Tariq Ramadan : « Je ne suis pas parfait, mais je suis innocent » (1/2)
Ses démêlés avec la justice, sa nouvelle vie, l’anticolonialisme, le slam… Passé de figure incontournable – et polémique – à persona non grata dans les médias, l’intellectuel revient sur le devant de la scène avec un album de musique. Entretien exclusif.
Longtemps, Tariq Ramadan a été une star, une étoile dans le ciel brumeux des musulmans. Pas seulement en France, mais aussi au Maghreb, en Afrique subsaharienne, en Amérique du Nord. Aux quatre coins du monde.
Au-delà des spéculations sur l’existence, chez lui, d’un double discours – question qui préoccupe avant tout les non-musulmans, et tout particulièrement en France –, l’auteur de L’islam et le réveil arabe incarnait l’idée qu’un intellectuel de confession musulmane soit capable de performances médiatiques du même calibre que celles d’un Éric Zemmour ou d’un Michel Onfray, et de débattre, à armes égales, avec des intellectuels occidentaux de renom.
Mais ça, c’était avant la chute. Avant qu’en 2017, dans le sillage de la vague #MeToo, plusieurs femmes, en France et en Suisse, ne l’accusent de viols. Des accusations qui l’ont mené en prison, où il a passé dix mois. En liberté provisoire depuis novembre 2018, Tariq Ramadan est, dans l’attente du verdict, soumis à un contrôle judiciaire renforcé et a interdiction de quitter le territoire français.
Bien sûr, le chercheur n’a cessé de clamer son innocence et d’affirmer qu’il est victime d’un traquenard de la part de ses accusatrices. Il a néanmoins reconnu avoir eu des relations sexuelles avec certaines d’entre elles. Un aveu qui a fait l’effet d’une bombe auprès des musulmans qui le soutenaient.
Car, outre la gravité des faits qui lui sont reprochés et qui, s’ils étaient avérés, le feraient passer du statut d’« honorable » penseur, professeur d’études islamiques à l’université d’Oxford, à celui de criminel et de violeur, le fait qu’il ne soit pas moralement irréprochable, à l’inverse des idéaux qu’il défend, a profondément déçu, et même heurté, les musulmans qui le suivaient. En 2019, il a tenté de s’en expliquer dans un livre, Devoir de vérité (Presses du Châtelet). En vain. Le mal est fait, et son image brouillée pour longtemps.
Aujourd’hui, Tariq Ramadan semble avoir tourné la page. Très suivi sur les réseaux sociaux (ses pages totalisent plus de 3 millions d’abonnés), il partage régulièrement avec ses followers ses réflexions. Et revient dans la sphère publique avec un nouveau moyen d’expression : la musique. Exit les essais, les conférences, les cours magistraux, les débats télévisés. Il passe au slam, ou plutôt à la poésie mise en musique. Un choix auquel personne ne s’attendait, mais qui pourrait faire mouche.
Son album n’est pas encore sorti, mais un premier titre (« Qu’est-ce que vous croyez ? »), diffusé sur YouTube en avril, donne un avant-goût de son contenu. Un titre à la fibre très anticolonialiste, dans lequel le petit-fils de l’Égyptien Hassan el-Banna, fondateur de la confrérie des Frères musulmans, se fait le porte-voix des migrants venus du Sud face aux pouvoirs des pays du Nord.
Un come-back accueilli très froidement en France, où la chanson est perçue comme une déclaration de guerre contre l’Occident. Qu’en est-il réellement ? Pour comprendre sa démarche, Jeune Afrique a reçu Tariq Ramadan. Entretien avec un « prophète » déchu devenu slameur.
Jeune Afrique : Vous êtes accusé de viol, en France et en Suisse. Où en êtes-vous avec la justice ?
Tariq Ramadan : L’instruction est en cours dans les deux dossiers : le français, qui comprend cinq affaires, et le suisse. Elle évolue clairement dans mon sens, puisque beaucoup de mensonges et de concertations frauduleuses ont été découverts. L’on sait aujourd’hui que les femmes qui m’accusent ont toutes menti et ont même présenté des faux documents aux juges. Elles ont affirmé qu’elles ne se connaissaient pas, alors que certaines se connaissaient depuis dix ans.
Aucune des personnalités accusées de viol n’a été traitée comme je l’ai été : ni Depardieu, ni Darmanin, ni Poivre d’Arvor… »
Elles ont affirmé qu’elles n’étaient pas en contact avec un certain nombre de mes ennemis, bien identifiés en France : Caroline Fourest, Jean-Claude Elfassi, Alain Soral, Ian Hamel… Or l’on a aujourd’hui des preuves de leur implication. Elfassi, un paparazzi de l’extrême-droite israélienne qui invitait ses « frères juifs » à quitter la France désormais « infestée par les musulmans », était en contact avec toutes les plaignantes.
Insinuez-vous qu’un complot franco-suisse aurait été fomenté pour vous faire tomber ?
J’ai parlé de traquenard, et quatre des plaignantes ont elles-mêmes utilisé le terme de « complot ». On a pensé, en France, que l’affaire suisse apparaîtrait dans mon dossier comme une circonstance aggravante. Elle apporte au contraire un éclairage nouveau, car on a trouvé, dans le dossier suisse, des éléments qui confirment la concertation frauduleuse et l’implication de personnes extérieures.
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