Karol Wojtyla 1920-2005

De sa Pologne natale au Vatican, de la lutte contre le totalitarisme soviétique à son combat pour la paix, itinéraire d’un pape d’exception.

Publié le 11 avril 2005 Lecture : 15 minutes.

Karol Wojtyla est né à Wadowice, une grosse bourgade sur les contreforts des Carpates, à l’extrême sud de la Pologne, le 18 mai 1920, vers 17 heures. Le jour de ses 70 ans, il révélera que c’est à cette même heure, cinquante-huit ans plus tard, qu’il a été élu pape. Le début de sa vie est marqué par le deuil. C’est d’abord sa mère, Emilia, qui disparaît alors que « Lolek » – diminutif affectueux de Karol – n’a que 9 ans, emportée par une maladie du myocarde et des reins. Edmund, son frère aîné, jeune diplômé de la faculté de médecine de Cracovie, meurt à son tour en 1932, victime d’une scarlatine contractée au chevet d’une patiente. Dès lors, la vie s’organise entre le père et le fils. « Mon père a été admirable, racontera plus tard Jean-Paul II au journaliste André Frossard. La violence des coups qui l’avaient frappé avait ouvert en lui d’immenses profondeurs spirituelles, son chagrin se faisait prière. Le simple fait de le voir s’agenouiller a eu une influence décisive sur mes jeunes années. »
Mais il n’est pas encore question de vocation sacerdotale. Certes, Lolek est d’une exceptionnelle piété, servant la messe comme enfant de choeur, parfois plusieurs fois par jour. Mais, peu après son entrée au lycée, vers l’âge de 11 ans, il se prend de passion pour le théâtre. Son excellente mémoire, son goût pour la langue et un don naturel pour jouer la comédie le rendent rapidement bon acteur. Il en tire un plaisir immense et envisage d’en faire son métier. Entre théâtre et prière, jeux et randonnées en montagne, études et réflexion, le jeune Wojtyla grandit, surprotégé par un père exigeant, mais disponible, qui, outre une foi profonde, lui inculque une excellente éducation et des principes moraux élevés. Enfance et adolescence peu banales, qui ont vraisemblablement eu une profonde influence sur la vision quelque peu idéaliste que le futur pape aura de la famille et de la sexualité.
En 1938, à 18 ans, il s’installe avec son père à Cracovie pour poursuivre des études de philologie à l’université Jagellon. Il y fait connaissance avec la langue russe, avec le slavon (l’ancienne langue de la liturgie orthodoxe, l’équivalent du latin pour les catholiques), et, en prime, avec la politique. Le monde est en train de basculer et, à l’université, les manifestations antiallemandes se succèdent. Le 1er septembre 1939, la ville se réveille sous les bombes : la Wehrmacht est passée à l’offensive… Comme des milliers d’autres Polonais, Karol et son père prennent la fuite en direction de la frontière soviétique, jusqu’à tomber nez à nez avec l’armée Rouge. Ils retournent alors à Cracovie, où le drapeau rouge et noir à la svastika flotte désormais sur le château royal de Wawel. La Pologne est occupée, l’université fermée, et le jeune Wojtyla, contraint de poursuivre clandestinement ses études.
En septembre 1940, il est engagé comme ouvrier à la carrière de pierre de Zakrzowek, un établissement classé d’« importance militaire », ce qui lui permet de bénéficier d’un cachet spécial sur sa carte d’identité et d’éviter une éventuelle déportation en Allemagne. Le 18 février 1941, son père meurt, épuisé par le chagrin et les atroces conditions de vie imposées par l’occupant hitlérien. Pendant la durée de la guerre, le pays perdra un sixième de sa population…
Contrairement à nombre de ses amis, qui rejoignent les maquis non communistes, Karol, en pacifiste résolu, s’abstient de prendre les armes : il préfère la résistance culturelle. Il a l’esprit frondeur de tous ces intellectuels polonais qui, depuis le premier partage de la Pologne, en 1772, sont toujours parvenus à sauvegarder l’identité nationale. Il se lance dans le théâtre clandestin. Autrement dit, il continue à pratiquer sa langue maternelle et à interpréter les grands noms du répertoire.
Que sait-il de ce qui se passe à Auschwitz, à 80 km de Cracovie, de l’autre côté de l’infranchissable frontière du Reich ? À peu près rien. Certes, des bruits courent sur le sort réservé aux résistants arrêtés, mais sans plus. Les nazis ont confisqué radios et journaux, l’information est presque inexistante. Ce n’est qu’à la fin de la guerre que Lolek et ses compatriotes découvriront, en même temps que le reste du monde, l’horreur des camps et de la « solution finale »…
En juin 1979, au cours de son premier voyage dans son pays natal en tant que pape, Jean-Paul II célébrera, avec une centaine de prêtres, tous anciens déportés, une messe somptueuse à Auschwitz, en présence d’un million d’hommes et de femmes. Dans un silence impressionnant, il évoquera ce lieu « construit sur la haine et le mépris de l’homme, au nom d’une idéologie folle ». Respect de la personne humaine, rejet des idéologies : tout Karol Wojtyla est là. L’horreur de la guerre et de ses conséquences le poursuivra sa vie durant. Elle explique qu’il ait toujours tout tenté, même l’impossible, pour l’éviter, comme avant l’invasion de l’Irak par les troupes américaines.
Sa vocation sacerdotale lui vient tardivement : quand il entre au séminaire clandestin, il a déjà 22 ans. Ce n’est pas sans importance. Avant de devenir prêtre, il a eu une vraie vie d’homme et de laïc, en prise directe sur le monde, ce qui n’était pas forcément le cas de tous ses prédécesseurs. Le déclic, c’est la mort de son père, en février 1941. Sa passion pour le théâtre retardera de vingt mois sa décision, mais celle-ci est inéluctable.
C’est derrière le rideau de fer qui vient de s’abattre sur l’Europe orientale que, le 1er novembre 1946, jour de la Toussaint, il est ordonné prêtre dans la chapelle privée des archevêques de Cracovie. À Rome, il poursuit des études de théologie et apprend plusieurs langues, dont le français, qu’il finira par maîtriser mieux que l’allemand. Il lit les philosophes chrétiens comme Emmanuel Mounier, Jacques Maritain ou Étienne Gilson, découvre la Ville éternelle et, à Pâques 1947, rend visite au padre Pio, ce capucin stigmatisé qui reçoit des foules ininterrompues de pèlerins. « Tu seras pape », lui aurait dit le futur saint (canonisé en 2002 par… Jean-Paul II). En attendant, le jeune Wojtyla est nommé vicaire, puis abbé. Il consacre une première thèse à saint Jean de la Croix, puis une seconde au philosophe allemand Max Scheler.
En 1945, l’Église polonaise est exsangue. Il lui faut à tout prix reconstituer ses forces. L’archevêque de Cracovie, le cardinal Sapieha, en est conscient : pour séduire la jeunesse de l’après-guerre, il lui faut des prêtres jeunes, eux aussi, mais brillants et passionnés. C’est le cas de Karol Wojtyla, féru de philosophie plus que de théologie et grand amateur d’Husserl, le père de la phénoménologie. En 1954, il commence à enseigner à l’université catholique de Lüblin. Il a 38 ans lorsque le pape Pie XII le fait évêque. Il apprend la nouvelle par télégramme, en pleine randonnée avec un groupe de jeunes en Mazurie, une région de lacs au nord de la Pologne, tout près de l’enclave russe de Kaliningrad. L’histoire s’accélère. Comme le dit son biographe, Bernard Lecomte, « la providence a voulu que Karol Wojtyla soit invité, de justesse, à participer à la plus formidable aventure de l’Église catholique au XXe siècle », autrement dit, le concile Vatican II. Car Pie XII est mort onze jours seulement après la consécration du jeune évêque polonais. Jean XXIII, son successeur, aurait peut-être pris la même décision, mais forcément beaucoup plus tard.
Le 30 décembre 1963, Paul VI en personne lui téléphone pour l’informer de sa nomination comme archevêque métropolitain de Cracovie. Cinq ans plus tard, à 47 ans, il est « élevé à la pourpre » cardinalice. Son activité ne se ralentit pas, bien au contraire. Il adopte une organisation stricte, dort très peu et renonce même aux voyages en train pour ne pas être tributaire des horaires et fait installer dans sa voiture – avec chauffeur, car il ne sait pas conduire – un lutrin pour continuer à lire et à rédiger. L’archevêque est à la fois gestionnaire et pasteur de sa paroisse. Mais il ne renonce ni à la philosophie, ni à l’enseignement, ni à la recherche théologique. Et pas davantage au sport. Quant à l’humour… À quelqu’un qui lui demandait un jour s’il était habituel que les cardinaux polonais fassent du ski, il répondit que « oui, la moitié d’entre eux pratiquent ce sport ». Bien entendu, les cardinaux en question n’étaient, à l’époque, que deux : Mgr Wyszynski, symbole de la résistance au communisme, et lui-même.
Le 18 octobre 1978, à 18 h 40, l’habemus papam retentit au-dessus de la tête des fidèles assemblés place Saint-Pierre, à Rome. Perplexité générale. Karol qui ? C’est un Africain ? Les journalistes compulsent fébrilement leurs notices biographiques – fort succinctes. L’heureux élu figurait parmi les derniers sur la liste des papabili… Qu’importe, Karol Wojtyla ne va pas tarder à se faire connaître. Bientôt, tout un chacun s’appliquera à prononcer son nom à la polonaise : « Voïtéhoua ».
Les lignes de force de son futur pontificat sont déjà présentes dans le premier discours papal : fidélité aux grands principes du concile Vatican II (confirmation du rôle des évêques, stricte observance de la doctrine catholique et de la discipline), combinée à une audacieuse ouverture oecuménique. Somme toute, un programme à la fois conservateur, rassurant et progressiste. Au passage, comme le rappelle son biographe, « il dit aussi qu’il ne fera pas de politique, mais qu’il dénoncera toutes les formes d’injustice et de discrimination et défendra la liberté de conscience et religieuse ». Pas de politique, Jean-Paul II ? Il ne cessera de le répéter pendant un quart de siècle… tout en faisant souvent le contraire.
Flash-back. En 1956, l’année où Nikita Khrouchtchev dénonce les crimes de Staline devant le XXe congrès du Parti communiste de l’Union soviétique, Polonais et Hongrois descendent dans la rue. Le jeune prêtre s’abstient de tout commentaire public, mais soutient, à titre individuel, l’action des jeunes dont il est aumônier. Devenu évêque, il célébrera une messe dans un terrain vague près des aciéries de Nowa Huta, au pied d’une croix de bois fichée en terre, pour dénoncer le refus du gouvernement polonais de faire construire une église. Ce christianisme de résistance sera sa contribution personnelle – ô combien efficace – à la lutte contre le communisme.
Celle-ci commence en effet en Pologne. Le 30 août 1980, les grandes grèves des chantiers navals débouchent sur la conclusion des accords de Gdansk avec le pouvoir communiste. Un an après le voyage triomphal de Jean-Paul II dans sa patrie, les ouvriers réclament la liberté et la justice sociale en priant devant l’effigie de la Vierge noire de Czestochowa. Dans les usines et les ateliers, le portrait du pape est partout, et Lech Walesa, qui conduit les négociations, en arbore un sur son pull-over, en guise de talisman. Jean-Paul II comprend qu’il ne peut rester à l’écart du combat : Walesa lui servira de vecteur. Il le reçoit à Rome et, en 1987, après l’incarcération du syndicaliste, demandera – et obtiendra – qu’il soit brièvement sorti de sa prison pour s’entretenir avec lui, à Varsovie.
Mais, avant le déclenchement de la tourmente qui, en 1989, provoquera la chute du mur de Berlin et l’effondrement du bloc soviétique, prend place un événement à tous égards exceptionnel. Le 13 mai 1981, alors que le pape arrive place Saint-Pierre à bord d’une Jeep, un homme dissimulé au milieu de la foule tire sur lui et le blesse grièvement. Il s’agit d’un Turc du nom de Mehmet Ali Agca. Consternation. Qui a voulu tuer le pape et pourquoi ? Policiers et journalistes mènent l’enquête, passent au crible toutes les pistes. Acte isolé d’un déséquilibré ? Non. Membre des « Loups gris », un mouvement turc d’extrême droite, Ali Agca était un terroriste chevronné. Complot du KGB, en liaison avec une « filière bulgare » d’agents spéciaux ? Beaucoup plus vraisemblable, bien que la preuve formelle n’en ait jamais été apportée. Rien n’a filtré de sa conversation avec son agresseur, dans sa prison, le 27 décembre 1983, mais dans Mémoire et identité, le livre qu’il a fait paraître le mois dernier, le pape l’affirme : Ali Agca « n’a pas pris l’initiative de l’attentat. Un autre l’a conçu. Un autre encore le lui a commandité. » À l’initiative du Parlement italien, l’enquête vient d’être rouverte.
Face au monde entier incrédule, Jean-Paul II fait à cette occasion la démonstration de son courage physique et de son incroyable ténacité : il se montre moins préoccupé par son état de santé, pourtant grave, que par la situation internationale – qui, il est vrai, ne l’est pas moins. En Pologne, l’état de guerre est décrété par le chef de l’État, le général Wojciech Jaruzelski. Les militants du syndicat Solidarité sont arrêtés. Plus que jamais résolu à soutenir le « camp de la liberté », le Saint-Père va mettre en place une stratégie redoutablement inventive. Il s’entoure d’hommes qui, pour être tous ecclésiastiques, n’en sont pas moins de remarquables spécialistes des relations internationales. Pour lui, les événements polonais constituent la « forme la plus sophistiquée qu’a pu prendre une opposition de masse dans un système communiste », explique son biographe. Son action va donc s’inscrire dans la durée, à coup de petites phrases, d’homélies, de voyages, de réceptions de diplomates et d’hommes d’État dans sa bibliothèque privée, au Vatican… En 1987 à Varsovie puis à Poznan et à Lodz, il donne la mesure de son habileté en apportant publiquement son soutien à Solidarité… sans jamais le nommer, remplaçant le mot honni des autorités par celui de « vérité ». L’affaire polonaise durera dix ans et contribuera grandement à la dislocation de l’Empire soviétique.
Mais qu’on ne s’y trompe pas : Jean-Paul II n’a jamais été un militant anticommuniste, seulement un adversaire farouche du totalitarisme, comme l’exprime clairement l’encyclique Centesimus Annus (1991) sur la « question sociale ». Pour lui, l’homme est au centre de tout. Si le socialisme s’est effondré, c’est parce qu’il avait fait de l’homme un simple rouage de la machine sociale. Et le capitalisme s’effondrerait lui aussi s’il s’avisait de faire de même.
En attendant, le pape soutient les efforts de Mikhaïl Gorbatchev pour mettre fin sans violence à soixante-dix ans de communisme en Russie. Le 1er décembre 1989, à Rome, les deux hommes se rencontrent sous les yeux d’un demi-milliard de téléspectateurs. Neuf ans plus tard, il rencontrera Fidel Castro, à Cuba – avec un succès certes moins éclatant. « Que Cuba s’ouvre au monde, et le monde s’ouvrira à Cuba », lance Jean-Paul II, à La Havane. Sans grand écho, hélas ! Convaincu que le nationalisme est un danger mortel – sans doute est-il le seul dirigeant européen à l’avoir senti avec autant d’acuité – le pape milite inlassablement pour l’ouverture des frontières politiques, l’ouverture de la société aux influences extérieures et la reconnaissance par les autorités politiques du rôle que l’Église peut et doit jouer, selon lui, dans la société. Pèlerin de cette sorte de « mondialisation apostolique », il va sillonner le monde sans relâche, jusqu’à la limite de ses forces, jusqu’à ce dernier voyage à Lourdes, en France, en août 2004, où il viendra se recueillir une dernière fois devant la Vierge Marie, celle qu’il a adorée sa vie durant. Si l’aspect géopolitique de son pontificat a pris une telle importance, c’est évidemment parce que le monde le requiert. Jamais guerres et conflits n’ont été aussi nombreux. Sous la conduite de Jean-Paul II, l’Église va se montrer « experte en humanité », pour reprendre le mot de Paul VI devant les Nations unies. La chancellerie vaticane va ainsi déployer des efforts considérables, mais vains, pour empêcher le déclenchement de la guerre en Afghanistan et, surtout, en Irak.
Le règne de Jean-Paul II restera également marqué par les profondes modifications – il ne faut surtout pas parler de réformes – qu’il est parvenu à faire accepter à la Curie romaine. Cette administration d’une exceptionnelle lourdeur va être sensiblement revigorée par un afflux de sang neuf : les nombreux cardinaux que, vingt-six ans durant, le pape ne cessera de nommer. Le Sacré Collège en compte désormais cent quatre-vingt-trois, dont cent dix-sept âgés de moins de 80 ans – les seuls admis à voter lors du conclave qui désignera le successeur de Karol Wojtyla.
Cette délégation de pouvoir a permis au chef de l’Église catholique de se consacrer à autre chose qu’à signer des papiers ou à gérer des budgets. Sans, bien sûr, concéder la moindre parcelle de son autorité. Parallèlement à la Curie, il va mettre en place un cabinet particulier travaillant selon les mêmes méthodes – et au même rythme ! – que celui de n’importe quel chef d’État. La différence d’approche entre ce pape jaloux de sa liberté et une Curie gardienne de la tradition s’exprimera à de nombreuses reprises, notamment lors des conférences épiscopales. Mais sans que jamais n’apparaisse la moindre faille dans l’unité de l’Église. Sauf, peut-être, pour les spécialistes…
Tous les problèmes internes sont réglés d’une main douce, mais ferme. Mgr Marcel Lefebvre, l’ancien archevêque de Dakar, est l’un des premiers à en faire l’expérience. Farouche militant anti-Vatican II, celui-ci avait fondé la Fraternité Saint-Pie-X (le pape qui condamna le modernisme), disait la messe en latin et, depuis 1976, ordonnait des prêtres selon les anciens canons liturgiques. Plusieurs tentatives de conciliation sont entreprises (notamment par Mgr Hyacinthe Thiandoum, son successeur à la chaire de Dakar), mais échouent. Jean-Paul II, qui tient par-dessus tout à l’unité de l’Église, fait des concessions, accepte l’utilisation du latin dans ce qu’il estime être une communauté marginale, mais refuse toute ordination hors de sa propre juridiction. Lefebvre hésite, puis choisit l’intransigeance. Il est excommunié, avec tous ceux qui l’ont suivi, le 29 juin 1988.
Mais Jean-Paul II n’a pas remporté que des succès. Son pontificat a, par exemple, été marqué par la plus grave crise entre catholiques et orthodoxes depuis neuf siècles. À cause du « prosélytisme » du pape, fort peu apprécié de ses interlocuteurs, longtemps réduits au silence, voire persécutés, par le régime communiste… avant de s’en accommoder somme toute assez bien. Les multiples tentatives de rapprochement avec d’autres grandes religions – protestante d’abord, musulmane ensuite – ont certes permis d’engager le dialogue, mais elles ont aussi contribué à renforcer les suspicions. Les relations entre l’Église catholique et les juifs ont en revanche été profondément bouleversées par Jean-Paul II. La reconnaissance de l’Holocauste a été la première étape de ce processus de réconciliation. Viendront ensuite des gestes symboliques comme la visite pontificale à la synagogue de Rome. Cela n’a pas empêché certains remous, comme lors de l’affaire dite du carmel d’Auschwitz ou lors de la béatification de la philosophe allemande Edith Stein, une juive convertie, mais il ne s’agissait là, au fond, que de péripéties. L’essentiel est que, le 30 décembre 1993, un Accord fondamental ait été conclu entre Israël et le Saint-Siège en vue de l’établissement de relations diplomatiques. À l’occasion du Grand jubilé de l’an 2000, Jean-Paul II couronnera vingt années de rapprochement par un voyage exceptionnel en Terre sainte.
Autre question controversée : les prises de position du pape sur la famille et la sexualité. Au nom du « droit à la vie », il s’est toujours fermement prononcé contre l’avortement, même thérapeutique, et l’usage du préservatif – auquel il a constamment opposé un « silence réprobateur ». Plus proches des problèmes concrets des paroissiens, notamment dans les régions très touchées par le sida (Afrique, Asie), les évêques se sont efforcés de tempérer cette « froideur » papale par la théorie du moindre mal. En gros : « S’il ne vous est pas possible de pratiquer l’abstinence, alors mieux vaut utiliser un préservatif que de transmettre la mort. » Bref, un improbable compromis a fini par se mettre en place : au nom du droit à la vie, l’Église persiste dans son refus de toute contraception, mais, au nom du droit « à ne pas donner la mort », elle accepte, sans le crier sur les toits, l’utilisation du préservatif.
Un homme d’exception, Jean-Paul II ? Bien sûr. Comédien, poète, journaliste, philosophe, il alliait une vaste culture à une intelligence supérieure et à un extraordinaire charisme. Homme de foi, passionné, il s’est mué, chaque fois que les circonstances l’exigeaient, en redoutable stratège politique. Pape de combat ? Oui, parfois, sous la pression des événements, mais en même temps très conservateur, on l’a vu, sur toute une série de questions de société, mais aussi liturgiques, sans parler de la place des femmes dans l’Église. Son bilan ? Laissons les historiens en décider. Seule certitude : son successeur aura du mal à soutenir la comparaison avec l’homme que pleurent aujourd’hui un milliard d’individus.

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