissant groupe industriel et médiatique qu’il était parvenu à construire.
Ainsi « équipée » dans la perspective du prochain scrutin, Bahia n’en devra pas moins résoudre une contradiction de taille : les nouveaux comportements politiques auxquels les Libanais aspirent sont-ils vraiment compatibles avec les pratiques héritées de son frère ? On imagine mal celle qui a été l’un des architectes post mortem du succès de Rafic demander un « droit d’inventaire », quand l’heure est plutôt à l’éloge funèbre. Pourtant, si elle ne veut pas décevoir les attentes des Libanais, Bahia n’en devra pas moins imposer, dans une certaine mesure, une rupture avec l’oeuvre politique du Premier ministre assassiné. Faute de quoi le printemps de Beyrouth aura surtout servi les intérêts de la classe dirigeante traditionnelle. Il aura débarrassé le peuple libanais de la pesante tutelle des Syriens, sans lui rendre sa souveraineté. Entretien.

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