Autant en emporte le Blanc

Calixthe Beyala s’est placée du côté des fermiers européens pour raconter les expropriations au Zimbabwe et dénoncer le système Mugabe. Avec cette histoire bien menée, l’écrivaine franco-camerounaise retrouve un nouveau souffle.

Publié le 11 avril 2005 Lecture : 3 minutes.

Dans la présentation de l’ouvrage, l’éditeur compare La Plantation, le dernier roman de Calixthe Beyala, à Autant en emporte le vent, de Margaret Mitchell (1900-1949). Le parallèle n’est pas absurde. Scarlett O’Hara, l’héroïne de l’écrivaine américaine, prend, dans le livre de la romancière franco-camerounaise, les traits d’une jeune fille de la minorité blanche du Zimbabwe. À la guerre de Sécession, contexte historique du chef-d’oeuvre de Mitchell, répond la grave crise politique et sociale que traverse depuis quelques années l’ancienne Rhodésie du Sud. Dans les deux cas, la défense du domaine familial fournit la trame du récit.
Fille d’un grand propriétaire terrien d’origine française, Blues Cornu, 18 ans, vit une jeunesse tranquille, entre des parents cultivés et des soupirants falots. Cette jeune beauté, profondément attachée à la terre qui l’a vue naître, jette un regard critique sur une communauté blanche complètement repliée sur elle-même et dont la principale préoccupation est le maintien de son train de vie.
Et puis, un beau jour, l’horizon s’assombrit : le « président élu démocratiquement à vie » décide l’expropriation des terres des fermiers blancs. Au début, pourtant, ceux-ci ne s’inquiètent pas trop. Leur ancienneté dans le pays, croient-ils, les met à l’abri. Mais, lorsque le dictateur lâche ses milices sur leurs fermes – tout en muselant toute forme d’opposition -, ils sont obligés de repenser leur destin. Beaucoup cèdent à la pression et s’exilent. Les autres, qui font le choix de rester, voient leurs exploitations péricliter.
Près de vingt ans après avoir publié son premier roman, C’est le soleil qui m’a brûlée (Stock, 1987), Calixthe Beyala se renouvelle complètement. Dans Les Arbres en parlent encore (Albin Michel, 2002), où, après une longue série de textes sur les milieux de l’émigration africaine à Paris, elle ressuscitait l’Afrique à l’aube de la colonisation, elle semblait un peu à court d’inspiration. Son dernier livre, Femme nue, femme noire (Albin Michel, 2003), célébration de la sexualité dans tous ses états, est apparu à beaucoup de critiques comme raté. Histoire sans queue ni tête, écriture empruntée, descriptions maladroites, personnages invraisemblables : ne réussit pas des textes érotiques qui veut.
Avec La Plantation, l’écrivaine franco-camerounaise retrouve incontestablement un nouveau souffle. Construit de façon classique, le livre réunit les ingrédients d’un bon roman : une histoire bien menée, avec une intrigue fertile en rebondissements, des personnages bien campés, des descriptions évocatrices. Qui plus est, la langue de Beyala n’a rien perdu de sa saveur. Habilement distillés, ses néologismes africanisants pimentent le récit sans pour autant en perturber la lecture.
Plus important encore est la dimension politique du livre, une critique sans concession du régime de Mugabe, dont la politique a conduit le Zimbabwe à la ruine. À travers la figure du dictateur vieillissant, ce sont tous les pouvoirs africains despotiques et corrompus qui sont épinglés. Mais ce qui indispose par-dessus tout l’auteur d’Assèze l’Africaine, c’est le discours ethnique. Celui qui, dans le cas d’espèce, consiste à opposer les Blancs aux Noirs. « Ce n’est pas parce qu’on a subi le racisme qu’on doit devenir raciste, parce qu’on a subi l’esclavage qu’on va devenir esclavagiste, parce qu’on a été spolié qu’on va devenir spoliateur », explique-t-elle récemment dans Afrique magazine.
Pour défendre cette idée, Calixthe Beyala, fait unique dans les annales de la littérature africaine, a choisi de se mettre à la place des Blancs. Prisonniers de leurs préjugés et aveuglés par leur égoïsme, ceux-ci ne sont pas des saints, loin de là. Mais ils ont, comme les autres, leur part d’humanité. Blues Cornu, l’héroïne, malgré ses caprices de riches, voue un amour infini à l’Afrique et à ses habitants, tous ses habitants. À travers les péripéties de sa vie amoureuse, qui constituent un des fils conducteurs du livre, on suit son combat, sincère, pour un Zimbabwe non racial. Elle sera même à l’origine d’une tentative de renversement du président-dictateur. Et, à la fin de l’histoire, elle s’évertuera à remettre en exploitation, avec l’aide de ses voisins noirs, les terres familiales en déshérence.
Comme toujours chez Calixthe Beyala, les femmes ont la part belle. Pour le coup, elles sont d’origine européenne. Et c’est probablement la plus grande réussite de la romancière que d’avoir su donner à chacune d’entre elles une vraie identité. Aucune ne peut être réduite à la couleur de sa peau. En marge du combat qu’elle mène en France contre les discriminations, la romancière a trouvé, au bout de l’Afrique, une minorité à défendre, fût-ce une minorité de luxe.

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