« N’ayez pas peur », avait-il dit…

Publié le 11 avril 2005 Lecture : 2 minutes.

Ami lecteur, tends la main : le billet que je te glisse sort d’un soupirail. Celui qu’on a entrebaillé, au journal (« pas plus de 3 000 signes ») pour essayer de garder la tête hors du torrent des larmes et de l’eau bénite. Pas question, sinon, de se risquer à ouvrir, ne fût-ce qu’une échancrure, dans le voile du deuil.
Qu’on me comprenne bien : je n’avais nullement l’intention de commettre ici un sacrilège en souillant la mémoire de Karol Wojtyla, « Lolek le Gardien » pour ses coéquipiers au foot, « l’athlète de Dieu » dans la presse sportive, le « cyberpape » pour les 1 640 000 sites qui accueillent Jean-Paul II sur Google, le « pape voyageur » dans 129 pays, le « vicaire du Christ » pour les pèlerins de Lourdes, le « géant de la chrétienté » salué par Jean-Marie Le Pen, le « guide de la jeunesse » pour les millions de participants aux JMJ, la « mère des Polonais » et le « saint Pierre de notre temps » pour Lech Walesa, le « nouveau raïs » des Palestiniens, « l’ami des juifs » de Sharon ou bien « un saint », tout court, pour l’ancien président français Valéry Giscard d’Estaing…
Il aurait évidemment été déplacé de vouloir faire entendre la dissonance d’une toute petite voix dans ce formidable concert d’hommages, alors même que l’immense foule des adorateurs anonymes brandit, sous les yeux de milliards de téléspectateurs, ses caméras et les objectifs intégrés de ses téléphones portables pour arracher une dernière image à la dépouille du pape, exhibé dans la mort comme il le fut dans son agonie, quand un machiniste invisible manoeuvrait le fauteuil du malade devant l’oeilleton de cette caverne secrète que la forteresse du Vatican n’a jamais cessé d’être.
L’heure est donc, chacun l’aura remarqué, à la contagion télégénique (télévangéliste ?) d’un chagrin éperdu : rien de tel que les sanglots sur écran d’un petit Polonais « de son village » pour mouiller les yeux des parents, d’un bout à l’autre de la planète, alors qu’ils étaient restés secs en tant d’autres circonstances. L’émotion, amorcée par la souffrance du martyr et la peine légitime des fidèles, s’est trouvée ainsi mise en spectacle et propagée jusqu’à saturer totalement l’espace médiatique. On oserait presque évoquer la fabrication d’une hystérie collective si Marie-Laure Augry, médiatrice de l’information de France 3, une chaîne de télévision publique jadis tellement soucieuse de défendre la laïcité dans la polémique sur le foulard islamique, n’avait su nous rassurer d’un mot : « Nous avons toujours réservé cinq minutes de journal pour parler d’autre chose »…
S’étonnera-t-on encore, après cela, que les politiques du monde entier mettent les drapeaux en berne et se bousculent au pied de l’estrade dans un consensus dont on évaluera plus tard s’il doit davantage à la victoire de l’oecuménisme qu’aux effets d’une fascination efficacement orchestrée par le Saint-Siège ? Le dernier souffle du pape, devenu tempête médiatique, a éteint d’un coup toutes les questions que son pontificat avait fait naître. Pour y répondre, il faudra sans doute, demain, un peu de temps. Et un peu de place…

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