Kingsley Y. Amoako

Après vingt ans passés à la Banque mondiale et dix à la tête de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique, le Ghanéen s’estime le mieux à même de succéder à Omar Kabbaj.

Publié le 12 avril 2005 Lecture : 7 minutes.

Après Donald Kaberuka, 53 ans, ministre rwandais des Finances et de la Planification économique depuis 1997 (J.A.I. n° 2305), nous donnons la parole cette semaine à un autre candidat à la présidence de la Banque africaine de développement (BAD), le Ghanéen Kingsley Y. Amoako, 60 ans, secrétaire exécutif de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA) depuis juillet 1995. Il brigue la succession du Marocain Omar Kabbaj, qui achève, en août prochain, son second et dernier mandat de cinq ans. L’élection aura lieu le 18 mai 2005 à Abuja, au Nigeria.
Né en 1944 à Accra, de père fonctionnaire, Kingsley Y. Amoako a poursuivi un cursus économique à l’université de Legon, au Ghana, puis à la prestigieuse faculté de Berkeley, en Californie. À peine son Ph.D. en poche, il est recruté par la Banque mondiale (juillet 1974). Il ne s’imaginait pas alors faire une carrière de vingt ans au sein de la première institution financière internationale, à Washington. Un jour de juillet 1995, il reçoit un appel téléphonique du secrétaire général de l’ONU, Boutros Boutros-Ghali, qui lui propose le poste de secrétaire exécutif de la CEA avec rang de secrétaire général adjoint de l’ONU. Pareille offre ne se refuse pas, même quand on est directeur des programmes de l’éducation et des ressources humaines à la Banque mondiale et qu’il faut quitter les rives du Potomac pour les hauts plateaux de l’Abyssinie… Addis-Abeba est la capitale la plus élevée d’Afrique (environ 2 500 m d’altitude) et la troisième au monde. Après un second mandat de cinq ans à la tête de la CEA, qui s’achève à la fin de juin 2005, Amoako estime avoir « le meilleur profil » pour diriger la BAD.

Jeune Afrique/L’Intelligent : Vos débuts ont été difficiles à la CEA. Dix ans après, quel est votre bilan ?
Kingsley Y. Amoako : Il est vrai que j’ai rencontré des résistances à mon arrivée à la CEA. Elles étaient dues pour l’essentiel à un problème de perception. Je venais en effet de la Banque mondiale, longtemps en désaccord avec la CEA sur la question de l’ajustement structurel. Mais je ne me suis pas laissé décourager et, aujourd’hui, mes états de service montrent que nous avons largement réussi à articuler une vision africaine du développement qui mette l’accent sur les aspects sociaux, pas celle importée de l’extérieur. C’est cette vision qui m’a permis de garder le cap par rapport à mes engagements pour faire en sorte que la CEA soit présente dans les domaines où l’Afrique a le plus besoin d’aide.
Je suis arrivé à la CEA animé de la ferme volonté d’en faire une institution forte, remplissant ses missions traditionnelles avec efficacité : le dialogue avec les décideurs africains, le partenariat avec le reste du monde et la réalisation des meilleures analyses sur la situation économique et sociale du continent. Or, comme vous le savez, les changements suscitent toujours des appréhensions. Je pense avoir réussi à mener à bien ces réformes grâce au soutien des États membres. Aujourd’hui, la CEA est une institution respectée. Elle est partie prenante dans tout ce qui bouge en Afrique, des projets du Nepad (Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique) aux discussions avec l’OMC (Organisation mondiale du commerce), en passant par les questions d’intégration, de mondialisation, de développement durable et de bonne gouvernance. Mieux, je suis parvenu à associer la société civile, notamment des femmes et les Africains de la diaspora, au travail de la CEA. Le staff, qui comprend environ neuf cents personnes, est d’une grande compétence, comme en témoignent les évaluations faites par des cabinets indépendants. Je suis résolu à mettre cette aptitude à opérer des changements au service de la Banque africaine de développement (BAD).
J.A.I. : Justement, parlons de la BAD. Entre 1995 et 2005, vous avez, depuis Addis-Abeba, observé son évolution. Comment jugez-vous le bilan de son président Omar Kabbaj ?
K.Y.A. : Il a fait un excellent travail. La BAD était dans une situation très difficile en 1995, il a réussi à rétablir la confiance avec les gouvernements africains et les partenaires étrangers, à restructurer la Banque et à lui donner une très bonne cote. Nous devons à monsieur Kabbaj une immense gratitude.
J.A.I. : L’année 2004 est celle de tous les records pour la BAD : niveau record des opérations de prêts et dons (4,4 milliards de dollars), des décaissements, de la mobilisation des ressources… Comment faire mieux ?
K.Y.A. : Oui, la Banque est en position de force. Et il est possible de lui donner une plus grande impulsion en la préparant à répondre aux nouveaux défis de l’intégration régionale dans les domaines de l’infrastructure, de l’agriculture, de l’environnement, de la lutte contre la pauvreté et pour l’emploi. Elle devrait aussi inscrire au rang de ses priorités le développement des petites et moyennes entreprises. Dans ma vision, la BAD devrait être la première institution financière du continent, à l’instar, par exemple, de la Banque interaméricaine de développement pour l’Amérique latine. Plus que jamais, elle devrait être le moteur de la croissance économique en Afrique.
J.A.I. : Comment pourrait-elle, par exemple, relancer le secteur privé ?
K.Y.A. : En adoptant une stratégie plus agressive pour mobiliser de nouvelles ressources en faveur des PME, des microcrédits. La BAD pourrait se doter d’une filiale spécialisée, et créer également des fonds de garantie et d’autres instruments financiers adaptés aux besoins africains et prenant suffisamment en compte l’énorme potentiel économique que constituent les femmes. Elle pourrait ainsi exercer un leadership intellectuel plus marqué et amener les partenaires internationaux à adhérer à l’effort de promotion du secteur privé africain.
J.A.I. : La BAD a mobilisé, en décembre dernier, 5,4 milliards de dollars pour la période 2005-2007. Comment faire plus ?
K.Y.A. : Le propre des records, c’est qu’ils peuvent sans cesse être améliorés. En dépit des succès, il reste beaucoup à faire pour amener les partenaires de l’Afrique à tenir pleinement leurs promesses. Le continent peut aussi générer davantage de ressources en réalisant des progrès en matière de gouvernance. Une vigilance accrue dans ces deux domaines devrait permettre à la BAD de consolider ses précieux acquis.
J.A.I. : Quelles sont vos chances d’accéder à la présidence de la BAD ?
K.Y.A. : La décision appartient bien entendu aux États membres, qui jugeront souverainement des capacités et du profil de chaque candidat. Selon moi, l’aptitude à formuler de nouvelles idées pour mieux répondre aux besoins du continent est un élément central. La BAD est prête pour un nouveau leadership afin de capitaliser les acquis de M. Kabbaj. Je connais les autres candidats. Certains sont mes amis. Ils sont eux aussi qualifiés, mais les dix années que j’ai passées à la tête d’une institution panafricaine comme la CEA ainsi que mon expérience antérieure me donnent le meilleur profil. [sourire.]
J.A.I. : Chacun s’accorde à dire que le président sortant de la BAD est excellent. Et certains se demandent pourquoi changer « une équipe qui gagne »…
K.Y.A. : Les gouverneurs de la Banque ont fixé les règles : deux mandats de cinq ans maximum. Ils avaient de bonnes raisons de le faire. Je ne vois pas pourquoi cela changerait aujourd’hui. Je pense que chaque institution a besoin de se régénérer avec une nouvelle vision, de nouveaux hommes.
J.A.I. : Quelle est votre vision de l’avenir de la Banque ?
K.Y.A. : Tout d’abord, ma vision est celle d’une Afrique où le progrès se généralise, de l’agriculture aux nouvelles technologies, d’une Afrique où la misère recule et où le chômage diminue, d’une Afrique en bonne santé, d’une Afrique où l’éducation progresse et où la corruption régresse. Une telle Afrique aura une place plus forte sur la scène mondiale, une telle Afrique aura son mot à dire. Elle sera partie prenante et non plus simple spectateur. Dans une telle perspective, la BAD aura évidemment un rôle crucial. Elle devra galvaniser les efforts du continent. Il n’y a pas que l’argent qui compte, il y a aussi les idées. La BAD devra jouer un rôle moteur dans la conception du futur, montrer la voie à suivre dans les domaines où elle a laissé le champ libre à la Banque mondiale. Il s’agit d’élaborer de nouveaux programmes centrés sur les besoins de l’Afrique et de consacrer des ressources propres à leur mise en oeuvre. Les fondements institutionnels et les structures sont déjà en place. Il s’agit à présent de les mettre au service du continent en prenant en compte les orientations stratégiques définies par le Nepad et en favorisant une collaboration optimale entre les trois grands piliers institutionnels panafricains que sont l’Union africaine, la BAD et la CEA. Les pays membres de la BAD ont aujourd’hui la responsabilité historique de choisir le leader qu’il faut, le plus compétent et le mieux préparé à cette mission essentielle.
J.A.I. : En marge de l’élection du président, les gouverneurs de la Banque devront se prononcer sur la proposition américaine de trouver un nouveau siège définitif en lieu et place d’Abidjan. Qu’en pensez-vous ?
K.Y.A. : Je déteste commenter les rumeurs. À ma connaissance, les gouverneurs ont transféré le siège à Tunis de façon temporaire avec la décision de revenir à Abidjan dès que les conditions le permettront. Je m’en tiens à ça.

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