Appellation d’origine marocaine

Première cave d’Afrique du Nord, l’entreprise fondée par Brahim Zniber a misé avec succès sur la qualité. Pour le plus grand bonheur des amateurs de vins originaux.

Publié le 12 avril 2005 Lecture : 4 minutes.

Depuis l’Antiquité, le Bassin méditerranéen est la terre privilégiée de la vigne. À la faveur de son climat doux, de son soleil généreux, de la richesse de ses terroirs, le Maroc a une longue tradition vinicole qui remonte à l’Empire romain. Ses 11 000 hectares de vignes produisent annuellement 40 millions de litres de vin. Depuis quelques années, le secteur a amorcé une profonde mutation pour mieux répondre aux évolutions du marché. Le premier vigneron du royaume s’appelle Brahim Zniber. Fringant patriarche octogénaire, il a créé, en 1964, Les Celliers de Meknès, devenus aujourd’hui la première cave d’Afrique du Nord : 85 % de parts de marché au plan national, 600 millions de dirhams (55 millions d’euros) de chiffre d’affaires et 1 300 hectares de vignoble exploités dans la région du Moyen-Atlas, à quelques kilomètres de Meknès. Cette région du Nord-Est, où dame nature est bienveillante et les sols argilo-calcaires gorgés de minéraux, fournit 60 % de la production nationale, et les meilleurs terroirs y ont été sélectionnés et classés en crus.
Premier employeur et moteur essentiel du développement de la région, Les Celliers produisent 28 millions de « cols » (bouteilles) par an en vin rouge, blanc, rosé et gris, dont 27 millions sont destinés au marché local. Brahim Zniber, secondé par son fils Réda, a réussi à faire de sa société le leader du secteur en rompant avec les méthodes traditionnelles de production, tout en préservant sa dimension familiale et artisanale. Si les cépages cultivés – chardonnay, cabernet sauvignon, merlot syrah – sont d’origine française, les vins, eux, sont authentiquement marocains avec leur identité et leur saveur spécifiques : le guerrouane, le ksar, l’amazigh, le domaine riad jamil sont des vins d’appellation d’origine garantie (AOG), qui jouissent tous d’une forte notoriété. Dernièrement, on a vu arriver une nouvelle gamme de vins avec la première et unique appellation d’origine contrôlée (AOC) au Maroc, garantie de haute et constante qualité. En effet, depuis le 4 janvier, Les Celliers de Meknès peuvent désormais afficher la mention « AOC Premier Cru » sur leur fleuron : Les Coteaux de l’Atlas. Considéré comme l’un des meilleurs nectars du pays – il a reçu la médaille d’argent aux Vinalies internationales 2004, un concours organisé par l’Union des oenologues de France -, il est produit dans la seule cave ayant droit à la dénomination « Château » : le Château Roslane, inauguré en juin 2004 et fruit d’un investissement de 10 millions d’euros.
Au Château Roslane, les méthodes de production allient modernité et tradition. Ce vignoble, qui s’étend sur 700 hectares avec une cave d’une capacité de 3 000 fûts de chêne et de 3 millions de bouteilles, est doté d’équipements sophistiqués (cuves thermorégulées, chais de vieillissement avec contrôle permanent de la température et de l’hygrométrie, etc.) et utilise les dernières technologies de vinification telles que la climatisation et l’humidification automatiques. Les vins sont analysés avant et après leur mise en bouteilles dans un laboratoire intégré et sous le contrôle d’une équipe d’oenologues et maîtres de chais français et marocains. Qui procèdent également à des essais sur des cépages autochtones ou étrangers pour étudier leur réaction au terroir. Quant aux sites d’embouteillage, ils laissent à penser que le temps de la production vinicole artisanale est révolu : lignes de conditionnement mécaniques, étiquetage à la chaîne et une capacité de 20 000 cols par heure.
Malgré cette note de modernité, Les Celliers veillent au respect des traditions puisque l’élaboration, le conditionnement et la maturation du vin se font au Château Roslane. Les cuvées sont vieillies en fûts de chêne français provenant des forêts de l’Allier et du Tronçais, et les vendanges sont effectuées manuellement, une méthode qui présente l’avantage d’être plus rentable que l’acquisition d’une machine à vendanger, le coût de la main-d’oeuvre étant assez bas (35 dirhams, soit 4 euros, par jour). Pourtant, malgré ses nombreux atouts, le secteur vinicole demeure précaire par nature : sa production, soumise aux aléas climatiques – chaleur, « stress hydrique » (carence en eau) -, est donc irrégulière d’une saison à l’autre. Il suffit que le chergui (vent d’été venant du Sahara) souffle plusieurs jours sur la vigne pour que la quasi-totalité de la production soit perdue.
L’activité des Celliers ne se limite pas à la production, la société montrant un fort dynamisme commercial dans la distribution, assurée au Maroc par huit agences régionales intégrées, tandis que la commercialisation à l’étranger est relayée par un réseau d’importateurs (France, Allemagne, Belgique, Royaume-Uni, Syrie, États-Unis, Japon, Canada et Pays-Bas). Rien qu’en France, 1 million de bouteilles des Celliers sont écoulées chaque année, entre 8 et 25 euros selon les gammes. Le millésime 2002 des Coteaux de l’Atlas Premier Cru peut être dégusté chez les cavistes ou, intronisé par la gastronomie occidentale, dans certains restaurants au prix moyen de 23 euros. Et c’est en cela que les Celliers ont innové car, par le passé, la plupart des vins d’Afrique du Nord importés en France étaient avant tout destinés à une population maghrébine et davantage issus d’une production de masse que de qualité. Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse, disait Musset…
Malgré la globalisation du commerce du vin et une concurrence de plus en plus âpre, des vins fins marocains ont réussi à s’imposer sur la scène internationale, revendiquant leur originalité et rompant avec l’uniformisation des goûts dénoncée par Jonathan Nossiter dans le documentaire Mondovino. « Dans un monde qui ne cesse de s’ouvrir, je nourris l’ambition que des vins marocains de haute qualité, originaux et compétitifs, soient le plus largement présents », déclare Brahim Zniber… comme un hommage à Bacchus. En se donnant les moyens financiers, techniques et humains de leurs ambitions, les Celliers de Meknès ont su, comme les grands vins, se bonifier avec le temps.

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