Démobilisation générale

Les rebelles hutus en lutte depuis dix ans contre le régime de Paul Kagamé ont décidé de déposer les armes. Une nouvelle chance de paix pour la région des Grands Lacs tout entière ? La balle est dans le camp de Kigali.

Publié le 11 avril 2005 Lecture : 5 minutes.

Après plus de dix années de combats fratricides contre l’Armée patriotique rwandaise, les rebelles hutus des Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR) semblent avoir perdu le goût de la lutte. Réfugiés en République démocratique du Congo à la suite de la défaite des troupes fidèles au régime Habyarimana, en juillet 1994, les combattants ont décidé de déposer les armes. Dans une déclaration signée par leur président Ignace Murwanashyaka et publiée à Rome le 30 mars, les FDLR s’engagent à cesser la lutte armée contre Kigali pour poursuivre la défense de leur cause sur le terrain politique. « Au fur et à mesure que les mesures d’accompagnement seront mises en oeuvre, les FDLR accepteront le désarmement volontaire et le retour pacifique de leurs forces au Rwanda », ajoute le communiqué, qui précise que toute offensive contre le Rwanda est d’ores et déjà proscrite. Enfin, « les FDLR condamnent le génocide commis au Rwanda et leurs auteurs. Elles s’engagent à lutter contre toute idéologie de haine ethnique et renouvellent leur volonté de coopérer avec la justice internationale. »
Cette déclaration résulte de négociations qui se sont tenues à Rome sous l’arbitrage de la communauté catholique de Sant’Egidio, laquelle s’implique régulièrement dans la médiation de crises à travers le monde. Son intervention dans ce dossier suffira-t-elle à mettre un terme à la guerre qui ravage l’Est de la RD Congo depuis une décennie. Toujours est-il que la participation active des autorités kinoises à ces discussions témoigne de la volonté congolaise de se débarrasser de cette rébellion plus nuisible aux populations du Kivu qu’au régime rwandais qu’elles sont censées combattre. Dans les rangs des rebelles, certains semblent y croire. Mais la portée du geste des FDLR dépend maintenant de l’accueil que lui réservera Kigali. Pour l’heure, les autorités rwandaises ont fait preuve de la plus grande circonspection, et se bornent à déclarer qu’elles sont prêtes à accueillir tous ceux qui voudront rentrer au pays. « S’ils joignent les actes à leurs paroles, c’est-à-dire s’ils désarment, cette déclaration sera positive », a estimé pour sa part Charles Murigande, le ministre rwandais des Affaires étrangères. Non sans préciser que les ex-rebelles « auront à rendre compte de leurs actes durant le génocide ».
Un ton qui reste conforme aux déclarations antérieures de Paul Kagamé sur ce sujet. À ceux qui suspectent Kigali de s’accommoder de la présence persistante d’ex-FAR (Forces armées rwandaises) et autres Interahamwes au Kivu pour mieux justifier une éventuelle intervention militaire, le président répond : « C’est faux. Pendant les deux ou trois ans où notre armée était en RDC, il n’y a pas eu une seule attaque contre le Rwanda de la part de ces gens. Nous les avons poursuivis et détruits avec beaucoup de persévérance » (J.A.I. n° 2302). Reste à savoir si les membres des FDLR qualifiés de « génocidaires » par le régime de Kigali le sont vraiment. D’autant qu’une bonne partie d’entre eux est aujourd’hui constituée de jeunes qui n’ont pas participé au génocide de 1994… Pour Kagamé, la réponse est catégorique : « Des enfants de génocidaires, élevés dans l’idéologie du génocide, sont potentiellement aussi dangereux que leurs parents. Surtout s’ils sont armés. En tout état de cause, nous avons un devoir de prévention à leur égard. »
Difficile dans ces conditions d’imaginer des négociations avec les ex-rebelles. Alors que les autorités rwandaises attendent une reddition sans condition, les FDLR veulent non seulement des garanties quant à leur sécurité, mais aussi l’intégration d’une partie de leurs membres dans l’armée rwandaise ainsi que la possibilité pour l’ex-rébellion de se transformer en parti politique à part entière. De là à réclamer l’organisation d’un dialogue inter-rwandais pour redéfinir les bases du consensus politique qui prévaut actuellement au pays des Mille Collines, il n’y a qu’un pas, que certains voudraient bien franchir. Mais les rebelles ne sont pas forcément en position de force pour faire entendre leurs doléances. Car leur adieu aux armes sonne comme un constat d’échec après les multiples débâcles que leur ont infligées les soldats de l’APR.
Autre incertitude, rien n’indique que l’ensemble des troupes des FDLR suivront leurs chefs qui ont décidé de quitter le maquis. Et que ceux qui ont commis des crimes au cours du génocide de 1994 envisagent de rentrer au pays. Déjà en octobre 2003, le général Paul Rwarakabidje, chef d’état-major des FDLR, avait fait défection avec seulement une centaine d’hommes. Le gros des troupes, influencé par les éléments les plus extrémistes, avait alors refusé de le suivre. Toutefois, la déclaration du 30 mars est d’autant plus crédible que tous les responsables des FDLR – politiques et militaires – se sont engagés. La délégation présente à Rome comprenait, outre son président, le vice-commandant des Forces combattantes Abacunguzi (Foca), le colonel Baptiste Komeza, et le commissaire aux Relations extérieures Christophe Halizabera.
Autre argument plaidant en faveur des FDLR, depuis deux ans, la donne a bien changé dans la région des Grands Lacs, où les rebelles hutus, fatigués par l’exil, font figure de derniers de Mohicans. À Kinshasa, les factions congolaises sont désormais associées au gouvernement d’union nationale. Idem du côté burundais, où les combattants des FDD (Forces pour la défense de la démocratie) ont quitté l’ex-Zaïre pour participer à la transition politique en cours à Bujumbura. De son côté, la Mission de l’ONU en RDC (Monuc), en charge du programme de désarmement et rapatriement des combattants étrangers encore présents sur le sol congolais, a saisi la balle au bond en désignant « six points de rassemblement temporaires (dans le Nord- et le Sud-Kivu) pour accueillir tout combattant qui s’y présenterait afin d’être rapatrié au Rwanda ». Et les récentes mises en cause dont la Monuc a fait l’objet ne peuvent qu’accroître sa détermination à relever le défi de la démobilisation. Enfin, l’ensemble des forces représentées au sein de l’équipe de transition ont désormais intérêt à voir la poudrière du Kivu s’apaiser : une accalmie dans cette zone permettrait le bon déroulement de la restructuration de l’armée, en cours dans cette région, ce qui garantirait la sécurité des élections à venir. Bref, avec la déclaration de Rome, et si Kigali le veut bien, c’est peut-être un tournant décisif qui s’amorce pour le processus de paix dans la région des Grands Lacs.

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