En Afrique, Jean-Paul II a beaucoup oeuvré, souvent réussi, parfois failli.

Le conclave chargé d’élire le successeur de Jean-Paul II se réunira à partir du 18 avril. Parmi les (nombreux) favoris, au moins un Africain.

Publié le 11 avril 2005 Lecture : 7 minutes.

Qui sera le prochain pape ? Le deuil n’empêche pas de se poser la question, à Rome moins qu’ailleurs. Passé les neuf jours consacrés aux services funèbres pour le repos de l’âme de Jean-Paul II, les cent dix-sept cardinaux électeurs, membres du Sacré Collège, se réuniront en conclave pour élire son successeur.
La Constitution vaticane réglemente avec précision cette réunion à huis clos à laquelle ne peuvent participer que les cardinaux âgés de moins de 80 ans le jour de la mort du pape. L’élection comporte plusieurs tours. Elle se fait à la majorité des deux tiers lors des trois premiers jours, à la majorité simple lors des suivants. La main sur l’Évangile, les cardinaux prêtent serment de ne rien révéler de ce qui se dit ou se fait à l’intérieur de la chapelle Sixtine, lieu du conclave, dans laquelle ils sont – au sens propre – enfermés jusqu’à la proclamation du résultat. Amélioration notable par rapport à 1978, date des deux dernières élections, ils ne seront plus logés sur place, dans des « cellules » sombres et sans confort, mais à la maison Sainte-Marthe, un bâtiment neuf comportant cent sept studios et vingt-trois chambres individuelles.
Chaque électeur écrit sur un morceau de papier rectangulaire la formule « Eligo in summum pontificem » suivi du nom du candidat de son choix. Il n’y a pas de liste préétablie, tous les membres de la hiérarchie catholique étant éligibles, ce qui complique singulièrement les pronostics. Il en résulte généralement, dans les dernières années de la vie d’un pape, de sourdes luttes d’influence entre ses successeurs potentiels, les papabili. Le Saint-Père peut formuler une recommandation, mais en aucun cas désigner son successeur. Le vote a beau être secret, et toute espèce de pacte, accord ou alliance entre cardinaux formellement proscrite, il faut être connu, s’être fait remarquer pour son travail ou ses idées, avoir un poids, un potentiel ou des amis pour figurer sur un bulletin de vote. Mais gare à l’ambition dévorante, très mal vue, dit-on.
Lors du dépouillement, les noms sont lus à haute voix et les bulletins percés, à l’emplacement du mot « Eligo », d’une aiguille prolongée par un fil. Chaque fil est noué aux autres et la guirlande ainsi formée est brûlée dans un poêle dont la cheminée est visible depuis la place Saint-Pierre. On raconte que, jusqu’au XIXe siècle, les papiers étaient simplement brûlés dans une coupe, à l’intérieur de la chapelle. Jusqu’à ce qu’on s’aperçoive que la fumée endommageait les fresques de Michel-Ange ! La fumée qui s’échappe aujourd’hui de la cheminée est produite par la combustion des bulletins auxquels on mêle des fumigènes. Fumée noire, en cas de scrutin infructueux, blanche en cas d’élection…
Qui succédera à Karol Wojtyla ? Les Italiens récupéreront-ils le siège de Saint-Pierre abandonné en 1978, par exception, à un étranger ? Le nouveau pape sera-t-il originaire du pays qui compte actuellement le plus grand nombre de catholiques, à savoir le Brésil ? Questions sans réponse. Seule (quasi-)certitude : il ne sera ni polonais ni originaire d’un pays d’Europe orientale. De même, bien que onze Américains figurent parmi les électeurs, il est douteux que l’un de leurs compatriotes soit élu, les États-Unis occupant dans le monde une position suffisamment hégémonique.
Quels sont les critères de choix ? Le futur pape devra être en excellente santé : nul en effet n’a oublié que Jean-Paul Ier, le prédécesseur de Karol Wojtyla, est mort trente-trois jours seulement après son élection. Parmi les papabili, l’Autrichien Christoph Schönborn (60 ans) paraît avoir des chances sérieuses. Il est l’éditeur du nouveau catéchisme et ses positions très « compassionnelles » sur le sida en Afrique plaident en sa faveur. « La famille humaine ne peut laisser tout un continent mourir », se plaît-il à répéter. Le monde moderne étant ce qu’il est, health addicted, on peut supposer qu’un pape jeune, dynamique, fervent et chaleureux serait tout indiqué. Mais, à l’inverse, il n’est pas interdit d’imaginer qu’un règne court permettrait à l’Église de reprendre son souffle après le rythme effréné que lui a imposé Jean-Paul II, vingt-six ans durant. Ce sont des considérations de cet ordre qui, à la mort de Pie XII, avaient conduit les cardinaux à élire Angelo Roncalli, 77 ans, dont tout le monde était convaincu qu’il ne serait qu’un « pape de transition ». On sait ce qu’il advint : sous le nom de Jean XXIII, Mgr Roncalli se révéla un grand réformateur. Le concile Vatican II, qu’il organisa, fut même le premier aggiornamento de la catholicité depuis trois cents ans. Peut-on en espérer autant de l’ultraconservateur allemand Josef Ratzinger, 77 ans également, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi – l’ancienne Inquisition -, numéro deux du Vatican et proche conseiller du pape défunt ?
Le futur pape devra être également charismatique, même s’il ne sera pas facile de soutenir la comparaison avec Jean-Paul II. Le monde doit croire en lui, s’enthousiasmer avec lui, adhérer à ses prises de position, car c’est l’une des clés de la réussite de la mission papale. Donné grand favori, Mgr Dionigi Tettamanzi (71 ans), le jovial archevêque de Milan, semble, de fait, avoir le bon profil. Ses prises de position paraissent de nature à satisfaire à la fois les conservateurs et les progressistes : s’il s’est, à plusieurs reprises, affiché aux côtés des altermondialistes, il reste strict sur les questions de bioéthique et de respect de la vie. Il est, dit-on, apprécié de l’Opus Dei, le groupe religieux ultraconservateur dont Jean-Paul II était très proche et qui reste influent à la Curie. Légère ombre au tableau : il aurait, selon la rumeur, un peu trop insisté pour passer de l’archidiocèse de Gênes, une ville moyenne, à celui de Milan, la grande métropole du nord de l’Italie.
Troisième critère : la renommée. Le futur élu a sans nul doute intérêt à être un homme connu, si possible travaillant à Rome, mais grand voyageur : il doit être en effet capable de relever le défi de la mondialisation. Le cardinal Francis Arinze (72 ans) cumule de nombreux atouts, dont le moindre n’est pas qu’il est originaire du Nigeria, le pays le plus peuplé et l’un des plus en vue d’Afrique. Fin et plein d’humour, il a beaucoup voyagé, notamment aux États-Unis, et entretient d’excellentes relations avec le clergé américain. Arithmétiquement parlant, c’est intéressant, car il peut espérer recueillir les suffrages des 11 électeurs américains et des 11 électeurs africains (voir encadré), voire ceux de certains cardinaux latino-américains et asiatiques, un pape originaire du Tiers Monde étant supposé a priori plus sensible à leurs problèmes. Comme Jean-Paul II a été la voix des sans-voix du bloc de l’Est, Arinze sera-t-il celui des pauvres de la planète ? Préfet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements depuis 2002, ancien président du Conseil pour le dialogue interreligieux, il se situe dans la droite ligne de Jean-Paul II pour la rigueur doctrinale, mais aussi l’ouverture sur le monde, le cosmopolitisme et l’oecuménisme. Conservateur comme lui, il est farouchement opposé à la contraception, à l’avortement et à l’ordination des femmes. Cette ambivalence est un avantage considérable, car l’Église s’interroge : doit-elle continuer à se focaliser sur la morale sexuelle et la politique de la famille ? Ne devrait-elle pas plutôt s’investir dans des questions plus cruciales, comme la lutte contre la pauvreté, la justice sociale et économique, les problèmes d’environnement voire l’influence croissante de l’islam ?
Enfin, le paramètre démographique n’est pas à négliger. Le Sacré Collège comptant 40 % de cardinaux venus de pays en voie de développement, il n’est pas exclu que les électeurs portent leur choix sur un homme du Sud. D’autant que c’est en Afrique et en Asie que le catholicisme connaît l’expansion la plus soutenue, et en Amérique latine qu’il est le plus fort. Confrontées à une situation économique souvent très difficile, ces régions constituent en outre un terrain de prédilection pour le développement des sectes. L’élection d’un pape du Sud permettrait peut-être de l’enrayer.
Si le monde n’est pas prêt à accepter un pape noir, comme Mgr Arinze lui-même le donne à entendre, sans doute pourrait-il se laisser séduire par un « Latino ». Pourquoi pas l’Argentin Jorge Mario Bergoglio (68 ans), l’archevêque de Buenos Aires ? Humble jésuite, celui-ci utilise les transports en commun, vit dans un appartement en ville et pas à l’archevêché, et fait la cuisine lui-même. Calme et silencieux, il est tout le contraire du Hondurien Oscar Andres Rodriguez Maradiaga (62 ans), un passionné tout à fait capable – il l’a prouvé – de mobiliser les foules. On l’a vu faire campagne avec Bono et le groupe U2 pour l’annulation de la dette des pays pauvres. Il parle huit langues, joue du piano et sait piloter un avion. Mais la surprise pourrait venir de l’Inde, dont le seul représentant, Mgr Ivan Dias, qui parle parfaitement une douzaine de langues, passe, à juste titre, pour un fin diplomate. Il est de surcroît l’un des favoris du courant conservateur. Mais tout pronostic serait nécessairement un peu vain. À ce jour, seul le bookmaker irlandais Paddy Power s’est risqué à prendre des paris. Pour l’instant, il donne l’Italien Tettamanzi vainqueur d’une courte tête, devant le Nigérian Arinze et le Hondurien Maradiaga, mais prudence : en 1978, un certain Karol Wojtyla était coté à 66 contre 1. On connaît la suite…

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