Du lycée Lyautey à al-Qaïda

Abattu par la police saoudienne le 4 avril, ce cadre influent de la nébuleuse islamiste, activement recherché par tous les services concernés, était peu connu des médias. Itinéraire d’un jeune Marocain sans histoire devenu djihadiste dans l’âme.

Publié le 11 avril 2005 Lecture : 2 minutes.

Il est tombé au cours des opérations menées par les Saoudiens depuis le début d’avril et qui ont permis l’élimination d’Abderrahmane al-Yaziji, présenté comme le chef d’al-Qaïda sur place et qui a éclipsé la mort d’un autre terroriste tout aussi redoutable, sinon plus. Marocain, il s’appelle Karim Mejjati et ressemble à s’y méprendre au musicien Frank Zappa. C’est un gros poisson que tous les services concernés recherchaient fébrilement. Expert en explosifs, il a joué un rôle essentiel dans les attentats du 12 mai 2003 à Riyad, puis dans ceux du 16 mai 2003 à Casablanca. Son nom a été cité après les attaques du 11 mars 2004 à Madrid. Son itinéraire est édifiant.
Karim Mejjati est né en 1967 à Rabat dans une famille moyenne, père commerçant, mère française. Il a fréquenté le lycée Lyautey, qui fournit les futures élites. Après le bac, obtenu en 1987, il ne semble pas très fixé sur son avenir. Ses amis gardent le souvenir d’un garçon cool, qui n’aime pas les disputes et n’affiche pas un intérêt particulier pour la religion. Il picole, mange du jambon, et, l’été, il passe du bon temps dans le Nord, sur la côte méditerranéenne. Il se marie avec une Marocaine, Fatiha Hassani, qui lui donne deux garçons : Ilyass et Adam. On a parlé d’un mariage avec une Américaine, mais l’information n’est pas confirmée.
Le basculement se produit au milieu des années 1990 lorsqu’il part pour la Bosnie puis pour l’Afghanistan, proche des idéologues du djihad tels le Palestinien Abou Qatada, le Bosniaque Cheikh Hamza, ou encore Mohamed Maqdissi, le maître à penser d’un certain Abou Moussab al-Zarqaoui. C’est cette proximité avec les grands théoriciens du djihad qui a permis à Karim Mejjati d’occuper une place centrale dans les réseaux d’al-Qaïda entre le Moyen-Orient et l’Europe. « S’il n’est pas exactement un coordonnateur, confie l’un des responsables de l’antiterrorisme, il doit savoir ce qui se prépare. » Au Maroc, Karim Mejjati, alias Abou Ilyass ou Abou Bachir, avait également fréquenté Abou Hafs, l’un des idéologues de la salafiya djihadiya, qui a « préparé spirituellement » les kamikazes du 16 mai 2003 et aujourd’hui derrière les barreaux. Il est l’un des fondateurs du GICM (Groupe islamique combattant marocain). Il a veillé au recrutement et à la formation (dans une forêt près de Rabat) des djihadistes. On trouve encore sa main dans l’organisation d’une attaque qui a tourné court contre un transport de fonds à Salé.
Réputé insaisissable grâce à une capacité exceptionnelle à se déguiser, Karim Mejjati avait parcouru le monde. De longs séjours aux États-Unis (il parlait parfaitement l’anglais), il a sillonné l’Europe, la Turquie, l’Iran…
La chute du Marocain en Arabie saoudite confirme, s’il en est besoin, les ramifications internationalistes du terrorisme. Un autre ressortissant chérifien, et non des moindres, serait mort dans les mêmes circonstances : il s’appelle Younès Hiyari, 36 ans, chef opérationnel des réseaux al-Qaïda sur place. On n’est pas absolument certain de son identité : les vérifications par l’ADN sont en cours.

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