Libérez la Banque mondiale !

Publié le 12 avril 2005 Lecture : 3 minutes.

Bien que la Banque mondiale soit une institution multilatérale avec 184 pays membres, l’usage est que les États-Unis choisissent son président sans que qui ce soit ait son mot à dire. L’Europe semble volontiers jouer le jeu, sans doute pour garder son « monopole » sur d’autres nominations. Les quelque 150 pays en développement restent des spectateurs muets.
La mainmise de la Maison Blanche sur la présidence de la Banque mondiale est regrettable pour trois raisons. Premièrement, les États-Unis n’ont que 16 % des droits de vote et les autres pays jouent un rôle de plus en plus important dans ses opérations. En coulisse, les États-Unis ont été le pays qui s’est le plus opposé à l’augmentation de l’aide financière accordée aux pays pauvres, et ont proposé une forme d’allégement de la dette qui serait dangereuse pour le budget de la Banque. Les États-Unis veulent la gérer à l’économie.
Deuxièmement, le gouvernement américain ne s’est pas rallié au consensus mondial sur le développement économique. L’unanimité s’est faite sur les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) de l’ONU, qui se proposent de lutter contre la pauvreté, la maladie et la faim. Les États-Unis ont signé le document, mais ont refusé d’assumer les objectifs.

Le point de désaccord le plus marquant concerne l’aide étrangère. La position des conservateurs de Washington est que les États-Unis sont favorables au consensus de Monterrey (adopté à la conférence de mars 2002 à laquelle assistait George W. Bush), plutôt qu’à une aide au développement accrue. Ils prétendent que le consensus porte sur le commerce et le secteur privé, pas sur l’aide. Ce qui est faux.
Les signataires du consensus de Monterrey, dont les États-Unis, ont invité les pays développés qui ne l’avaient pas fait à se fixer comme objectif d’affecter 0,7 % de leur Produit intérieur brut (PIB) à l’aide au développement. L’aide américaine n’est que de 0,15 % du PIB : c’est le pourcentage le plus faible de tous les pays donateurs, et cela représente 65 milliards de dollars (49 milliards d’euros) de moins que ce qu’aurait dû être, selon le consensus de Monterrey, la contribution américaine. Les États-Unis à eux seuls sont responsables de la moitié du déficit du budget prévu pour atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement, selon le dernier rapport du Projet du millénaire. Et pourtant, l’administration Bush n’a pas levé le petit doigt pour se rapprocher des 0,7 %.
Troisièmement, les États-Unis ont proposé un candidat inattendu pour la présidence de la Banque, en la personne de Paul Wolfowitz. Sans parler de tout ce qu’on pourrait dire par ailleurs sur Wolfowitz, ses positions sur les problèmes fondamentaux du développement mondial ne sont pas connues. Il a fait carrière dans la défense et la diplomatie, pas dans le développement et la finance.
La légitimité de la Banque souffrira d’une telle démonstration du pouvoir illimité de la Maison Blanche sur la nomination de son président. En outre, le consensus difficile auquel on est arrivé avec les OMD pourrait être remis en question. Pour cette raison, il faudra que les pays membres et les directeurs exécutifs soient très vigilants.

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Il faudrait aussi demander à Wolfowitz de faire connaître clairement sa position sur au moins quatre problèmes essentiels du développement mondial. D’abord, approuve-t-il les Objectifs du millénaire pour le développement ? Fera-t-il de ces Objectifs les buts opérationnels des programmes de la Banque ? Ensuite, accepte-t-il le principe que l’assistance officielle au développement de tous les pays donateurs soit de 0,7 % en 2015, comme demandé par les leaders mondiaux et par le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan ?
Troisièmement, suivra-t-il les idéologues de l’économie de marché qui veulent privatiser la santé, l’éducation et les infrastructures publiques, ou bien admettra-t-il qu’un financement public renforcé est vital pour garantir un accès universel à la santé, à l’alimentation, à l’eau et aux installations sanitaires, à l’école et au planning familial ?
Quatrièmement, veillera-t-il à ce que l’on écoute davantage les pays en développement à la Banque mondiale et au Fonds monétaire international (FMI), comme tant le souhaitent ? Cette question est d’une actualité toute particulière au moment où les pays pauvres doivent accepter sans mot dire toutes les nominations qui viennent de Washington. La Banque mondiale est-elle vraiment une banque pour le monde ou simplement la « Banque américaine », comme il se disait récemment à Washington ?

*Jeffrey Sachs est le directeur de l’Institut de la Terre, à l’université Columbia, et du Projet du millénaire aux Nations unies.

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